Deux épisodes dans les Keys au Sud de la Floride, c’est suffisant pour donner des idées de destination touristique à ceux qui ont les moyens. C’est pourquoi ce troisième épisode change nettement de décor : on est dans la science-fiction « proche », c’est-à-dire qu’on a des voyages dans l’espace interplanétaire, avec vaisseaux spatiaux, incidents à bord, scaphandres pressurisés, mais enfin on ne va pas plus loin que la Lune, et les vaisseaux spatiaux restent vraisemblables, style modules d’atterrissage sur Mars (planches 22-23). Pas l’ombre d’un alien dans l’intrigue.

Qu’est-ce que Dallas Barr va faire sur la Lune ? Y solliciter des colons locaux la culture en faible gravité d’un chardon, dont une molécule, le fluorotexad, sert à « quelque chose » dans l’élixir de longue vie de Stileman. Parce que la Lune est habitée par une colonie humaine qui cultive des choses, mais qui n’a pas du tout la même mentalité que ses congénères terrestres. Le choc pour Dallas Barr, c’est quand il va avoir la révélation de l’utilisation de la dite molécule...

Pour cet épisode, l’intrigue ne va pas beaucoup plus loin. Tout l’art de Haldeman est dans la mise en scène dramatique du moteurs de l’action : attaque anti-écologique d’une forêt du Nicaragua gardée par des troupes US (les relations entre les deux pays ont dû s’arranger, d’ici 2078...). Les protagonistes jouent à dissimuler leur identité (planches 13, 14). L’atmosphère science-fiction – high-tech-informatique, particulièrement récurrente, offre pas mal d’intérêt et pas trop d’esbroufe, juste ce qu’il faut.

Un fait notable de cet épisode, c’est que Dallas Barr y change totalement de visage, pour les besoins de la cause : au lieu d’un play-boy à peine mature, souriant et goguenards, le scénariste l’affuble d’un visage couturé de cicatrices, et le crâne rasé. Moins sexy, certes ; et ça a l’air durable.

Le clou de cet épisode est certainement la tentative de Dallas Barr de parcourir une dizaine de mètres sur le sol lunaire. Sans scaphandre protecteur. Avec des pulls et un sac en plastique. Un des meilleurs moments d’angoisse qu’il soit donné de voir ! (planches 34à 41). On n’est pas sûr que ça marche, en vrai...

La société de 2078 vue par Haldeman ne brille pas par sa cohérence et son intelligence : les problèmes actuels s’y retrouvent, à peine amplifiés : la poussée démographique qui pousse tous les va-nu-pieds à détruire ce qui reste de la forêt nicaraguayenne n’a, à l’évidence, aucunement été endiguée (planche 1). Les mouvements écolo de l’époque ressemblent de plus en plus à des sectes fanatiques, avec leader-guru, phraséologie personnelle, et comportement quelque peu millénariste (planches 6, 7 : le mouvement « Earth First ») (Entre nous, si les problèmes écologiques actuels ne sont pas plus réglés que cela en 2078, l’humanité n’a aucun chance de parvenir à cette date...) ; la secte de mineurs qui exploitent le sous-sol lunaire s’appelle les « Luna-Libertins » ; pas tellement de cul dans le paysage en dépit de ce nom, qui semble assez trompeur : quand on débarque sur la Lune, la discipline est fort stricte, et on risque nettement sa peau si on n’obéit pas aux ordres (planches 24-25, 32)(caricature inversée du groupe de dissidents religieux qui ont quitté l’Angleterre pour les Etats-Unis au XVIe siècle ?). Ils sont anti-Stileman, et donc favorables à laisser les gens mourir à l’âge « normal ». Des écolos de la longévité, en somme, qui ne veulent pas trafiquer l’ordre naturel des choses. Quant à Stileman, il hésite entre le statut de prédateur financier cynique et des conceptions philosophiques assez intéressantes.

Marvano nous offre en planche 1 une très belle composition de faune et de flore de la forêt pluviale nicaraguayenne, et l’attaque nocturne des planches 2 à 5 comporte quelques beaux plans, magnifiés par les tons nocturnes. On se préparera à visiter la Statue de la Liberté dans un décor tout à fait rénové, censé la mettre en valeur (planche 6). On ronronne d’aise à la vision des goûts architecturaux et domestiques de Monsieur Stileman (on n’est pas l’homme le plus riche du monde pour rien...) (planches 7 à 9, 35). Les femmes exhibent leurs hauts et leurs bas avec générosité, dans un objectif plus décoratif que dramatique (planches 8 à 12, 21, 25). Bel effort pour rendre les effets de microgravité dans le vaisseau spatial et sur la Lune, dans les deux derniers tiers de l’album.

Des effets véritablement intéressants dans cet épisode, qui laisse en suspens pas mal de points non résolus.
khorsabad
8
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le 18 mai 2013

Critique lue 197 fois

khorsabad

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