Ce tome fait suite à The Wicked + The Divine - Tome 07: Postérité (épisodes 34 à 39) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il comprend 6 épisodes hors-série : 455, 1373, 1831, 1923, The Funnies, Christmas Annual, tous écrits par Kieron Gillen. Il comprend également les couvertures originales et variantes réalisées par André Lima Araújo, Ryan Kelly, Stéphanie Hans, Aud Koch, Kris Anka, Margaux Saltem et Jamie McKelvie (*3).
455 (2017, 26 pages, dessins et encrage d'André Lima Araújo, couleurs de Mathew Wilson) -Lucifer revient comme mortel vers Rome. Il croise un berger, et répondant à sa question lui indique qu'il est Jules César. Il rentre à Rome et assume le rôle d'empereur, avec en coulisse Dyonisius qui est son amant. Mais Ananke vient le rappeler à l'ordre, lui indiquer quelle est sa place dans l'ordre des choses. Lucifer la soumet aux flammes d'un claquement de doigt.
La série The Wicked + The Divine est parue de juin 2014 à septembre 2019, et ses créateurs ont eu l'occasion d'intégrer 6 numéros spéciaux pour donner le temps au dessinateur de réaliser ses épisodes. Ce recueil les regroupe tous en les remettant dans l'ordre chronologique des événements. Le lecteur ayant déjà lu les 7 premiers tomes se demande s'il va faire l'impasse sur celui-ci. En entamant ce premier numéro spécial, il se rend compte qu'il est très content de pouvoir retrouver un peu plus de Lucifer et d'Ananke et de découvrir une précédente Récurrence. Kieron Gillen se montre très habile en intégrant 3 divinités dans un événement historique : l'arrivée des Vandales à Rome. Le lecteur découvre une histoire complète qui peut se suffire à elle-même, sous réserve de connaître le principe de la série mensuelle. André Lima Araújo réalise des dessins descriptifs avec un trait de contour assez fin, un bon niveau descriptif, sans avoir l'élégance des dessins de Jamie McKelvie. Le lecteur prend plaisir à voir Lucifer s'opposer à Ananke et il bénéficie également de la connaissance du vrai rôle de cette dernière. Au-delà d'une fin de phase impériale (ce qui fait écho au titre des tomes 5 & 6), cette histoire montre aussi que ça n'a jamais été de tout repos pour Ananke d'accompagner la fin d'une Récurrence.
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1373 (2018, 28 pages, dessins et encrage de Ryan Kelly, couleurs de Wilson) - À Avignon en France, une assemblée de sœurs assiste à une messe, alors que des cadavres sont présents tout autour de l'église, des morts causées par la peste noire. Après l'office, Lucifer (une des sœurs) s'approche d'une jeune femme bien vivante, mais atteinte par la maladie. Après une courte discussion, Lucifer décide de raccompagner la jeune femme à son village d'origine qui est à deux jours de marche.
Ryan Kelly utilise des traits de contour aux subtiles variations d'épaisseur pour donner plus de poids aux personnages et plus de texture aux éléments de décor. Il n'opte pas pour une représentation clinique des marques de la maladie, mais pour une approche plus impressionniste, bien complétée par la mise en couleurs de Matthew Wilson, pour une impression de chair rongée saisissante. Il s'amuse avec l'apparence de Lucifer, une femme en habit de bonne sœur, mais avec 2 petites protubérances osseuses sur le front, comme le début de cornes. Il sait insuffler une terrible intensité dans le face-à-face entre Lucifer et Ananke alors que cette dernière est alitée et atteinte par la maladie. Le lecteur ressent toute la force du dégoût de soi-même de Lucifer et toute la haine d'Ananke. À nouveau, Kieron Gillen a conçu son intrigue de telle sorte à ce qu'elle forme une histoire complète. Bien évidemment, le lecteur compare le déroulement de ce face-à-face avec celui qui s'est déroulé en 455. Il relève les similitudes en se disant qu'elles peuvent constituer des invariants dans chaque Récurrence, ainsi que les différences en analysant ce qu'elles révèlent sur la marge de manœuvre réelle des divinités par rapport à Ananke. Il voit également que la représentation que la divinité se fait de son état dépend de sa culture, fortement façonnée par la religion catholique à cette époque.
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1831 (2016, 28 pages, dessins, encrage et couleurs de Stéphanie Hans) - À Rome, Ananke se tient devant Hades qui est sur son lit de mort. Dans la villa Diodati sur les rives du lac de Genève, plusieurs divinités séjournent : Inanna, Lucifer, Woden, et Morrigan. Ils parlent de création, et se racontent mutuellement des histoires. À l'extérieur, Ananke rôde.
Le lecteur est immédiatement sous le charme des magnifiques pages de Stéphanie Hans qui travaille à l'infographie et réalise tout elle-même. Les personnages sont somptueux : ils sont visiblement habités par une énergie plus qu'humaine, ce sont de vraies divinités incarnées. L'artiste réalise un savant dosage entre éléments descriptifs (tenues vestimentaires, décors, accessoires) et camaïeux expressionnistes, pour une narration visuelle enchanteresse. Le lecteur comprend rapidement ce qui a amené Kieron Gillen à choisir ce lieu : la villa Diodati. C'est en 1816 qu'y ont séjourné Lord Byron, Mary Shelley, Percy Shelley, John Polidori, et qu'ont commencé à germer les idées pour Frankenstein (1818) et Le Vampire (1819). Le scénariste fait ainsi entrer en résonance le thème de la création avec les divinités, et ces dernières qui vampirisent l'adoration du peuple. bien évidemment, le lecteur continue également de repérer les invariants des récurrences, ainsi que les différences significatives. Il remarque qu'à nouveau ces divinités envisagent et interprètent leur caractère divin, à l'aune des systèmes de connaissance et de croyance de l'époque.
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1923 (2018, 52 pages dont 24 sous forme de roman sans images, dessins, encrage et couleurs d'Aud Koch) - La plupart des divinités de cette récurrence voyagent bateau vers l'île de Lucifer qui y a fait construire une imposante demeure. Alors qu'ils sont rassemblés pour y faire la fête, l'un d'eux est retrouvé mort, assassiné.
C'est certainement l'épisode le plus rebutant et le plus intéressant. Jouant à nouveau avec la forme, Kieron Gillen a décidé de raconter cette histoire, moitié sous la forme d'une bande dessinée, moitié sous la forme d'un roman, des pages écrites à la manière d'Agatha Christie. La trame évoque de loin Dix petits nègres (1939), mais le lecteur a déjà une bonne idée de qui est le meurtrier avant même de commencer sa lecture. Ça ne se fait pas : un scénariste n'a pas le droit de demander à un lecteur de se taper autant de pages de texte, alors qu'il est venu chercher une bande dessinée ! Il faut donc passe outre la forme, ou s'y adapter pour pouvoir apprécier cet épisode. Dans le même temps, le récit se déroule en 1923, c’est-à-dire juste avant la première scène du premier épisode qui se déroule également en 1923. Kieron Gillen se montre particulièrement malin et retors en montrant au lecteur qu'il ne sait en fait rien de ce qui s'est passé lors de cette Récurrence, et de la raison pour laquelle 4 divinités se sont retrouvées assises autour d'une table prévue pour 12, avec des crânes devant elle. C'est donc à la fois un roman policier dont le lecteur connaît déjà le coupable (ou presque), un pastiche d'Agatha Christie, et une réflexion sur la capacité à ressentir l'air du temps à influer sur les événements, sur l'ordre des choses. Le lecteur est à la fois captivé par la perspective de découvrir comment les différentes divinités conçoivent leur nature et leur place, mais aussi comment elles incarnent chacune une partie du temps.
Lorsque le récit repose plus sur des actions, le mode narratif passe du roman à la bande dessinée et Aud Koch réalise des dessins en noir & blanc avec des nuances de sépia. Il insiste plus sur le mouvement et l'horreur des crimes, avec des dessins parfois empreints d'une touche de naïveté un peu surprenante au regard de la gravité des thèmes abordés. Au final, le lecteur ne regrette pas d'avoir investi plus de temps pour lire ce copieux numéro, et il se demande bien si la machine construite par Woden a un lien avec celle construite lors de la récurrence suivante.
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Christmas Annual (2017, 30 pages, dessins de Kris Anka, Rachel Stott, Chynna, Emma Vieceli, Carla Speed McNeil) - En novembre 2013, Baal couche avec Inanna. En décembre 2013, Sakhmet couche avec Lucifer. En décembre 2013, Umar prend Cam en autostop sur l'autoroute pour se rendre au concert de The Morrigan. En octobre 2013, Tara compose avec sa guitare et a une discussion avec Ananke. En juin 2014, Laura Wilson rend visite à Lucifer dans sa cellule. Etc.
Dans l'introduction de ce numéro spécial, Kieron Gillen explique que c'était l'occasion pour lui de pouvoir présenter quelques scènes s'étant déroulées juste avant le premier épisode ou peu de temps après, et pour lesquelles la pagination ne le permettait pas dans les numéros de la série. Il s'agit essentiellement de scènes légères (la moitié étant des relations sexuelles), venant apporter une touche complémentaire à la personnalité des divinités concernées. Les dessinateurs sont de bon niveau et ne déparent pas par rapport au style créé par Jamie McKelvie. Cette lecture est totalement superflue car sans incidence sur l'intrigue générale, et totalement indispensable car elle permet de voir les principaux personnages dans des moments de calme et des moments intimes.
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The Funnies (2018, 28 pages, histoires de Kieron Gillen, Erica Henderson, Lizz Lunney, Chip Zdarsky, Chrissy Williams, Clayton Cowles, Romesh Ranganathan, Julia Madrigal, Hamish Steele, Kitty Curran, Larissa Zageris, Kate Leth, Margaux Saltel, Jamie McKelvie) - 9 équipes artistiques parodient ou caricaturent la série, y compris McKelvie & Gillen dans les 2 pages de la fin.
Il s'agit également d'une lecture superflue au regard de l'intrigue de la série, et rigolote à défaut d'être indispensable. Ces 9 équipes créatrices mettent en œuvre différentes sortes d'humour : de la moquerie gentille, à l'absurde, en passant par la parodie. S'il est investi dans la série, le lecteur sourit bien volontiers à la caricature de Jamie McKelvie et Kieron Gillen par Chip Zdarsky, à la parodie d'Ananke devant se débarrasser des divinités incarnées en chien, d'une parodie de Scoubidou, d'une variation sur l'incarnation des divinités en chaise, de la manière dont Laura a fêlé son écran de téléphone.