Nouveau tome, nouvelle aventure...
Sur le "papier" on sent l'envie du duo Morvan / Buchet de creuser leur trame principale et en cela - au regard des standards que ce "Sillage" a su fixer depuis le départ - on pourrait dire que ce tome 18 fait le boulot.
D'un côté il remobilise beaucoup d'éléments de son univers et de son intrigue. De l'autre il les condense dans un grand événement qui impacte fortement l'univers qu'il a installé depuis un certain temps. Sur cet aspect là, il faut avouer, c'est plutôt propre.
...D'ailleurs je n'aurais pas grand-chose à reprocher au cheminement de cet album.
Ça commence sa montée en début de tome, ça pousse jusqu'à son climax sur les dernières pages, et ça conclue sur une belle ouverture.
Ah ça oui, il n'y a pas à dire : sur la "papier" ça fonctionne plutôt pas mal ce tome.
...Ou plutôt non.
En fait sur le papier ça ne marche pas.
Ça ne marche même pas du tout.
Parce qu'en fin de compte il y a un constat qui, à la longue, finit par me choquer : Philippe Buchet et Jean-David Morvan ont l'air d'oublier ce que le "papier" veut dire en bande-dessinée.
Une bande-dessinée c'est certes du scénario, mais c'est aussi de l'art graphique.
C'est une toile qu'on parcourt parce qu'elle a une dynamique d'ensemble.
Et si la toile "dit" et "montre" - c'est vrai - elle est aussi une œuvre où le papier mobilise les sens...
...Un domaine dans lequel "Sillage" échoue parfois lamentablement.
Avec ce tome 18 comme avec beaucoup d'autres, parcourir cet album est un exercice désespéramment aseptisé.
Presque comme un symbole, le choix de ce papier glacé sans texture pour le doigt est au fond ce qui s'associe le mieux à ces planches dont les compositions picturales sont sans texture pour l’œil.
"Sillage" n'accroche pas le regard parce que "Sillage" ne pense pas le regard.
Les choses sont toujours dessinées platement, dans un pur souci informationnel, jamais dans un souci sensoriel.
On ne joue pas des lumières ni des couleurs.
On ne joue pas des effets crayonnés et de la rudesse du trait.
On se contente juste de juxtaposer les créatures les unes à côté des autres, sans qu'on réfléchisse à l'harmonie de l'ensemble.
On les met en mouvement sans jamais réfléchir à des effets de "mise en scène" qui guiderait le regard ou questionnerait l'objet montré.
Et surtout on ne pense jamais les lieux comme étant des espaces atmosphériques.
Les couleurs et lumières sont constantes. Les dispositions sont figées, quand elles apparaissent...
Quand bien même assiste-t-on à des évènements que les auteurs veulent terriblement impactants pour l'univers de Sillage que, malgré ça, le regard ne change pas.
La salle de commandement reste aussi aseptisée que d'habitude.
Le champ de mine face auquel Bobo risque de se sacrifier est un banal copier-coller de ceux qu'on a vu précédemment. Les sens ne sont au fond JAMAIS sollicités.
Et finalement, c'est toujours sur des tomes comme cela - des tomes qui entendent se poser comme des gros tournants pour l'intrigue - que le constat est le plus choquant.
Le choc est d'autant plus important que c'est dans des instants comme ceux-là que l'effort formel s'impose le plus mais où Buchet se montre le plus fainéant.
C'était comme si on l'entendait nous dire : "...Roh ça va. Sur ce coup-là l'histoire se suffit à elle-même tu vois."
Le pire c'est que l'histoire ne se suffit même à elle-même.
Parce que des choix moisis qui rappellent les limites scénaristiques de l'ami Morvan, on en a quand même quelques-uns ici.
Voilà que le personnage de Jules change de sexe comme ça - d'un album à l'autre - avec pas plus d'explication qu'une simple "ah bah ça, j'en reviens toujours pas".
(J'avoue moi non plus. Je ne comprends d'ailleurs toujours pas l'intérêt de ce swap brutal. Franchement, ça fait vraiment choix pensé a posteriori en mode "putain en fait autour de Nävis il n'y a que des mecs ! On est pas très #metoo sur ce coup-là" !)
Dans le même style voilà que l'ami Morvan nous sort son dernier Griviousélion de son chapeau - comme ça quand ça l'arrange ! - sans avoir pris la peine d'anticiper ce deus ex machina sorti de nulle part.
A côté de ça, on nous ressort les Zarabs qu'on avait laissé pourrir au grenier pendant quinze tomes alors que Nävis s'était promise de prendre leur cause en main. (Bah voyons, la moraline c'est quand ça l'arrange à elle aussi.)
Et Morvan n'a pas peur de les mobiliser pour des scènes consternantes à base de coups de coude moralisateurs à t'en déboiter l'humérus. ("Oh ! Ce Zarab s'est sacrifié pour moi alors qu'il ne me connait même pas. Et moi qui les détestait simplement parce que j'étais raciste ! Mais que je suis un monstre en fait") Niveau subtilité on se pose là.
Et à tout ça s'associe toutes les faiblesses qui consternaient déjà dans le tome précédent et dont le parangon est incontestablement Ptitcon, le fils de Nävis.
Personnage plus mal écrit que ça tu meurs. Celui qui n'a pas compris que le trait de caractère principal de Ptitcon c'était l'arrogance a juste lu cette BD un bandeau sur les yeux.
Le pire c'est qu'à forcer ainsi le trait (au point d'en traverser la planche à dessin - pardon - la tablette graphique), le peu d'effort accompli pour essayer de générer des moments de tensions sont totalement sabordés par l'écriture lamentable de ce personnage.
Ainsi Bobo entend-il se sacrifier qu'il est impossible de s'en émouvoir parce que derrière y'a Ptitcon qui ne cesse de sortir ses punchlines de "djeunz" trop "ché-bran".
Assez lamentable.
...
En fait, ce qui me consterne, c'est que les auteurs de cette saga ont beau s'être pris tous les deux vingt ans dans la gueule depuis le début de la saga, ça ne les a pas fait mûrir pour autant.
En tout cas ça ne leur a pas fait mûrir leur saga et ça c'est évident.
Autant avant on avait une œuvre sans envergure mais pétrie de générosité et d'envie menée par des ados pétris d'hormones et de culture mainstream.
Autant maintenant on a une œuvre sans envergure menée par des quadras sans sève ni génie. De banals rentiers qui délayent leur "soupe-opéra" pour satisfaire le client qui attend son scénario sur papier glacé.
Au moins, pour une fois, le duo Morvan / Buchet aura su taper juste sur le titre.
Les gars avaient raison sur ce point : d'un point de vue artistique, cet album c'est vraiment le "psycholocauste"...
...Quelle tristesse.