Ce tome fait suite à THE AUTUMNLANDS Tome 1 (épisodes 1 à 6) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il comprend les épisodes 7 à 14, initialement parus en 2015-2017, écrits par Kurt Busiek, dessinés et encrés par Benjamin Dewey, avec une mise en couleurs de Jordie Bellaire.
Dans la cité céleste appelée Keniel, les secours se sont organisés, et Dusty (Dunsan Dourlason) n'a pas de doute que ses amis Enne, Reg, Kev, Dame Gharta ont été secourus et qu'ils ont été bien pris en charge. Le conseiller Sandort essaye de la ramener en indiquant qu'il avait bien prévenu tout le monde contre la conseillère Gharta, mais cette dernière le remet à sa place devant tout le monde. Cependant malgré l'intervention du Grand Champion une cité a chu. Le grand seigneur Tallon fait son entrée dans le hall et il requiert l'aide de Gharta et de Sandort : il faut retrouver le Grand Champion car une nouvelle menace pèse sur Keniel. En ce moment même, Stephen T. Learoyd (le Grand Champion) et Dusty parviennent enfin à sortir du fleuve tumultueux qui les a emportés pour s'échouer sur une grève. Learoyd reprend connaissance et crache l'eau qu'il avait dans ses poumons. Ils voient Seven Scars (un bison anthropomorphe) emporté plus loin par le courant, et reprendre pied sur la rive d'en-face. Il s'éloigne en s'enfonçant dans les bois. Learoyd et Dusty établissent un feu de camp et Dusty demande ce qu'ils vont faire car il est incapable de jeter un sort pour lancer une balise lumineuse dans le ciel. Pour Learoyd, la priorité est de partir loin d'ici dès l'aube, pour éviter de se faire coincer par les bisons.
Dusty poursuit la conversation au coin du feu et il demande au Grand Champion ce qu'il a fait exactement pour les sauver. Son interlocuteur lui répond qu'il ne sait pas. Il se souvient qu'il a été un soldat dans un monde où il y avait la guerre, qu'il s'est réveillé le matin dans son baraquement où il faisait froid, et après il ne sait plus. Sur ce, Learoyd décide qu'il est temps de dormir et il se couche trouvant facilement le sommeil, alors que Dusty n'y arrive pas. Ils se mettent en route le lendemain, et Dusty pose une autre question : pourquoi Learoyd a-t-il tué les individus bisons ? Parce que sinon ils auraient tué tout le monde, telle est la réponse. Dusty explique alors que pour les habitants des cités comme lui, c'est un acte brutal et non civilisé : dans une cité, ils auraient commencé par débattre et déterminer la façon la plus gentille d'intervenir. En effet, il n'y a plus de guerre dans les cités depuis bien longtemps, ni en dessous de ces cités volantes. Learoyd a du mal à croire qu'il n'y ait plus de guerre sur ce monde. Après avoir parcouru une bonne distance, ils s'arrêtent et cherchent de la nourriture : ils ne trouvent que des fruits. C'est au tour de Learoyd de poser une question : il souhaite savoir comment fonctionne la magie sur ce monde. Dusty explique ce qu'il sait de l'usage de l'énergie appelée Hatsas. Il en reste peu, seuls les sorciers de haut niveau parviennent à la manipuler pour des sorts complexes. Les novices comme lui se servent de cristaux comme celui qui pend à son cou pour s'aider à la maîtriser.
Après un premier tome enchanteur et magnifique, le lecteur revient pour bénéficier de plus de cette bonne chose, et d'en apprendre plus sur ce mystérieux Grand Champion et sa fonction métaphorique dans le récit. Il retrouve effectivement des éléments de mise en forme et des thèmes qui lui font subodorer que le scénariste raconte intentionnellement une histoire à deux niveaux. D'un côté, cela nourrit l'originalité du récit de l'autre côté cela peut s'avérer frustrant quand le lecteur perd le fil du métacommentaire. Chacun de ces 8 épisodes s'ouvre sur une page ou deux de bande dessinée, puis suit une illustration peinte en double page, avec un texte écrit en dessous, comme une sorte de tête de chapitre d'une nouvelle ou d'un chapitre sérialisé dans une revue littéraire de science-fiction et de Fantasy. D'un point de vue narratif, ce format n'est pas indispensable : il s'agit donc d'un hommage réalisé à dessein, d'une référence à ces revues que vraisemblablement Kurt Busiek lisait dans sa jeunesse. Chaque ouverture de chapitre s'accompagne du nom de l'écrivain et de celui de l'illustrateur, tous fictifs, vraisemblablement un autre hommage (peut-être des anagrammes ?), mais sans indication permettant de le comprendre facilement. Dans le même ordre d'idée, dans les épisodes 7 et 8, la discussion entre les deux principaux personnages porte sur l'origine de Learoyd : il vient d'un autre monde, il est un sauveur, il semble convaincu de la nature artificielle du monde où il se trouve. Le lecteur est amené à supposer que ses remarques indiquent qu'il vient du monde qui a créé celui où il se trouve. Mais finalement, cette idée n'est pas développée plus avant par la suite.
La métaphore suivante est plus évidente : un peuple de moutons anthropomorphes (les Erries) assez satisfaits de leur sort, et un peuple de boucs anthropomorphes plus agressifs, soit une métaphore sur le type de société qui peut se développer en fonction du caractère dominant de ses citoyens, ou de ses valeurs. À partir de l'épisode 11, les héros arrivent dans une communauté d'androïdes femelles. Il faut peut-être un peu de temps au lecteur pour retrouver la référence, mais dans ce cas précis, le scénariste fait tout pour lui faciliter le travail en lui donnant le nom des personnages : il s'agit d'une variation sur la pièce de théâtre Pygmalion (1914) de George Bernard Shaw (1856-1950), avec l'utilisation des noms Henry Higgins, Eliza Doolittle, Galatée. Learoyd joue le rôle de Pygmalion pour les Galatéennes, pas uniquement pour leur représentante Eliza, mais pour l'ensemble de la communauté. Il leur fait découvrir leur droit à disposer d'elles-mêmes, en tant qu'individus et en tant que peuple. Rétroactivement, le lecteur se rend compte que Learoyd a fait de même avec le peuple des Erries.
D'un autre côté, le lecteur se retrouve très heureux de simplement se divertir avec l'aventure inventive des deux compères Dusty et Learoyd. Le premier est un jeune urbain qui découvre la vie en pleine nature. Le second est un individu mature et aguerri, motivé par des convictions bien ancrées en lui, disposant d'une compréhension différente de ce monde, plus globale, mais aussi parcellaire et lacunaire. La dynamique entre les deux fonctionne bien : Dusty s'interroge sur les motivations profondes ou réelles de son mystérieux compagnon d'aventures, ce qui permet de faire ressortir de manière organique ce que son comportement a d'inhabituel pour un héros classique. Comme dans le tome 1, l'aventure s'avère d'autant plus plaisante que l'artiste reste en bonne forme. Il réalise des dessins dans un registre descriptif et détaillé, ce qui donne de la consistance à ce monde Fantasy mâtiné de Renaissance. Dans les premières pages du premier épisode, le lecteur retrouve les habits luxueux des habitants de la cité céleste Keniel. Dans l'épisode 9, il peut admirer comment Dewey joue avec la laine des moutons anthropomorphes pour réaliser leurs vêtements. Les galatéennes ont une apparence sexualisée de robots métalliques qui s'explique par les fonctions qu'elles devaient remplir, et qui en dit long sur l'état d'esprit de leur créateur et concepteur. Le lecteur ne peut pas tirer trop de conclusions de l'accoutrement d'Eliza, très flatteur ce qui en dit long sur sa personnalité.
L'artiste investit tout autant de temps pour donner à voir les différents environnements. Certes, il dispose d'un épisode plus facile (le 13) : une longue bataille dans un champ de rochers. Il ne s'agit que d'un seul épisode sur 8. En fonction de sa sensibilité, le lecteur apprécie plus ou moins les illustrations en double page en début de chaque épisode. Elles sont toutes très soignées : une magnifique cité de pierre flottant dans le ciel sur une grande terrasse avec une très belle lumière rasante, une femme dans un fauteuil sur une plateforme transparente regardant une immense machine mécanique dans les montagnes, un très beau coucher de soleil sur un beau chalet de montagne, une femme radiante en position de lotus sur la paroi d'une montagne rocheuse, une étrange bataille dans une forêt d'arbres sans feuille, un navire à voile sur une mer de feu, etc. Dans les pages de bande dessinée traditionnelle, le lecteur accompagne les personnages dans un grand hall de la cité de Keniel. Il s'assoit aux côtés des deux héros autour d'un feu de camp jetant des lumières orangées autour. Il marche avec eux dans un bois de bouleaux, puis il grimpe à flanc de montagne sous la neige qui tombe paresseusement. Il fait une halte dans le village chaleureux des Erries, et partage leur table commune pour un festin en l'honneur des deux invités. Alors que le voyage se poursuit, les arbres commencent à se raréfier, puis il mène dans une autre forêt avec une autre essence d'arbre, pour finir par une visite de la cité des galatéennes. Lors des combats, les monstres sont impressionnants, et les attaques puissantes. Les enjeux ne se limitent pas à savoir qui tape le plus fort les affrontements physiques sont l'expression d'intérêts, de valeurs, d'objectifs qui se percutent.
Ce deuxième tome s’avère tout aussi réussi que le premier, tant pour le voyage provoqué par les dessins bien fournis et la mise en couleurs très sophistiquée, que pour l'aventure dépaysante. La narration visuelle souligne le fait que Stephen T. Learoyd est un étranger dans un pays étrange, un héros à l'ancienne venu pour sauver les uns et les autres, en même temps qu'elle met en évidence que ce sauvetage n'a pas pour objet de garantir une vie sauve. L'ambition du héros est d'un autre ordre, plus élevé : il n'est pas là pour occire l'ennemi, mais pour rendre leur libre arbitre aux opprimés.