Ce tome fait suite à Mortelle Fantaisie - Die, tome 1 (épisodes 1 à 5) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il regroupe les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2019, écrits par Kieron Gillen, dessinés, encrés et mis en couleurs par Stéphanie Hans. Seul le lettrage a été réalisé par une autre personne : Clayton Cowles. Le design de la publication a été confié à Rian Hughes. Le tome se termine avec 5 essais rédigés par Gillen, sur deux influences principales pour l'épisode 6, les implications d'un espace libre à combler, les règles d'un système comme celui qui régit un jeu de rôle, l'influence des créations de jeunesse des sœurs Brontë, la dynamique de la collaboration entre lui et l'artiste, l'importance des couleurs pour exprimer les émotions.
Dans les ruines de la cité de Glass Town, l'armée de la Prusse Éternelle s'est installée comme force d'occupation. Matthew, Isabelle, et Angela avec son chien Case sont obligés de se cacher, dans une pièce en sous-sol, où ils ont enchaîné Solomon. Neo (Angela) revient en ayant réussi à récupérer 6 morceaux d'or féérique, l'énergie qui lui permettrait de réaliser leur fuite. Mais il faudrait 10 morceaux pour pouvoir emmener tout le monde, et 6 est le maximum qu'ils aient réussi à récupérer en une journée, sachant que cette forme d'or dégénère à l'aube. Matthew essaye de convaincre Neo de sacrifier l'un d'entre eux, de le laisser en arrière. Pendant cette discussion, Solomon indique à Isabelle qu'il accepte de répondre à une unique question. Elle lui demande comment il a fait pour bâtir ce monde, pour construire Die. Il répond que c'est la seule question à laquelle il ne donnera pas suite. Isabelle se tourne vers Angela et abonde dans le sens de Matthew : il faut qu'Angela accepte de sacrifier son chien Case, de ne pas lui donner les 4 morceaux d'or quotidien cruciaux s'ils veulent pour s'évader de cette cité en ruine. Jamais répond-elle, et elle disparaît.
Neo s'est servi des morceaux d'or féériques qu'elle avait ramené comme carburant pour ses extensions cybernétiques, et se téléporter à l'extérieur de la cité avec son chien, hors de portée de l'armée d'occupation. Elle l'incite à trouver d'autres morceaux d'or, tout en lui parlant. Elle évoque à haute voix l'époque où elle a travaillé dans le milieu du jeu vidéo : leur coût de développement en millions, sa propre expérience de développeuse, les périodes de Crunch qui peuvent durer très longtemps, la pression qu'elle-même a endurée ce qui l'a conduite à quitter son mari. Mais sa copine Susan l'a alors repoussée ne voulant pas passer pour la briseuse de foyer. Ses propres enfants n'ont pas compris son geste. En continuant à marcher, Neo et Case sont parvenus à déjouer la vigilance d'une sentinelle et à pénétrer dans le sanctuaire des dieux qui ont donné ses capacités cybernétiques à Neo. Les deux entités divines l'attendaient et lui déclarent savoir pourquoi elle est venue : pour leur rendre leur don et que tout redevienne comme avant. Elles lui demandent de choisir ce qu'elle va rendre : le bras ou le chien. Elle leur répond que dans la réalité elle a perdu son bras il y a plus de trente ans.
Le lecteur replonge dans le monde Fantasy du jeu de rôle Die et retrouve les 6 joueurs devenus adultes, dans des situations de jeu de rôle. Le scénariste continue donc de jouer sur trois tableaux : le jeu de rôle au premier degré, l'évocation de la création d'un monde imaginaire, et le décalage d'un jeu pour les adolescents dont les adultes font l'expérience. Alors oui, les clichés propres au jeu de rôle de ce genre sont bien présentes : le petit groupe qui doit échapper à une méchante armée d'occupation, la fuite à dos de dragon, le bagarreur qui se tape la reine des elfes au cours d'une nuit dont il se souviendra à tout jamais, l'autre partie du groupe qui bénéficie du luxe d'un palais, la balade dans une nature verdoyante et riante, la prison improbable avec les détenus sous des cloches de verre, l'ascension sur le trône, sans oublier l'utilisation de pouvoirs magiques. Comme pour le premier tome l'artiste donne de la consistance et une allure certaine à ces éléments : l'impression de façades éventrées de Glass Town, l'envergure du dragon et ses ailes de cuir, le corps chaud et doux de la reine des elfes, les jardins verdoyants du palais, les reflets sur les cloches de verre, l'ambiance lumineuse verte en pleine nature, le trône ouvragé, etc. Stéphanie Hans sait trouver le bon point d'équilibre entre la forme générale de chaque élément et le jeu des couleurs, sans descendre à un niveau de détails qui fixerait trop les choses dans l'œil du lecteur. Pour que ces éléments soient totalement concrets, il lui reste à faire un effort d'imagination, à nourrir ces éléments fantastiques avec sa propre imagination, sa propre fantaisie, ce qui les rend encore plus merveilleux, car pas entièrement saisissables.
Comme dans le premier tome, l'auteur prend le lecteur par surprise avec l'évocation de la création d'un monde imaginaire. Pourtant c'est le cœur du jeu de rôle : imaginer des aventures dans un monde créé de toute pièce. Dans le premier tome, il évoquait les sources d'inspiration de JRR Tolkien, pas celles issues de contes et légendes, mais d'autres. Ici, le lecteur commence par se demander ce que vient faire une célèbre sororité et leur frère Bantwell dans l'épisode 9. Ça arrive comme un cheveu sur la soupe, en ayant l'air de n'avoir aucun rapport avec l'intrigue et les six adultes coincés dans le monde de Die. Le décalage est d'autant plus important, que l'artiste joue également le jeu, passant d'un mode en couleur directe, à des silhouettes détourées à l'encre d'un trait fin, avec une mise en couleur beaucoup moins riche. Les décors étant également moins consistants, le lecteur éprouve presque l'impression de découvrir un conte dans le récit, comme si la réalité de ces faits historiques avait moins de consistance que le monde imaginaire de Die. Il lui reste à faire confiance aux auteurs en se disant qu'il ne s'agit pas uniquement pour eux de se faire plaisir et qu'il y a au moins un lien thématique avec l'intrigue. C'est bien sûr le cas, et même un peu plus, une des sœurs faisant réellement partie de Die, comme une émanation de l'empreinte que son œuvre a pu laisser dans l'esprit d'une des joueuses, ou d'un des joueurs, ayant donc apporté des matériaux de construction à Die par son entremise.
L'une des particularités marquées du récit réside dans le fait qu'il s'agit d'adultes coincés dans le monde imaginaire d'un jeu de rôle, ayant atteint la quarantaine. Ils peuvent à la fois se conduire comme des héros d'aventure, avec des capacités physiques extraordinaires, ou des pouvoirs magiques, et à la fois considérer ce qui leur arrive avec le recul de l'expérience. L'artiste joue en creux sur ce registre. Elle n'affiche pas de manière manifeste l'âge des personnages, mais elle met en jeu une direction d'acteurs qui ne correspond ni à des adolescents fougueux tout le temps dans l'action, ni à de jeunes adultes de moins de trente ans sûrs de leurs prouesses physiques. Le lecteur peut très bien ne pas s'en rendre compte, car cela n'empêche des scènes de combats et des scènes de merveilleux. Même s'il ne le perçoit pas de manière consciente, il voit des adultes déjà installés dans la vie évoluer sous ses yeux. Il en va de même pour leurs considérations et leurs réflexions. L'objectif principal reste le même et est indépendant de leur âge : regagner le monde réel, reprendre le cours de leur vie. Leur expérience de la vie leur fait porter un regard différent sur les péripéties et les caractéristiques de ce monde imaginaire. Par exemple, dans le tome 1, Angela a profité de son pouvoir pour s'offrir un caprice en ramenant à la vie, d'une certaine manière, son chien Case, car elle peut payer le prix de ce caprice. Mais ce prix s'avère plus élevé que ce qu'elle pensait, avec des conséquences qui la place dans un dilemme moral complexe. Elle ne fonce pas dans le tas, mais elle prend le temps de la réflexion, d'envisager la situation et ses conséquences, sur un terme plus long que les simples jours à venir. Dans un autre ordre d'idée, Chuck a la possibilité d'assouvir ses pulsions sexuelles avec la reine des elfes et il ne s'en prive pas. Cela ne l'empêche pas de se rendre compte de ce qu'incarne cette reine des elfes, des fantasmes à lui qui ont conduit à la façonner comme elle est. Dans encore un autre registre, Isabelle a le pouvoir de faire obéir les dieux à sa volonté, avec là aussi un prix à payer, mais pas immédiatement. Ce mode de transaction ressemble à une métaphore : cette femme sait utiliser ses émotions pour manipuler les autres ou les conduire à agir dans son intérêt, mais cela s'accompagne également de conséquences, sur sa vie, sur ses valeurs, sur le type de relation qu'elle peut développer avec les autres.
Le premier tome proposait au lecteur un postulat aussi simple que prometteur : plonger des adultes dans le monde de leur jeu d'adolescents. Stéphanie Hans avait prouvé sa capacité à donner à voir un monde de fantasy de manière personnelle, au-delà d'une accumulation de clichés visuels. Kieron Gillen avait tenu la promesse de vrais adultes avec une vie derrière eux, dans un monde de fantasy. Ce deuxième tome confirme le statut d'auteur de l'un comme de l'autre. L'artiste sait impressionner le lecteur avec de magnifiques visions, tout en restant dans un registre prioritairement narratif, et en faisant passer des éléments essentiels de manière visuelle et presque subconsciente. Le scénariste parvient à conserver les différents niveaux de narration : aventures au premier degré, prise de conscience des sentiments, des émotions et de l'éducation qui ont servi de matériau pour construire ce monde, et processus complexe d'invention d'un monde imaginaire à plusieurs. Enfin, il se sert de ce récit de genre comme de révélateur pour les personnages, pour des adultes prenant conscience des forces qui les travaillent.