Mettre en place un dystopie pour dénoncer des défauts d'une société, ce n'est pas très original. De plus, je n'ai pas trouvé les personnages très attachants et l'on peut avoir des difficultés avec le dessin. Mais l'oeuvre vaut quand même le coup pour le message qu'elle véhicule : un message essentiel dans le contexte actuel chez les mangakas et les créateurs d'animés.
Ici, l'auteur utilise le mécanisme de la censure : un comité de personnalités est chargé de juger quelles sont les œuvres nocives. Ce mécanisme repose sur un système purement mathématique dans lequel les pages comportant des scènes violentes, dérangeantes ou ayant une mauvaise influence sont comptabilisées. Ainsi, une oeuvre est jugée nocive si un certain nombre de ces pages est comptabilisé et non après une étude rigoureuse de l'impact que pourrait avoir l'oeuvre dans sa globalité. Je parle de l'oeuvre, mais il s'agirait plutôt du manga. Ce sont les seules créations artistiques menacées : quand un mangaka adapte un classique de la littérature japonaise, son manga est menacé de censure. On voit alors bien le côté absurde du procédé : on remet indirectement en cause un classique, un livre admiré et étudié alors que celui-ci ne montre rien de nocif dans sa globalité. Quand au manga, il est directement remis en cause tout simplement parce qu'il est un manga. D'autant plus que Tetsuya Tsutsui s'inspire d'un fait réel et personnel. C'est par hasard qu'il découvre que son manga Manhole a été déconseillé dans les librairies à un jeune public. Autrement dit, il a été censuré.
Mais Poison City ne se résume pas à ce seul fait anecdotique. On pourrait évoquer la censure des maisons d'éditions pour lesquelles le chiffre est le plus important. Pour récolter plus de recettes, il faut cibler un plus large public et donc censurer l'auteur dans sa démarche créative. Cette démarche créative peut aussi être censurée par la peur des critiques négatives et donc l'auteur peut être contraint à faire un "lissage" de son oeuvre. Toutefois, ces limites à la liberté de création ont toujours existé. Cela se résume en une grande contrainte : la nécessité pour l'artiste de gagner sa vie tout en gardant sa liberté de création. Cette contrainte se ressent particulièrement dans le monde du manga avec le travail immense demandé aux mangakas pour réaliser une oeuvre correcte et gagner leur vie. Il est alors difficile pour eux de concilier cette nécessité de salaire à une liberté de création avec toutes les contraintes évoquées précédemment.
Plus qu'une dénonciation de la censure, on peut voir dans Poison City l'oeuvre d'un mangaka préoccupé par la condition et l'avenir de sa profession. Le manga vend, beaucoup, et il est souvent considéré comme un simple produit de consommation : ce n'est pas de l'art. Cette considération se renforce au vu des limites imposées aux mangakas qui, pour faire ce qu'ils aient, sont obligés de faire des concessions. La censure de Manhole a agit comme un véritable coup de poing pour son auteur entre la médisance envers le manga et envers le travail qui est derrière. Si c'est ainsi que l'on réagit à la liberté de création, comment permettre à l'art de continuer à exister ? Le message de l'oeuvre est profondément ancré dans notre réalité : la création artistique ne doit pas être entravée.
Seulement Poison City pose beaucoup de problèmes sans en donner les solutions. Aider les mangakas, certes, mais comment ? Nous voulons tous un univers culturel diversifié et je vois l'inquiétude de certains quand aux nombreuses productions faites pour réaliser du profit qui gagnent le monde de l'animation japonaise et du manga. Cela est symptomatique des travers dénoncés dans Poison City : une société conservatrice qui n'accepte pas la nouveauté, et capitaliste qui met un profit sur toutes les créations artistiques. Il faudrait éloigner ces contraintes de la création, mais cela est difficile.