Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre, présentant plus de saveurs pour un lecteur familier des récits d’aventure. Sa parution originale date de 2019. Il a été réalisé par Hughes Micol pour le scénario et les dessins, et par Isabelle Merlet pour les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée.
Une immense propriété au bord de la mer, avec un magnifique manoir, Hughes Micol pousse la grille de l’enceinte, et mache jusqu’à la porte d’entrée, où il sonne à la porte de l’immense battant. Motte Piquet lui ouvre : le bédéaste se présente, il a rendez-vous avec Santorin Saint Rose, Investigations & Péripéties. Le mousse le fait entrer, lui disant qu’il trouve que la BD c’est sympa, et il lui demande s’il fait les histoires ou les dessins. Tout en traversant un gigantesque hall décoré avec d’immenses plantes exotiques en pot, Hughes répond qu’il peut faire les deux, ou alors il lui arrive de collaborer avec un scénariste, parfois ce n’est ni l’un ni l’autre. Ils passent par un vestibule avec de nombreux objets en exposition et une multitude de tableaux accrochés. Hughes s’arrête devant un squelette exposé sur un cadre : le majordome lui explique qu’il s’agit d’un véritable poisson-chien péché dans le lac Okavongo par Santorin Saint Rose en personne. Puis l’invité remarque une grande botte sur un meuble bas : il comprend qu’il s’agit d’une véritable botte de sept lieues, et demande si elle fonctionne. Le guide répond qu’ils le sauront quand ils auront trouvé la deuxième. Enfin, ils pénètrent dans un salon où le maître de maison est en tenue d’escrimeur en train de s’entraîner contre une machine sophistiquée.
Saint Rose porte la botte décisive, puis il retire son casque et souhaite la bienvenue à son hôte. Il note que Motte Piquet ne porte toujours pas de souliers. Puis il trouve qu’il fait soif, et il crie un grand : Comment ?! Son maître queux, un papou civilisé, apporte deux verres sur un plateau. Saint Rose demande à Hughes ce qu’il peut faire pour lui. Son invité explique : La nuit dernière, il était dans une boîte de nuit pour un extra payé par une marque de champagne. Une soirée privée sur le thème des impressionnistes. Il faisait le Van Gogh au milieu des fêtards. La nuit déjà bien avancée, il décidait de dessiner pour lui, plus personne ne faisant attention à lui. Et là, porté par la fatigue ? Le costume ? Miracle ! Un trait nouveau, une piste graphique pleine de promesses, bref, une épiphanie ! Euphorique, mais épuisé, il s’accordait une petite pause. À son retour, sa planche avait disparu et la boîte s’était vidée de ses derniers noceurs. Restait juste une plume sur son établi. Hughes la sort de la poche intérieure de son veston car il l’a encore avec lui. Il la montre à Motte Piquet, Saint Rose et Comment. Mais soudain il ressent une forte douleur au mollet gauche : il a été mordu par Poule ; Saint Rose intervient pour qu’elle le lâche. Un cochon anthropomorphe intervient pour indiquer qu’il s’agit d’une plume de Cigogne noire. Elle a été teinte avec un vert safran de chez Winsor et Newton. Saint Rose indique que la saison est bien avancée et que le volatile a dû migrer vers le sud. Il ajoute qu’ils doivent lever l’ancre, direction Macao.
En route pour l’aventure… avec une mise en abîme. Le lecteur accompagne un groupe d’aventuriers à la recherche d’un trésor. Un dessinateur vient solliciter un individu chic et valeureux, dont l’occupation se dénomme Investigations & Péripéties. De fait, le lecteur identifie tous les marqueurs de ce genre littéraire Un héros courageux, parfois intrépide, beau et quelque peu ténébreux, sachant toujours comment se sortir de chaque situation, disposant de connaissances visiblement acquises par une longue expérience, inventif et imaginatif pour trouver des solutions quelle que soit la situation, habillé avec goût, inspirant la confiance aux membres de son équipe, sachant raconter des anecdotes pleines de péripéties merveilleuses et exotiques. Lesdits membres valent le déplacement par leur originalité. Motte Piquet, un mousse et majordome à la forte carrure, aux fières rouflaquettes, avec un léger embonpoint, se déplaçant pied nu. Comment, un papou tout à fait civilisé, son chef spirituel c’est la reine d’Angleterre ! Poule, une vraie poule, même pas anthropomorphe et qui ne parle pas, mais qui semble douée de conscience, puisqu’elle tient la barre du navire. Enfin un cochon anthropomorphe, Conchobhar O’Muc, compagnon d’aventure et grand ami de Saint Rose, fin lettré, malin comme un singe et fort comme un bœuf. L’aventure emmène cette troupe à Macao, puis à Los Angeles, et sur une île privée.
La narration visuelle emmène également le lecteur dans l’aventure, en en reprenant les codes traditionnels. Le lecteur jouit du spectacle : le magnifique manoir en surplomb au-dessus de l’océan à la fin d’une large allée bordée de beaux arbres, la collection d’objets exotiques dans les différentes pièces, la traversée en mer, la vision en élévation du port de Macao avec ses casinos à l’architecture et l’ornementation chinoises, la course-poursuite dans le casino jusqu’en montant sur les tables, puis une course-poursuite sur les toits, une fuite dans les rues de Los Angeles en étant poursuivi par la police, jusqu’à l’assaut d’une île privée avec affrontement contre une armée privée. L’artiste impressionne le lecteur avec son sens de la mise en scène et son application pour les détails : les trouvailles sur les étagères d’exposition dans le manoir, l’aménagement de la cuisine à bord du bateau, les différentes espèces d’oiseau dans le casino, la vue du ciel de Los Angeles entre gratte-ciels au centre, quartiers denses à perte de vue, échangeurs labyrinthiques, le magnifique jardin de la résidence luxueuse de l’acteur célèbre, la tenue paramilitaire et l’armement des employés sur l’île privée. La metteuse en couleurs adopte un parti pris tranché avec une palette assombrie, tout en établissant des ambiances bien distinctes pour chaque environnement. Par exemple : une sensation crépusculaire et chaude pour le manoir de Saint Rose, une ambiance bleutée et nocturne pour la première traversée en bateau, des tons jaune, rouge et vert pour Macao entre l’environnement aqueux et les éclairages artificiels, on encore des couleurs plus claires pour la journée à Los Angeles, etc.
Dans le même temps, ce parti pris de couleurs tranche avec les habitudes des bandes dessinée d’aventure, généralement dans des tons plus clairs, plus réalistes tout en étant plus lumineux. Il en va de même pour les dessins : leur registre n’est pas celui de la ligne claire, avec des traits de contour et de texture plus épais et plus denses, une approche plus tactile de la représentation, des expressions de visage moins épurées tout en pouvant aller vers l’exagération des émotions, des variations de registre à dessein (par exemple les vagues de la mer démontée en page onze, ou un dessin plus comics pour représenter Captain America en pages trente et trente-et-un). Globalement le registre graphique évoque plus une bande dessinée réaliste qu’une bande dessinée tout public. Dès la première page, le lecteur comprend d’ailleurs que ce récit comprend plusieurs niveaux de lecture : l’auteur se met en scène créant ainsi une mise en abîme. Il est à la recherche d’un de ses propres dessins qui revêt une importance cruciale pour lui. Devenu un personnage de bande dessinée, il utilise des conventions du récit d’aventure, qu’il enrichit ou qu’il détourne, qu’il rapproche entre elles. En fonction de sa culture et de sa sensibilité, le lecteur peut en identifier certaines sans peine : le héros tourmenté par un traumatisme originel (Saint Rose utilisant l’aventure comme un baume pour apaiser le traumatisme du décès de son épouse), l’intervention de Captain America, la recherche d’un volatile (pouvant faire penser à un volatile d’une autre nature comme le Faucon Maltais), etc.
Le récit constitue une aventure en bonne et due forme, un hommage sincère et respectueux du genre, tout en présentant d’autres facettes. Le lecteur peut relever quelques criques ponctuelles comme le comportement de Basile de Hûre plein aux as qui estime que le monde lui appartient, ou des voleurs déguisés en Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre qui expliquent leur choix (ils cultivent cette ressemblance dans un effort de réappropriation de leur corpus en adéquation avec un substrat synchronique dans un dessin post-moderniste. Ce que Sartre résume en Gloire & Pognon), ou encore un groupe de jeunes femmes prisonnières et blasées dont le premier réflexe est de faire un selfie lors de l’attaque armée de l’île, etc. Arrivé à la fin, le lecteur se rend compte que pour un peu, il en aurait oublié le personnage central du récit, celui qui fournit la dynamique de l’intrigue, à la recherche du dessin ultime, l’auteur lui-même ou son avatar. Celui-ci établit qu’il sait réaliser un récit d’aventure haut en couleurs, et dans le même temps sa vie apparaît bien plus prosaïque que celle de ses personnages, et même terne. Ainsi lors d’un repas à bord du bateau entre lui et l’équipe de Saint Rose, chacun évoque des souvenirs d’aventures et Micol se lance : Angoulême n’est pas une ville très glamour certes, mais un soir pendant le festival Killofer monte sur une tale et… Conchobhar O’Muc l’interrompt évoquer la jungle du Costa Rica où ils avaient partagé le campement des botanistes suédoises, ça c’était glamour. Le quotidien s’avère incapable de se mesurer à la séduction et au charme de l’imaginaire. La conclusion de l’aventure s’avère encore plus critique quand Hughes porte un jugement sur la qualité de son dessin retrouvé. Dans le même temps, Hughes se livre à une profession de foi quant à son métier en deux phrases concises et éclairantes.
Une couverture qui promet une aventure exotique et haute en couleurs : un récit qui tient ces promesses, emmenant le lecteur dans des endroits spectaculaires, avec des péripéties classiques et surprenantes. L’investissement de l’artiste de la metteuse en couleurs donnent à voir ces tribulations au premier degré. En arrière-plan, l’histoire charrie également des réflexions sociales, et une mise en scène de la tâche sans cesse renouvelée de créer de nouveaux dessins, un métier dont le plaisir se trouve dans le fait de continuer à chercher à réaliser le dessin ultime.