Gratter la guitare en Californie
Ricky, Lucien, Gilou et leurs copains quittent enfin leurs banlieues et leurs motos pour faire un voyage, un vrai, à San Francisco et Los Angeles. Rien que les destinations dénotent quelle dose de conformisme snobinard et moutonnier a pesé sur ce projet de Ricky et de sa bande : aller aux "Stèttss" (on en a plein la bouche), comme si ta vie se voyait soudainement envahie d'un vent de modernité tous azimuts, avec les grosses bagnoles, les palmiers, et bien sûr le pognon qui devrait te tomber d'office entre les pognes. Si c'est pas de l'American Dream, ça, Madame ?
La virée de ses personnages a été salutaire pour Margerin, qui visiblement a fait le voyage avant Ricky. Bien que les aventures des personnages soient plutôt convenues (on y reviendra), l'album vaut par son enracinement savoureux dans les décors et les habitants de San Francisco et Los Angeles.
Une belle astuce, d'emblée : mettre en scène dès la première vignette le Golden Gate Bridge dans une séquence de film-catastrophe, ce qui appâte le regard du lecteur. Puis, mille détails vrais donnent au récit une force de conviction inusitée : problèmes de climatisation dans l'avion (planche 3), attente anxieuse au "baggage claim" (planche 4), chiens renifleurs de sacs et passage de la douane (planches 5 et 6), contrôle des passeports (planches 7 et 8), véritables pancartes d'autoroute croquées sur le réel planche 10), rues pentues de San Francisco (planches 10-11), Transamerica Pyramid dans l'axe de Columbus (planche 17), le quartier de Castro et ses couples d'homosexuels (mâles only...) (planche 18), sauna et bain chaud (planche 26), passage sur le Bay Bridge (planche 32), bretelles d'autoroutes labyrinthiques à Los Angeles (planche 41), Beverly Hills (planches 45-47)...
En gros, Ricky et ses copains cherchent à se faire connaître en jouant du rock dans les cafés branchés; bien sûr, dès qu'il y a une fille en vue, les réactions sont humaines, trop humaines, surtout si la fille apparaît soudainement avec un mec (planche 33).
Le récit est émaillé de gags, parfois longs (bagages de Lucien à l'aéroport, contrôle des passeports, petit déjeuner incertain avec des emballages de nourriture trompeurs (planche 16), prise de risques en automobile (planches 21, 31-32), répétition en slip (planche 24), contacts rapprochés avec des homosexuels (planches 34 et 35); citation d'autres BD : les Freak Brothers et Mr Natural (planche 36); vacanciers obèses du bord de mer (planche 43)...
Ricky et ses potes sont (peut-être) au bord de la gloire et de la fortune. La manière dont ils réagissent est peu crédible : Margerin cherche surtout à conclure illico son épisode (planche 50).
Anecdotes charmantes de gentils potes pas vraiment responsables mais optimistes: le charme de Margerin sait jouer aussi avec la modernité, et pas seulement avec le rétro.