Scott Pilgrim raconte le quotidien d'un jeune adulte (24 ans) de Toronto, jouant de la basse dans un groupe local, vivant en colocation avec un ami cool et gay, et tombant sous le charme d'une américaine fraîchement rencontrée. Celle-ci l'averti alors qu'il va devoir battre ses sept ex petits amis maléfiques avant de pouvoir sortir avec elle. Scott Pilgrim s'est notamment fait connaître à travers le film Scott Pilgrim VS The World et son univers loufoque et absurde, agrémenté de pop-culture contemporaine.
Le premier détail qui m'a touché est que le comics est bien écrit : les dialogues sonnent vrais, et on s'identifie immédiatement aux personnages. Cette prouesse est réalisée par une abondance de subtilités que l'on ne retrouve que rarement dans les autres oeuvres qui tentent de montrer des interactions sociales, et en particulier amicales et amoureuses. Par exemple, la bande d'amis de Scott s'insultent régulièrement entre eux (qui montre en réalité une certaine affection, tendresse), et ont des délires personnels qui sont montrés sans être expliqués.
Au delà du réalisme, ce qui fait la force de ce comics est sa trame principale chargée en symboles. L'enjeu essentiel du comics (le combat des ex petits amis maléfiques de Ramona), est la quête de Scott (dont le nom est "Pèlerin" en anglais) ayant pour finalité de construire une relation avec Ramona. Ce combat, bien que présenté de manière littérale, est symbolique. Rencontrer chaque ex petit ami, c'est rencontrer les grandes étapes qui ont forgé la personne de Ramona. Chaque relation passée a eu un impact sur elle, et a fait ce qu'elle est aujourd'hui. Apprendre à connaître ses exs, c'est à la fois apprendre à connaître ce qui attire Ramona, mais également ce qui ne la rend pas heureuse et la fait fuir (du fait même qu'il s'agit de relations passées dont elle a elle-même mis un terme à chaque fois). Lorsque Scott "bat" les exs de Ramona, il assimile symboliquement une de ses facettes qu'il ne connaissait pas, en accepte le contenu, et s'"enrichit" en connaissance (symbolisé par l'argent qu'il gagne à chaque fois). Chaque ex battu, c'est un morceau de la personne de Ramona qui est assimilé par Scott. "Pour pouvoir sortir avec elle, il devra battre ses sept ex petits amis maléfiques" : pour construire une relation durable avec elle, il devra apprendre à la connaître et accepter le fruit de ses expériences, notamment amoureuses (qui sont bien souvent révélateurs de notre personnalité), et ainsi accepter sa personne en entier. Lorsque Scott rencontre Gideon, le dernier ex maléfique de Ramona, il l'achève grâce au "pouvoir de la compréhension" matérialisé par une épée du même nom.
Cette quête, bien que l'histoire soit centrée sur le point de vue de Scott, Ramona la poursuit symétriquement et affronte également les exs de Scott (Knives, Kim, Envy, Lisa), allant également parfois jusqu'au combat avec Envy. Cette dernière, ironiquement nommée "Envy", renvoie Ramona à sa propre envie de se trouver (on voit d'ailleurs qu'elle se cherche par son changement incessant de couleur de cheveux) et de s'apprécier (Gideon évoque à la fin du manga Ramona : "cette fille qui se déteste").
D'autres symboles parsèment l'ouvrage. Notamment, on voit, à plusieurs reprises, la tête de Ramona briller, ce qui déclenche systématiquement un renfermement sec auquel Scott se retrouve souvent désarmé. La sens est explicitement donné à la fin du manga, lorsque Scott brille à son tour face à Gideon : "Ca t'enferme dans ton esprit. Seul face à tes problèmes. Et quand t'es touché c'est foutu. Fini. Ca devient chronique."
Tous les ressorts humoristiques et absurdes inspirés de la pop-culture et qui ont fait connaître la série viennent ponctuer le récit, mais sont en réalité totalement anodines. Chaque situation excentrique est systématiquement oubliée, et on ne revient plus jamais dessus, elle n'est qu'un délire local, une apparté saugrenue. Là où le film Scott Pilgrim vs The World se plante lamentablement, c'est que ces petits détails plastiques (qui ne sont que des artifices rigolos dans le comics) constituent l'entièreté du film qui oublie (ou ne comprend même pas) les réels intérêts du comics. Le film est ainsi un catalogue exhaustif des situations délirantes du manga, sans jamais mentionner ses aspects profonds (un peu à l'image de la suite bidesque de Donnie Darko). Cette lecture pauvre du manga s'en ressent d'autant plus dans le choix de l'acteur principal : Michael Cera (traits fins, attitude fébrile, voix féminine), qui est l'opposé du personnage de Scott Pilgrim (viril, impulsif, profondément masculin).
Scott Pilgrim est ainsi un comics riche où chaque dialogue et chaque détail construisent un ensemble de relations subtiles qui renvoient très souvent à des interactions que l'on a vécues et des émotions que l'on a ressenties, et chaque élément symbolique vient apporter de la profondeur au comics et de l'introspection au lecteur quant à ses propres démons intérieurs.