Ce tome fait suite à Urban: Enquête immobile (4) (2017) qu’il faut avoir lu avant ; c’est le dernier tome de la pentalogie. Il faut avoir commencé par le premier tome, car il s’agit d’une histoire complète. Sa première publication date de 2021. Il a été réalisé par Luc Brunschwig pour le scénario, et par Roberto Ricci pour les dessins et les couleurs. Il compte soixante-douze pages de bande dessinée en couleurs. La série a bénéficié d’une réédition en intégrale en 2023, d’un format plus petit. Il comprend cinquante-huit pages de bande dessinée.
26 mars 2019, au siège du ministère de l’éducation, se tient une commission sénatoriale, sur un projet d’une série de dessins animés, destinée à lutter contre la violence juvénile, par cette forme de prévention. Jason O’Flaherty, conseiller à l’éducation pour le gouvernement du Massachussetts s’adresse à la créative venue présenter son projet. Il souhaite savoir pourquoi elle a fait le choix d’un héros d’origine amérindienne. Il estime que c’est un choix un peu curieux : les indiens d’Amérique ne représentent plus que 1% de la population de du pays, ça semble assez peu représentatif de la cible visée par le projet. La présentatrice demande s’il aurait peut-être préféré un héros blanc. Le conseiller indique blanc, ou afro-américain, ou même hispanique, un personnage correspondant davantage au public concerné. La demoiselle répond en exposant la logique de ce choix : il leur a semblé que l’un ou l’autre de ces choix risquait de disqualifier une des communautés citées, qui aurait pu ne pas se reconnaître dans ce héros. En revanche, toutes ces catégories admettent volontiers que l’Amérindien est le représentant parfait de toutes les violences et de toutes les injustices que des humains sont capables d’infliger à d’autres humains sur le sol américain. Un cocktail particulièrement révoltant que ressentent très fort les enfants défavorisés qu’ils veulent toucher à travers cette série de dessins animés. Faire de l’un de ces êtres malmenés et en colère un personnage qui exerce la justice plutôt que la vengeance a paru une bonne façon d’inviter tous ces gamins à davantage respecter les forces de l’ordre.
L’intervenante continue en racontant l’origine du héros. C’est un Cheyenne nommé Laughing Raccoon, son peuple lui a attribué ce nom parce qu’il est particulièrement habile de ses mains et toujours heureux de vivre. Et ce jour-là, Raccoon est plus heureux qu’il ne l’a jamais été : son premier fils vient de naître, quelques minutes à peine avant que le récit commence. Pour que sa compagne Héta puisse accoucher, ils ont dû s’arrêter en chemin alors que leur tribu poursuivait sa route vers le Sud et les terrains de chasse hivernaux. Une fois son fils venu au monde, le couple reprend sa route, Laughing Raccoon ayant facilement retrouvé les traces du passage de la tribu. Survient un détachement de soldats américains dont le commandant force Laughing Raccoon à les conduire à leur tribu, sous peine de tuer son fils. Une fois la tribu rattrapée, il s’en suit un carnage.
Dernier tome : le lecteur est partagé entre dévorer les pages pour savoir comment l’histoire se termine (Qui survit ? Qui gagne ?) et l’envie de savourer la fin de son séjour à Monplaisir. Il s’est habitué à la structure du récit et il se doute que la ligne temporelle du présent du récit, en 2059, sera entrecoupée de retours en arrière pour révéler des faits et des actions qui expliquent certains comportements bizarres (celui de Julia Buzz, la sœur de Zach), ou montrer ce qu’il advient également des personnages secondaires (comme le tueur à gages Antiochus Ebrahimi). Le scénariste comble l’horizon d’attente de son lecteur. Avec des scènes attendues par exemple une dernière partie d’Urban Interceptor, avec une proie de choix. Il va même au-delà de ses attentes du lecteur en évoquant la création du personnage de Overtime dans la série de dessins animés du même nom, ou encore en montrant comment Sikorsky a évolué au sein des Interceptors. Toutes les solutions de continuité sont levées, qu’il s’agisse du sort de la jeune femme opérée à la fin du tome trois, ou de la survie de Merenia Alicia Colton après s’être tranché la gorge dans une ruelle désaffectée : les pièces du puzzle s’assemblent parfaitement. Arrivé à la fin le lecteur se rend compte que l’histoire s’est déroulée dans une durée assez courte : du 24 juin 2059 au 04 juillet de la même année, période à laquelle s’ajoutent les retours en arrière, en 2019 et en 2049. À la rigueur, le lecteur peut trouver le laps de temps entre les années 2010 et 2059, un peu court pour que l’humanité puisse coloniser d’autres planètes. Il peut également envisager cet état de fait comme un déroulement alternatif de l’Histoire.
Dans ce tome à la pagination supérieure à celles des précédents, les moments mémorables abondent, entre scène attendue (le moment de gloire de Zachary Buzz est enfin arrivé), et celles qui ne pouvaient pas être anticipées. D’entrée de jeu, le lecteur ne s’attendait pas à assister à une conférence exposant les choix de conception d’un personnage de série de dessins animés : belle salle spacieuse équipée de rangées de tables avec des micros pour chaque participant, de beaux fauteuil, bien sûr un écran géant qui diffuse l’épisode pilote, celui-ci recourant à une palette de couleurs bien distincte (des teintes plus vives), et des formes un peu plus anguleuses que celles des scènes dans la réalité du récit, avec une magnifique reconstitution d’une demeure de riche propriétaire en 1895. La séquence suivante fonctionne également sur un plan de prise de vue et de mise en scène complexe : une scène de foule se ruant sur les pistes du port des navettes spatiales pour pouvoir évacuer Monplaisir : les quelques policiers qui tentent de contenir le mouvement de foule, la pression de la masse, les gens qui tombent par terre et qui sont piétinés, la panique faisant prendre risques inconsidérés… et l’atroce accident qui ne manque pas de survenir. Le lecteur éprouve la sensation de se retrouver un observateur impuissant, avec une suite de cases, ou d‘une suite de plan lui permettant de parfaitement comprendre ce qui se passe, tout en restant à niveau d’être humain. Autre séquence sous tension : Zachary Buzz se retrouvant sur un plateau d’enregistrement pour prononcer un discours apaisant dont le texte défile sous ses yeux, en présence de Springy Fool, d’A.L.I.C.E. et Narcisse Membertou : un espace plus réduit, moins de personnages, l’état d’esprit de Buzz fluctuant au gré de ses convictions parfaitement intelligibles au lecteur qui éprouve chacune de ses hésitations, de ses changements d’attitude.
Le lecteur savoure également à l’avance le sens du détail de l’artiste. Il sait qu’il va jouer à reconnaitre les personnages dont les vacanciers ont revêtu le costume, dimension ludique fort agréable grâce à la capacité exceptionnelle du dessin à en restituer les caractéristiques essentielles. Ça fait toujours plaisir de reconnaître des artefacts culturels, et ce n’est pas grave si on en rate un ou deux. Par exemple Thor, Black Cat, Cyclops, Deadpool, Elastigirl (Indestructible), Rorschach, Goldorak, Captain Marvel, Bane, Robocop, Link, Raphael (Tortues Ninjas). L’attention portée au détail s’étend au-delà des costumes : comme dans les tomes précédents, sans aucune baisse d’implication ou d’investissement du dessinateur, la ville de Monplaisir présente une consistance remarquable qui la rend tangible, à la fois les détails, à la fois la cohérence d’un tome à l’autre : la forme des vaisseaux spatiaux, l’uniforme des policiers, les néons innombrables aux façades de Monplaisir, le hall d’accueil du bâtiment abritant les studios d’enregistrement (et les ronds sur les joues des robots), la chambre et le matériel médical pour l’opération de Merenia Colton, l’ameublement de la chambre d’hôtel d’Antiochus Ebrahimi avec le sac de voyage posé sur le sol, le luxueux appartement en duplex de Buzz, les dernières vues de la ville alors que le nettoyage arrive à son terme, etc.
Dans les faits, le lecteur dévore les pages parce qu’il a hâte de découvrir la suite, ce qu’il advient des personnages : Zachary Buzz idéaliste, Springy Fool et son comportement obsessionnel et tyrannique, Ishrat Akhtar et son état de santé, Merenia Colton et sa colère, et même A.L.I.C.E et son raisonnement purement logique. Dans le même temps, il ralentit un peu sa lecture pour prendre un peu de recul, conscient des conséquences à moyen et à long termes, et des thèmes abordés. Il y est question de maternité, avec des circonstances très différentes, des attentes de la future mère très personnelles, des réactions du futur père aux motivations individualisées, pas toujours bienveillante, et atteignant un niveau d’égocentrisme inimaginable pour l’un d’entre eux. N’ayant pas accès aux mécanismes de fonctionnement de l’intelligence artificielle d’A.L.I.C.E., le lecteur ne peut que supputer sur la nature des raisonnements qui dictent ses actes. Le personnage d’Overtime surprend le lecteur : il ne s’attendait pas à ce que les auteurs développent la genèse de sa création, encore moins son épisode pilote. Dans le même temps, s’ils y consacrent dix pages, cela induit qu’il y a une intention : montrer comment les adultes fabriquent de tout pièce les modèles montrés aux enfants, comment un de ces enfants, animé par une vision dichotomique du bien et du mal, se conduit en cohérence avec les valeurs morales de son héros, de ce modèle. En filigrane, le lecteur retrouve également une structure politique gouvernant soit pour le profit capitaliste, soit pour son propre ego.
Ce dernier tome comble l’horizon d’attente du lecteur, et le dépasse de bien des manières. L’ensemble forme un récit de science-fiction solide et généreux, intelligent. La narration visuelle fait montre d’une rare consistance et d’une rare richesse en termes d’inventivité, de représentation et de description de ce futur. S’appuyant dessus et s’en nourrissant, l’intrigue s’inscrit à la croisée de deux genres, science-fiction et polar, avec des personnages incarnés et diversifiés, et des réflexions nourries sur le modèle donné aux enfants, la police et la justice, la société du spectacle, les vacances comme exutoire à une année de travail au service de la production marchande et capitaliste, l’intrication des intelligences artificielles dans le quotidien et dans le long terme.