Ce tome fait suite à The Wicked + The Divine - Tome 06: Phase impériale (2e partie) (épisodes 29 à 33) qu'il faut avoir lu avant. Dans la mesure où il s'agit d'un récit complet en 9 tomes, il faut avoir commencé par le premier. Celui-ci contient les épisodes 34 à 39, initialement parus en 2018, écrits par Kieron Gillen, dessinés et encrés par Jamie McKelvie, avec une mise en couleurs réalisée par Matthew Wilson. Il contient également les couvertures originales de McKelvie, ainsi que les couvertures alternatives de Daniel Warren, Yoshi Yoshitani, Babs Tarr, Erica Henderson, Cliff Chiang, Phil Jimenez, ainsi que 6 pages d'explication sur la construction de plusieurs pages.


Il y a environ 6.000 ans, dans une région désertique, un jeune homme aide sa grand-mère à avancer. Elle lui demande de la laisser là, car elle a rendez-vous avec sa sœur. C'est la première fois que cette scène se déroule. Ananke arrive et se met devant sa sœur. Elle est couverte de sang avec un couteau à la main. Elle porte un sac qui contient 4 têtes tranchées et dont les lèvres ont été cousues avec un fil. La sœur prend conscience du rôle qu'a choisi Ananke et la plaint pour ça. La discussion continue et les 2 sœurs définissent les règles : il y a aura 12 dieux, trois d'entre elles, et elle aura besoin de 4 têtes. Enfin, tous devront mourir avant a fin, y compris Ananke. Cette dernière ajoute qu'elle choisira les dieux qui s'empareront des enfants, sa sœur ajoute qu'il devra toujours y avoir le sien. À Valhalla, 2 norns discutent : elles se demandent laquelle est Beyoncé, qui est Kelly, et qui est l'autre. Soudain elles redeviennent 2 femmes normales, sans pouvoir particulier.


Dans la cellule située dans la pièce secrète de Valhalla, Urör (Cassandra Igarashi), Laura Wilson et la tête de Jon Blake sont emprisonnés et attendent. Laura Wilson réfléchit à tout ce qui lui est arrivé, à l'enchaînement de faits qui lui donne l'impression que sa vie est devenue un enfer, qu'elle ne mérite peut-être pas. En y réfléchissant, elle comprend qu'il ne doit pas y avoir que Jon Blake qui a été réduit à l'état d'une tête sans corps, capable de parler. Jon Blake demande aux deux femmes de lui remettre sa plaque sur son visage. Ils commencent à discuter et Jon Blake leur explique que son père a partagé de nombreuses informations avec lui : c'est Ananke qui a tué le juge. Il confirme que d'autres divinités pensées mortes sont encore en vie sous la forme de tête sans corps. Encouragé par l'attention que lui portent Laura et Cassandra, il évoque la nature du changement. Les 2 ex-norns arrivent devant la cellule. Pendant ce temps-là, Woden est en train de visionner les images de la caméra contenue dans le pendentif de Baal : elles montrent Minerva en train de tuer Sakhmet et Woden aperçoit un détail révélateur.


En entamant ce tome, le lecteur a encore le précédent à l'esprit et il constate que celui-ci commence fort en révélations dès le premier épisode. Il assiste enfin au début de la chaîne de récurrences, ou plutôt au moment où les règles du jeu ont été fixées par 2 femmes. Tout n'est pas révélé car il ne sait pas qui elle sont vraiment, quel est le dieu de la sœur, ni non plus d'où elles tirent leur pouvoir. Alors que le terme des 2 années de vie se rapproche, plusieurs personnages commencent à comprendre ce qui se passe vraiment, enfin pas jusqu'à soupçonner l'existence de la sœur, ni subodorer l'existence de règles du jeu. Comme à leur habitude, les créateurs savent se montrer facétieux et prendre des risques dans leur narration. Le lecteur ne s'attend pas à revenir dans le passé pour découvrir qu'une récurrence à laquelle il a assisté ne s'est pas déroulé comme elle a été initialement montrée. Gillen & McKelvie consacrent les 11 premières pages de l'épisode 35 à montrer un moment précis de chacune des 66 récurrences s'étant produites de -3862 à 2014. Dans les pages bonus, le scénariste explique qu'ils ont engagé un expert en costume d'époque pour s'assurer de la véracité historique des tenues vestimentaires montrées dans chacune des 66 cases. Ils continuent de jouer avec la narration graphique dans l'épisode suivant avec 9 pages contenant chacune 9 cases de même dimension, toutes noires, avec juste une année de mentionnée en haut au centre. Il est possible que le lecteur achetant chaque épisode mensuellement se soit senti un peu lésé en découvrant ce procédé narratif, mais remis dans le contexte des autres épisodes, et à l'échelle de l'histoire complète, ils font admirablement sens.


Dès la première séquence, le lecteur se retrouve immergé dans l'intrigue, ayant conscience qu'il a accès à des informations fiables et essentielles sur la nature réelle des récurrences. Il se prend au jeu d'essayer de deviner quelles pièces du puzzle sont encore manquantes. Minerva est-elle Ananke comme elle l'a déclaré, ou faut-il comprendre autre chose dans cette phrase ? Quelle est la nature de la méthode pour arrêter Ananke ? Pourquoi est-ce que quelle sœur tue l'autre n'a pas d'incidence ? Pourquoi Minerva ne s'oppose pas frontalement à Ananke ? Que va-t-il advenir des 3 têtes ? Kieron Gillen a réussi un dosage irrésistible de révélations qui rend le lecteur accro, voulant absolument comprendre la clé de l'énigme. Cela fonctionne d'autant plus qu'il est devenu familier de chacune des divinités encore en vie, et qu'elles continuent d'évoluer. Jon Blake est touchant dans sa manière de devenir volubile. Laura Wilson refuse d'être un simple pion et continue de faire ses erreurs comme elle l'entend, devant assumer les conséquences de ses actes, en particulier ses différentes relations sexuelles. Cameron devient plus sympathique en reconnaissant qu'il ne sait faire que des mauvais choix. Au fil des épisodes, le scénariste a donné de la personnalité à chaque personnage et ainsi le lecteur n'éprouve jamais l'impression d'un récit ne reposant que sur une mécanique d'intrigue avec une précision d'horlogerie, mais manipulant des protagonistes sans âme.


À nouveau, Jamie McKelvie (le cocréateur de la série) a dessiné tous les épisodes, la série conservant ainsi sa personnalité graphique. La séquence avec les 66 récurrences permet de mesurer le degré d'investissement de l'artiste pour s'astreindre à donner 66 versions différentes d'un même moment à 66 dates différentes, en faisant l'effort de s'assurer de la réalité historique de chaque tenue vestimentaire. En découvrant les 9 pages contenant chacune 9 cases noires, le lecteur sait également qu'il ne s'agit pas pour le dessinateur de s'économiser, mais qu'il s'agit d'une solution visuelle pour donner de la consistance au comportement du personnage qui apparaît à la dixième page, pour faire éprouver au lecteur ce que ce personnage a pu éprouver pendant toutes ces années. Avec cette idée en tête, il devient plus facile de voir apparaître les autres qualités de la narration graphique. Par exemple, le lecteur repère que Jamie McKelvie privilégie les cases rectangulaires, mais avec un nombre et une disposition variant en fonction de la nature des séquences : 9 identiques, des cases de la largeur de la page dans le désert pour rendre compte de l'isolement d'Ananke et de sa sœur, une grande case occupant les 2 tiers supérieur de la page et des cases plus petites en dessous pour chaque personnage présent au-dessus, des dessins en pleine page, etc. En outre, les variations dans ces cases rectangulaires accompagnent la nature de ce qui est montré. Le lecteur se souvient longtemps de ces 4 bandes de 2 cases : une petite et une plus longue, montrant une divinité claquer des doigts, et le crâne d'une autre divinité prendre feu par voie de conséquence.


Comme dans les tomes précédents, la complémentarité entre les dessins de Jamie McKelvie et la mise en couleurs de Matthew Wilson saute aux yeux, ou plutôt est au départ invisible tellement les 2 sont intégrés. Le coloriste sait passer d'un registre à l'autre (naturaliste, ambiance monochromatique, effets spéciaux) à bon escient en fonction de chaque scène, et utiliser 2 ou 3 registres au sein d'une case de manière complémentaire. Le lecteur se rend compte que chaque épisode contient de nombreux visuels mémorables, tout en conservant une narration fluide : Ananke apparaissant couverte de sang dans le désert, la jeune Minerva avec ses mèches rouges, une tête en train d'exploser, le déchaînement des pouvoir de The Morrigan, Minerva marchant dans un champ, et toujours le costume fluorescent de Woden. L'artiste arrive même à rendre visuellement intéressants les personnages en train de consulter les textos sur leur téléphone portable, action pourtant très statique.


Kieron Gillen, Jamie McKelvie et Matthew Wilson tiennent la promesse implicite que le récit va progresser crescendo et être de plus en plus prenant. Le temps est venu des révélations de plus en plus rapprochées et qui viennent donner du sens à cette histoire de récurrence. Le mécanisme de l'intrigue ne prend pas pour autant le pas sur les personnages ou sur la narration visuelle. Scénariste et dessinateur continuent de montrer des personnages avec des émotions et des objectifs qui leur donnent de la consistance et les rendent réels, et de concevoir des situations visuelles toujours aussi spectaculaires et mémorables. Ce n'est qu'en y repensant après coup, que le lecteur se rend compte qu'il subsiste quelques références à la musique pop (par exemple aux Destiny's Child dans la séquence d'ouverture), et qu'il est toujours possible de voir une métaphore de la jeunesse, ce moment où l'individu n'est pas encore figé dans sa vie d'adulte, et le champ des possibles semble infini.

Presence
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le 8 mars 2020

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