Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il regroupe les 6 épisodes, initialement parus en 2018, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Steve Epting, avec une mise en couleurs d'Elizabeth Breitweiser.
Dans une forêt russe, en territoire occupé par l'armée allemande en 1942, Sara, une tireuse d'élite de l'armée russe, est en planque dans les hauteurs d'un arbre, voyant passer des soldats allemands à trois ou quatre mètres sous elle. Elle reste absolument immobile. Tard le soir, elle rentre à la base de son unité, une ferme, dont une grange abrite un char allemand. En, passant, elle voit deux soldats jeter à terre deux prisonniers allemands. Ils ont déjà du sang sur le visage et leur sort ne fait pas de doute. Sara pénètre dans la baraque qui est dévolue aux femmes. Ses six compagnes tireuses d'élite sont déjà là : Mari, Nata, Katrina, Vera, Lidy et Darya. Elle les informe qu'il y a des prisonniers en train d'être interrogés. Vera demande s'ils ont déjà besoin de leur aide. Pas encore répond Sara. Puis elles se demandent ce qu'il y a à manger car la nourriture n'a pas encore été amenée. Nata estime que ce sera forcément meilleur que ce qui est servi à Leningrad. Sara pose son fusil bien droit, en pensant à ce qu'il est vraiment. Il a un nom composé de de lettres et de chiffres, un calibre en millimètres, c'est un instrument de précision. Pour elle, c'est juste une arme à feu, un pistolet.
Dans l'après-midi, toujours à son poste de guet dans l'arbre, Sara attend encore l'arrivée de la cible qui lui a été désignée, tout en s'inquiétant de la présence de nombreux soldats. Elle ne sait pas trop si elle doit prendre le risque de l'abattre en premier et de voir tous les regards se tourner vers l'endroit où elle se tient, ou si elle doit commencer par abattre les deux soldats dotés d'un pistolet mitrailleur MP40 avant, pour qu'elle ait plus de chance de s'en sortir. Puis après, elle lâchera les grenades. Il lui faut juste espérer qu'il n'y aura pas un vétéran aguerri qui sait comment réagir efficacement. De toutes les manières, elle n'a qu'une seule chose à faire : attendre. Le soir, Sara et une collègue sont sorties pour aller chercher les marmites afin de pouvoir manger. Elles passent devant les soldats qui continuent de frapper les prisonniers pour les interroger, sans leur jeter un seul regard. Elles rentrent dans leur baraque et posent la marmite sur la table, puis vont enlever leur chaud manteau. Raisa, la commissaire politique est arrivée entretemps et explique à toutes qu'elles peuvent tout lui confier : elle est là pour ça. Elle ajoute que la hiérarchie est satisfaite des résultats de la mission de Sara dans l'après-midi. Un soldat ouvre la porte et demande si Vera peut venir les aider. Elle se lève avec entrain, et une autre se demande pourquoi elle aime tant ça. Sara répond qu'elle sait mettre en œuvre des techniques redoutables d'interrogatoire, car elle ressent une véritable haine pour les nazis. Raisa intervient pour rappeler les consignes en cas de capture et d'interrogatoire par l'ennemi.
Le scénariste a répété à plusieurs reprises que c'est l'une des meilleures histoires de guerre qu'il ait pu écrire. L'horizon d'attente du lecteur s'en trouve particulièrement élevé, surtout s'il a lu ses séries Battlefields et War Stories, ou ses histoires plus récentes comme The Stringbags avec P.J. Holden ou Out of the Blue avec Keith Burns. Il a donc choisi de situer son récit en Russie, ou en Union des républiques socialistes soviétiques, dans une partie occupée par l'armée allemande, et de s'intéresser à un groupe de 7 tireuses d'élite. Effectivement, il y a eu environ 2.000 tireuses d'élite soviétiques durant ce conflit, dont Lioudmila Pavlitchenko (1916-1974) fut la plus célèbre, avec environ 300 morts à son actif. Le scénariste se focalise sur leurs compétences, ne mettant en scène le rapport entre hommes et femmes qu'à deux reprises : des soldats qui lancent quelques remarques pour essayer de draguer, et un officier qui essaye d'obtenir une faveur sexuelle en échange d'un renseignement. Dans les deux occurrences, la situation tendancieuse tourne court immédiatement au désavantage des hommes. Sara se montre tellement glaciale que le capitaine abandonne la partie dès la première phrase et redevient professionnel. Dans la deuxième circonstance, l'une d'elle lance une répartie cassante, et les autres soldats n'osent pas tenter leur chance avec ces soldats de l'armée tenus en haute estime par la hiérarchie et par les responsables de la propagande.
Le lecteur peut comprendre qu'Ennis se sente fier de ce récit car il est raconté de manière naturaliste du début à la fin, sans les moments choquants de violence exacerbée avec une touche d'humour noir, dont il est coutumier. Le lecteur suit Sara du début jusqu'à la fin, dans ses missions, ses moments d'attente, ses moments de tir, ses brefs répits dans la base avec un retour en arrière pour sa formation initiale de tireuse d'élite. Le dessinateur se tient à distance de toute forme de voyeurisme. Les tireuses sont habillées de tenues militaires pour le grand froid, et pour passer inaperçues, essentiellement blanches, conformes à la réalité de l'équipement de l'époque pour ce genre d'unité, car Ennis est intransigeant sur l'authenticité de l'attirail militaire. Le lecteur observe donc des jeunes femmes, moins de 30 ans remplir leur devoir militaire, de façon professionnelle, compétente, et prudente. Il n'y a pas de forme de compétition entre elles et les soldats masculins car elles sont une unité d'élite spécialisée, sans contrepartie masculine dans leur détachement. Epting a conçu une apparence spécifique pour chacune d'entre elles, que ce soit par la morphologie, la forme du visage, la chevelure, et le lecteur peut ainsi les identifier facilement quel que soit leur uniforme, de campagne, ou de d'intérieur. Il leur applique une direction d'acteur, ou plutôt d'actrice, de type naturaliste. Leur visage est peut-être un peu plus avenant que dans la réalité, mais avec une gamme d'expression restreinte, car elles sont sur leur garde en présence de la commissaire politique et elles restent sur leur réserve d'une manière générale, très consciente du regard des autres, du risque de délation auprès de la commissaire.
Le lecteur ne peut donc se faire une idée des pensées des tireuses d'élite et des personnes avec qui elles interagissent que par les dialogues et les expressions de visage, à l'exception de Sara dont une partie des pensées font l'objet de cartouches de texte. L'artiste réalise des dessins descriptifs avec un très bon niveau de détail, et un rendu sophistiqué, en apparence parfois photographique, en réalité, un savant dosage entre les éléments qui bénéficient d'un contour minutieux, et ceux qui sont plus suggérés. Elizabeth Breitweiser réalise une mise en couleur avec la même approche naturaliste, tout aussi sophistiquée : pas d'effets spéciaux pyrotechniques, pas de lissage parfait ou de gradient de couleurs aux mille nuances, mais des aplats aux formes sophistiquées, pour un rendu d'un naturel épatant. Le dessinateur met en œuvre une mise en scène tout aussi naturaliste que ce soit pour les scènes de dialogue, ou pour les scènes d'action militaire. C'est confondant de fluidité et d'évidence, au point que le lecteur ne fasse pas attention aux techniques de dessins, totalement immergé dans la narration. Il éprouve la sensation de se trouver avec les soldates dans le bâtiment de ferme, avec les lits, la table, comme s'il allait passer à table avec elles. Il se tient à leurs côtés quand elles avancent dans la neige pour aller prendre position en planque, pour attendre. Il se sent attaqué avec elles quand elles font face à une unité allemande, avec une clarté remarquable sur ce qui se passe, les mouvements des uns et des autres, les tirs, ainsi qu'une gestion extraordinaire de la densité d'informations visuelles et d'authenticité pour chaque élément.
Ainsi, le lecteur se laisse entièrement porter par le récit, sans chercher à l'anticiper, sans se demander ce qu'il y a d'étrange dans le comportement de Sara. En arrivant vers la fin du cinquième épisode, il finit par s'interroger. L'intrigue s'avère simple et facile à suivre, quelques missions, et ce retour en arrière de la première leçon avec un vétéran de l'armée. Ennis sait sous-entendre un malaise, un secret en deux tournures de phrase un peu décalées. Le lecteur se rend compte qu'il est admiratif de la compétence de Sara en tant que tireuse d'élite, et qu'il ne s'interroge pas tant que ça sur sa motivation, sur ce qui la fait tenir, et continuer d'aller de l'avant. Le scénariste montre comment son instructeur lui a appris à déshumaniser les soldats ennemis, pour éviter toute susceptibilité à la pitié. Il met en scène la manière dont l'armée russe maintient ses soldats dans la peur pour éviter toute hésitation de leur part. Il a construit une intrigue avec une progression narrative qui fait que les tireuses d'élite vont finir par se heurter à un ennemi d'un genre particulier, aussi logique que plausible. Il finit par lever le voile sur le malaise qui habite Sara, ainsi que sa source. À nouveau, c'est plausible. En fonction de sa sensibilité, le lecteur se demande si cet élément de l'intrigue était indispensable, ou si l'auteur a estimé que son récit manquait d'un élément supplémentaire pour le rendre plus poignant, mais ce qui le rend un peu moins naturaliste.
Arrivé à ce stade de sa carrière, Garth Ennis a plus que fait ses preuves comme scénariste spécialisé dans les récits de guerre, maîtrisant tous les aspects de la reconstitution historique, et la narration à hauteur d'être d'humain. Steve Epting a soigné chaque planche et chaque case, avec une maîtrise extraordinaire du dosage d'informations visuelles, et une mise en scène naturaliste remarquable. Ses pages sont bien complémentées par la mise en couleurs tout aussi experte, et la qualité de la reconstitution historique est tout autant impeccable. Arrivé à ce stade de sa carrière, le scénariste est en compétition avec lui-même, avec les nombreux récits de guerre qu'il a déjà réalisés. En fonction de sa familiarité avec l'œuvre d'Ennis, le lecteur peut être ébahi à juste titre par le présent récit, ou lui en préférer d'autres qui l'auraient plus touché.