On peut se permettre pas mal de fantaisie en BD, mais, quand la série porte le nom d’un héros (Dallas Barr), on s’attend à le voir dans l’album au moins une fois ou deux. Eh bien, non. Cet épisode ne le met pas en scène, et Stileman se taille la part du lion. Evidemment, derrière ce boycott de l’action par le héros, il y a une astuce, qui nous sera dévoilée plus tard (encore que Haldeman ne soit pas très fort pour éclaircir les choses).
Pourquoi ? Parce que Haldeman persiste et signe dans ses manies quelque peu irritantes : surcharger les niveaux de lecture de l’action, placer sans crier gare des inserts de flash-back sans daigner les dater (faut comprendre de quoi on parle, à ces moments-là ! : Stileman jeune pendant la Guerre du Vietnam, planches 29-30 36-38, 45), faire assurer le narratif par de supposés médias télévisuels (tiens, les femmes y ont les nichons à l’air moins qu’avant, ça n’a l’air de rien, mais ça veut dire quelque chose !).
En plus, la situation se découvre par petites touches, et on ne comprend à peu près tout qu’à la fin de l’album, et encore ! En gros, un « Consortium » cherche des crosses à Stileman en commençant à racheter des morceaux de son entreprise d’ immortalisation, puis s’empare manu militari d’une station orbitale qui sert de base à la future colonisation de Mars (au moins, on sait pourquoi l’épisode précédent faisant allusion à la terraformation de Mars, en s’en tenant là !).
Dit comme ça, ça fait un peu « Largo Winch », des histoires de tripatouillages capitalistes entre milliardaires qui cherchent à se couler mutuellement. Pas de quoi fouetter un pauvre.
Mais – autre marotte de Haldeman – il faut bien introduire dans le récit des éléments d’actualité pour réchauffer l’intérêt du lecteur, qui s’y perd un peu dans ce labyrinthe de complots à la noix. Or, l’album est sorti en janvier 2005. Qu’est-ce qui pouvait bien être « chaud » aux d’un lecteur de 2005 ? Evidemment, le 11 septembre et ses suites (Guerre d’Irak).
Ca ne rate pas : Haldeman donne des couleurs à son Consortium en le parant de couleurs à la fois religieuses et intégristes : le mec qui le dirige est un Arabe (Habib Al Shar’a), musulman (planche 2), c’est lui qui dirige les opérations violentes, et l’idéologie religieuse qu’il trimballe n’est pas tellement musulmane, mais plutôt populiste (on ne peut avoir de droits que lorsqu’on accomplit des devoirs, on a le droit de tuer les assassins). Le Consortium a lancé une sorte de redressement moral de l’humanité entière (Le « Réveil Ethique »), et il fait exécuter ses basses œuvres par des bandes de fanatiques violents, les « Jolly Rogers », qui nettoient la racaille dans les rues (planches 14, 16-17, 27), et même le président des Etats-Unis tient compte du fait que beaucoup de ses électeurs soutiennent les méthodes expéditives du « Réveil Ethique », condamné par la gauche et les libéraux ; il va même jusqu’à faciliter les violences de Habib (planche 33).. Le Consortium vogue donc un peu entre Front National, Al-Qaïda et populisme. Il veut que la colonisation de Mars marque le début d’une nouvelle humanité « spirituelle » (planche 15) (on croirait entendre le Jédédiah d’ « Antarès », de Léo !). Pour autant, leur foi est un peu floue (planche 26).
Eléments non expliqués : Habib et son copain Garibaldi sont toujours vivants, alors qu’ils auraient dû passer l’arme à gauche depuis longtemps, puisqu’ils ne prennent pas le traitement Stileman, et Habib voit son QI augmenter rapidement de moitié (planche 18).
Donc, Stileman est le héros de cet épisode. Il a quand même quelque bizarreries : il conduit les Formules 1 que Dallas, disparu, conduisait 10 ans avant (on ne savait pas qu’il était branché bagnoles). Il se jette sur Sarabande, la fille de son ennemi Garibaldi, et va jouer les amoureux avec elle à Paris (planches 40-42) ; il perd facilement à l’escrime, alors que Stileman était champion en la matière...
La fin est très « mouvementée », et ouvre la porte à l’épisode final du « polyptyque » Dallas Barr (désigné comme tel sur les pages de garde) ; on n’en dira donc rien. On remarque que sur la couverture, un sablier presque vide accompagne désormais le nom de « Dallas Barr ».
Le monde de 2095 selon Haldeman (ben oui, on a encore avancé de dix ans, faut bien que Stileman gagne son pognon, quand même !) est de plus en plus sombre : les assassins peuvent porter plainte contre leur victime (mais comme elle est morte, la plainte se reporte sur la proche famille...génial ! – planche 3), la corruption pourrit toute la société (planche 2).
Marvano dessine bien ses voitures de course (planches 3 à 9), mais ça fait bizarre que les Formules 1, en 2095, aient toujours le même look que les bagnoles dans les « Michel Vaillant » de 1960 et suivantes. Le paysage lunaire (planche 5) fait joli sur une carte postale, mais on doit s’y enquiquiner rapidement. Depuis 10 ans, le siège de Stileman sur Lignumvitae Key a pris de l’étoffe : il ressemble à un énorme barrage (planche 13). Belle épave d’avion transformée en résidence de luxe (planche 21).
Un récit bien pensé, mais un peu trop elliptique et usant de trop de manies, telles que la répétition à l’identique ou presque de plusieurs vignettes à la suite (planches 1, 38). On ose espérer que l’épisode final saura tirer parti de toute la complexité des personnages et des situations ainsi mis en scène, mais les épisodes précédents font craindre quelques facilités à ce sujet.