Avec Préludes & Nocturnes (1989), Neil Gaiman nous invite à pénétrer l’univers de Sandman, où les frontières entre rêves, cauchemars, et réalité se dissolvent dans une brume envoûtante. Ce premier tome est une plongée fascinante dans les ténèbres de l’imaginaire, mais attention : Gaiman ne vous prend pas par la main. Ici, vous trébuchez dans un labyrinthe où les divinités, les démons, et les humains se croisent dans un ballet à la fois sublime et terrifiant.
L’histoire commence avec une captivité : Morpheus, le Seigneur des Rêves, est emprisonné par un mage avide de pouvoir. Une erreur fatale, car les rêves du monde partent en vrille sans leur maître. Une fois libéré, Morpheus se lance dans une quête pour récupérer ses artefacts volés – un casque, une bourse, et un rubis – objets aussi puissants que symboliques. Mais Préludes & Nocturnes ne se résume pas à un simple récit de vengeance ou de reconquête. C’est un voyage initiatique où Gaiman tisse des fils narratifs riches et sombres, allant des enfers à des diners cauchemardesques.
Morpheus, notre protagoniste, est aussi charismatique qu’insaisissable. Avec son allure gothique, son teint blafard, et son aura mélancolique, il incarne une entité à la fois omnipotente et vulnérable. Ses actions oscillent entre le divin et le profondément humain, et c’est précisément cette dualité qui le rend si fascinant. Autour de lui gravite une galerie de personnages tout aussi mémorables : Lucifer, un diable fatigué de son rôle, ou John Dee, un méchant qui incarne la folie dans sa forme la plus brute.
Visuellement, le travail de Mike Dringenberg, Sam Kieth, et Malcolm Jones III est un mélange d’onirisme et de grotesque. Les traits sont souvent irréguliers, les visages expressifs à l’extrême, et les scènes oscillent entre le beau et le dérangeant. Ce style peut dérouter, mais il s’accorde parfaitement avec l’ambiance de l’œuvre, où chaque page semble être une invitation à sombrer un peu plus dans le surréalisme.
Le récit, bien que captivant, n’est pas sans quelques aspérités. Certains passages, comme l’épisode du diner, flirtent avec l’horreur pure et peuvent paraître déconnectés du reste de l’histoire. De plus, Gaiman explore ici un style encore en gestation, et certaines transitions narratives peuvent sembler abruptes ou peu fluides. Mais ce manque de polissage initial est compensé par l’ambition et la richesse thématique de l’œuvre.
Le vrai génie de Préludes & Nocturnes réside dans sa capacité à mêler des mythologies multiples, des réflexions philosophiques, et une narration à la fois personnelle et universelle. Gaiman nous rappelle que les rêves, même lorsqu’ils sont brisés, sont le reflet de nos espoirs, de nos peurs, et de notre humanité.
En résumé, Préludes & Nocturnes est une porte d’entrée magistrale dans l’univers de Sandman. Neil Gaiman et son équipe créent ici une œuvre gothique et cosmique, pleine de promesses et de mystères. Une lecture qui fascine autant qu’elle perturbe, et qui donne envie de poursuivre le voyage dans les royaumes du Seigneur des Rêves. Une invitation à ne plus jamais regarder vos cauchemars de la même manière.