Le jour où Guy Delisle, qui travaille normalement dans l'animation, se retrouve en Corée du Nord pour travailler en tant qu'intervenant extérieur dans des studios, c'est le bon moment pour dresser un état des lieux sous forme de bande dessinée tragi-comique où le quotidien de l'animateur et dessinateur se mêle à une fine observation de la société Nord-Coréenne qui l'entoure...
On devrait décerner une médaille à Guy Delisle pour toutes les excellentes BDs qu'il nous livre régulièrement.
Sous un dessin en apparence simpliste, l'auteur qui parle de son vécu témoigne de la réalité d'un pays assez terrifiante avec (heureusement) beaucoup d'humour et d'auto-dérision. De ses relations avec un peuple constamment sous contrôle (des portraits omniprésents du Grand Leader) et paradoxalement terrifié tout en en ayant une certaine fierté (Il faut lire l'anecdote où l'auteur, alors conduit en voiture, fait remarquer à son interlocuteur Nord-Coréen le fait qu'il soit "étonnant de ne trouver aucun mendiant ou handicapé dans les rues"; et son interlocuteur de répondre que "naturellement les Nord-Coréens sont toujours bien portants et intelligents dès leur naissance". Notre héros s'étonnant à peine dans la case suivante en pensée "Le pire, c'est qu'il doit sûrement vraiment le penser") à sa vie et son travail à l'intérieur de ce pays cloisonné, tout y passe.
Si aucune date n'est donné, l'ensemble conserve une continuité et reste à chaque fois passionnant. Le choc des cultures est immense même si Delisle traite ça le plus normalement du monde, laissant l'impact se graver lentement dans la tête du lecteur.
Hasard ou heureuse coïncidence, l'auteur emporte avec lui dans son voyage, 1984 de George Orwell. Citant ouvertement des passages, il est troublant alors pour le lecteur et l'auteur de constater à quel point la réalité décrite par l'écrivain en 1948 prophétisait alors déjà le régime communiste de la Corée du Nord. Le summum sera atteint quand à un moment, notre héros prête l'ouvrage à un de ses collègues Coréens parlant et écrivant français qui cherche un bon livre de fiction (donc acceptable par le régime) pour parfaire ses connaissances en notre langue. A la fin, le jeune homme rendra le livre à Guy, troublant, confus et gêné, arguant qu'il n'a pu réussir à lire, qu'il s'est senti mal à l'aise et a donc pas pu rentrer dans le livre et l'apprécier. Un bien étrange miroir qui laisse confuse la question de savoir si des gens de ce peuple ont réellement conscience d'être opprimés ou non. Tout comme à un moment, le visage d'un guide et traducteur qui s'éclaire quand il entre avec notre narrateur dans un musée à la gloire de Kim-Jong-Il pour la première fois de sa vie : les sentiments ne sont alors pas feint. Paradoxe persistant de l'adoration béate qui parfois se transforme en une même peur confuse plus loin, au hasard des situations.
Au final, un ouvrage passionnant (il se lit d'une traite alors qu'il fait dans les 200 pages), riche, subtil qui s'impose comme une oeuvre forte et toujours d'actualité.
Vivement recommandé.