André Franquin ne supporte plus par la personnalité trop lisse de Spirou et le rythme infernal de parutions qu’il endure depuis vingt ans. M. Dupuis a refusé le script d’une troisième aventure consécutive avec ce fou de Zorglub et ses terrifiantes machines, que faire ? Ce sera QRN sur Bretzelburg, paru entre 1961 et 1963, sur un scénario ruritanien de Greg.
Ce genre littéraire est né du prodigieux succès du roman Le Prisonnier de Zenda (1894) d’Anthony Hope, dont l’histoire se déroule dans le royaume, imaginaire, de Ruritanie. Un jeune Anglais prend la place de son lointain, débauché et royal cousin Rudolf V, qui a été enlevé par d’infâmes, bien que démocrates, conspirateurs. Une histoire ruritanienne se situe dans une (toute) petite principauté germanique ou balkanique, les autochtones y seront rustiques voire arriérés, la noblesse féodale et conservatrice, le pouvoir menacé par un complot ourdi par un grand voisin belliqueux. La bande dessinée s’empara du sujet, après que les meilleurs romans eurent été adaptés au cinéma. Comme souvent, le précurseur est Tintin avec Le sceptre d'Ottokar publié de 1938 à 1939. Le ton est sérieux : Hergé s’émancipe de sa tutelle réactionnaire pour dénoncer l’Anschluss qui vient d’avaler l’Autriche. Selon les spécialistes, Astérix et les Goths (1961-1962) serait plutôt à classer dans les fantaisies historiques. À l’image de François Mauriac qui aimait tellement l'Allemagne qu’il préférait qu'il y en ait deux ; Astérix morcelle la grande Germanie et retarde d’autant les Grandes invasions… Greg propose sa propre version en 1977 dans Le Roi des Zôtres. En professionnel averti, il recycle un ancien succès : l’humour y est tout aussi antimilitariste que dans QRN mais le ton plus potache et la trame franchement rocambolesque.
QRN sur Bretzelburg est presque le dernier Spirou (puisqu’il réalisera en 1971 Panade à Champignac) de Franquin, qui se consacrera désormais essentiellement à Gaston, mais à mon sens le plus abouti. L’histoire ne brille pas par son originalité : un petit roi est manipulé par un ministre sans scrupule et le royaume court à la ruine. Pourtant, l’album surprend agréablement. Il débute par le très long gag de la radio miniaturisée, puis Fantasio est enlevé, Spirou et Spip cavalent à sa rescousse, le marsupilami les rejoint. Franquin s’attarde sur la personnalité du général Schmetterling et la description de ses sbires, marchands d’armes, policiers et exécuteurs des basses œuvres. La résolution de l’affaire étonne par sa brièveté, le méchant n’était qu’un fanfaron et son maitre es tortures se reconvertit dans la cuisine. Entretemps, Franquin nous a offert des pages admirables, par la précision du trait et le souci du détail. Je vous conseille le tout petit Spip, si souvent maltraité par ses successeurs. Chaque apparition de l’écureuil est scénarisée et son expression travaillée avec amour. Reportez-vous à sa fuite face au chien policier. Une merveille !
(V2 2016)