Scars
6.6
Scars

Comics de Warren Ellis et Jacen Burrows (2020)

Faut-il rétablir la peine de mort ou se faire justice soi-même ?

Ce tome regroupe les 6 épisodes de la minisérie initialement parue en 2002/2003 ; il s'agit d'une histoire complète. Cette édition est en noir & blanc avec des tons gris.


Dans la première page, une jeune fille jour sur une balançoire, puis à cache-cache avec son père que l'on ne voit pas. Elle semble avoir une dizaine d'années et la scène se passe dans un grand jardin public. Dans la scène suivante, Pat Amersham et John Cain arrivent sur la scène d'un crime. Il s'agit d'une livraison de drogues qui a dégénéré en exécution sommaire des responsables du laboratoire clandestin. John Cain découvre que les trafiquants se servaient de nourrissons pour faire transiter la drogue aux frontières. De retour au commissariat, leur supérieur leur confie une nouvelle enquête : le corps d'une jeune fille d'une dizaine d'années a été découvert découpé et empaqueté dans 3 cartons abandonnés devant un magasin d'articles d'occasion pour enfants. Après examen, Wendy Niles, le médecin légiste, leur indique que la jeune fille a été charcutée alors qu'elle était encore vivante. Elle a été torturée pendant 3 semaines.


Warren Ellis explique dans les textes qui complémentent le récit que ce dernier lui a été inspiré par l'angoisse qu'il éprouve à l'idée que sa fille puisse être victime d'un détraqué. Il raconte également qu'il a eu l'occasion à plusieurs reprises de discuter avec des policiers de la brigade criminelle et qu'il en est ressorti que les comptes-rendus criminels que l'on peut lire dans les journaux sont édulcorés par rapport à l'horreur réelle des faits. Il indique enfin qu'il souhaitait examiner quelle stratégie psychique un individu normal (John Cain) doit mettre en place pour accepter l'existence d'actes aussi monstrueux perpétrés par un autre être humain.


Autant le dire tout de suite, je ne suis pas convaincu du résultat. Pour commencer, Ellis a souhaité faire de son personnage principal (John Cain), une victime. Je ne vois pas ce que ça apporte à l'histoire. Au vu des nombreux crimes abjects sur lesquels il enquête, John Cain est déjà assez éprouvé comme ça par la noirceur des horreurs dont il est le témoin a posteriori. Ensuite, Ellis se focalise uniquement sur John Cain. Le lecteur ne développe aucune empathie pour les victimes qui restent juste au niveau des statistiques. Il n'assiste pas aux horreurs commises par le meurtrier (ce n'est pas plus mal), mais il n'a pas non plus accès à son psychisme. Le lecteur est donc invité à suivre un homme déjà accablé par son métier et son histoire personnelle et qui va souhaiter trouver comment mettre un terme aux atrocités commises par le meurtrier. Il s'agit d'un thème que Garth Ennis a développé à de nombreuses reprises et avec différentes approches dans la série du Punisher MAX. Par comparaison, l'approche d'Ennis semble superficielle, peu crédible et trop fermée.


Il reste cependant plusieurs passages qui sortent de l'ordinaire et qui évite à cette histoire de sombrer dans une enfilade lieux communs. À plusieurs reprises, Ellis fait partager à son lecteur l'horreur absolue de la barbarie des crimes perpétrés. Il ne s'agit pas de se vautrer dans un voyeurisme cauchemardeux. Les illustrations se limitent à des représentations simples, sans sensationnalisme. Mais la matérialité est inéluctable : le lecteur ne peut pas faire abstraction de l'anormalité de ce qui lui est donné à voir (ossements presque dissous, ou membres découpés). Il ya également un moment incroyable, celui où John Cain a l'intuition de l'identité du coupable. Ellis et Jacen Burrows (l'illustrateur) montrent en 3 pages (dont la dernière est muette) John Cain en train d'associer les éléments disparates dans son esprit. Par le biais de cette scène en pleine, rue, les créateurs mettent à nu le processus intellectuel du personnage de manière magistrale.


Je suis également assez partagé sur le travail de Jacen Burrows. C'est l'illustrateur en titre de la maison d'édition Avatar Press. Il a déjà collaboré avec Ellis sur Dark Blue, avec Garth Ennis pour Crossed et sur des adaptations de texte d'Alan Moore comme The Courtyard. Il a illustré en 2010 et 2011 un nouveau scénario d'Alan Moore intitulé Neonomicon. Il utilise un style plutôt épuré (il ne reste que les traits nécessaires) et presque dépourvu d'ombrage (ces derniers étant figurés par les nuances de gris). Ses décors sont assez détaillés et très prosaïques. L'ordinateur du médecin légiste ressemble à un ordinateur, et pas à un jouet. Les places de stationnement disposent de bordures pour éviter que les véhicules se collent au trottoir. En fait l'apparente simplicité et le dénuement relatif de ses dessins trompent l’œil du lecteur. Burrows transcrit la réalité avec un sens très sûr du détail significatif. Par contraste, les visages des individus semblent plus dépouillés, plus simples, ce qui rapproche le lecteur d'eux, tout en leur enlevant un peu trop de réalisme pour ce genre de récit.


Scars se lit rapidement, en mettant le lecteur face à des réalités qu'un individu normal préfère éviter de regarder en temps normal. Le scénario comporte quelques éléments artificiels qui ne semblent là que pour permettre au récit d'aboutir au dénouement (l'acquisition trop opportune d'une arme à feu illégale par John Cain), et les illustrations ont une apparence légèrement éthérée qui dessert par endroit ce fait divers très noir.

Presence
6
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le 13 sept. 2020

Critique lue 64 fois

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