Joe Sacco s’est fait connaitre dans nos contrées pour ses reportage-BD fleuve en Palestine. Méthodique, partial sans tomber dans un manichéisme primaire, allant plus loin que l’immense majorité des reportages sur la question, cédant vraiment la parole à tous types d’individus (des deux camps), Palestine est sans doute un témoignage très réussi et interpellant. Mais au fond, « tout le monde » connait plus ou moins la situation là-bas, c’est sans doute le conflit le plus médiatisé depuis plus de 50 ans.
Reportages, c’est une série de courts reportages (forcément) réalisés par Joe Sacco entre 1998 et 2011, et oscillant entre la demi-douzaine de pages et la cinquantaine et commandés par divers journaux (de XXI en France au Time Magazine américain). La liberté de ton varie donc fortement entre chacun de ces témoignages, mais une constante demeure : Sacco veut laisser la parole à ceux qui ne l’ont que trop peu, refusant tout impératif d’objectivité. Après tout, le dessin est déjà essentiellement subjectif, sans doute même plus qu’une succession de mots, et Joe conserve pourtant toujours sa déontologie et son regard critique sur les situations, sans être forcément complaisant envers les plus faibles.
Un reportage sur le déroulement d’un procès de la Cour Pénale Internationale, un sur la situation en Tchétchénie, puis en Irak, en Palestine (encore), dans une région reculée de l’Inde et à Malte, pour étudier les conditions de vie des immigrés, forcément. Ces reportages sont de qualité inégale, comme il l’avoue souvent lui-même en postface, mais tous veulent mettre en lumière des faits qu’on laisse trop souvent dans une ombre bien confortable, et il soulève des questions très intéressantes en confrontant les opinions de chacun, exemples :
- Quel est l’intérêt de juger une trentaine de « criminels de guerre » quand les coupables des pires exactions étaient sans doute des milliers ? Et pourquoi seuls certains conflits, et les criminels associés, méritent-ils ce droit à un procès international ? L’emploi du mot génocide est aussi remis en question, pour toute son empreinte politique.
- Comment remettre sur pied un État de droit qu’on a soi-même démantelé (Irak) ? Même si on veut croire à toute la bonne foi de certains Américains qui essayent d’entrainer les soldats irakiens pour qu’ils puissent défendre leur pays eux-mêmes, peut-être le modèle de gestion américain n’est-il pas applicable partout. Sans doute.
- Comment contrer la pauvreté et l’injustice sociale dans un pays où la population est convaincue, par ses traditions et sa culture, qu’il existe des classes inférieures qui ne méritent pas mieux que de crever de faim ?
- Comment accueillir un afflux majeur d’immigrés dans des conditions de vie dignes, dans un pays aussi petit, mais densément peuplé, que Malte ? Ce n’est pas vraiment la faute du migrant qui a parcouru des milliers de kilomètres et payé des centaines de dollar pour arriver là, en toute bonne foi et plein d’espoir, ni celle du gouvernement maltais, qui ne peut pas construire des centres d’accueil et fournir une pension de survie aux milliers d’immigrés qui arrivent chaque année. La solution pourrait sans doute venir de l’Europe, mais pas sûr que la France, la Hongrie, la Pologne ou encore le Royaume-Uni veuillent bien accueillir la « misère » dont les Maltais ne veulent plus (ou en moindre nombre).
Et parmi cet océan de misère, d’injustices et de peuples sacrifiés, quelques lueurs d’espoir, de positivisme : il existe des gens qui s’investissent réellement pour améliorer les choses, et l’essor des ONG, à défaut d’être une réelle solution, tend souvent à améliorer les conditions de vie des plus démunis. Et tous ces gens qu’on entend trop peu, même si leurs histoires peuvent sembler redondantes pour qui lit distraitement l’actualité, parviennent souvent, grâce à l’effacement de l’auteur, à nous plonger dans leur situation, à nous faire comprendre ce que sont, au-delà des mots, des conditions misérables. Et là est la force de ces Reportages : le pouvoir de conscientisation. On ne peut sans doute pas sauver le monde, mais avoir conscience de ce qui s’y passe est sans doute le premier devoir de tout humaniste convaincu.
Après, niveau BD, les traits de Sacco gagnent en réalisme (surtout pour les visages) et sa mise en page est bien moins bordélique que dans Palestine, les heureuses répercussions du travail de commande pour des journaux sérieux sans doute.