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Seaguy
7.6
Seaguy

Comics de Grant Morrison et Cameron Stewart (2005)

À suivre du doigt comme un boustrophédon

Ce tome est le premier d'une trilogie dont seuls les 2 premiers volets ont été réalisés, et seul le premier a eu les honneurs d'un recueil. Il contient les 3 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2004, écrits par Grant Morrison, dessinés et encrés Cameron Stewart, avec une mise en couleurs réalisée par Peter Doherty. La deuxième partie comprend également 3 épisodes qui sont parus en 2009.


À la terrasse d'un café, dans une ville balnéaire, Seaguy est en train de disputer une partie d'échec avec un squelette en pantalon noir et teeshirt marin, avec un canotier sur la tête. Il s'agit de la mort elle-même. Juste derrière Seaguy, flotte un poisson dans l'air, avec un cigare aux lèvres : Chubby, le compagnon de Seaguy, doué de la parole. C'est au tour de Seaguy de jouer, et il déplace la reine noire, alors qu'il joue avec les blancs, tout en déclarant un échec et mat. Dépitée, la mort envoie valdinguer les pièces du jeu et s'éloigne que la prochaine fois ce sera à son tour de gagner. Seaguy et Chubby se rendent alors sur le pont du bateau de plaisance de Seadog, un vieux loup de mer. Celui-ci se plaint qu'une pierre venue de la Lune a traversé le toit de son habitacle. Lorsqu'il observe la pierre, Seaguy se rend compte qu'elle comporte des inscriptions dans une écriture qui se lit en boustrophédon. Les regards de Seaguy, du marin et de Chubby sont attirés par une jeune femme à barbe She-Beard qui vient s'installer sur le quai pour s'entraîner à l'épée, tout en déclarant à haute voix qu'il n'y a plus d'homme digne de ce nom, capable de prouver leur courage et auquel elle se donnerait alors sans condition.


Seaguy se rend à la supérette, avec Chubby, pour faire ses courses. Tous les produits comestibles sur les rayonnages sont à base de Xoo, ou en contiennent. Seaguy interroge le caissier sur cette nouvelle marque : il ne peut que lui dire que c'est la nouvelle mode, sans savoir ce que c'est exactement. En sortant de la supérette Grub-Food, Seaguy et Chubby marquent un temps d'arrêt devant la statue commémorative de Teknostrich, le superhéros qui a combattu l'Anti-Dad et a donné sa vie lors de ce combat. Pour rentrer chez lui, il décide de prendre le Buggy, une cariole tirée par un cheval parlant portant un chapeau de paille. Alors qu'ils ont pris place dans la carriole, une petite météorite venue de la Lune avec des inscriptions en écriture boustrophédon lui traverse le crâne. Seaguy et Chubby rentrent à pied. Ils s'installent dans le canapé, devant la télé, avec un plateau repas et une canette de Xoo pour Seaguy. Ils regardent un dessin animé de Mickey Eye, dont la diffusion est interrompue par un flash d'informations où un reporter sur le pont d'un navire indique que l'équipage est attaqué par des animaux géants en ballon de baudruche qui les picorent à mort. Le lendemain, Seaguy et Chubby se rendent au parc d'attraction Mickey Eye. Seaguy achète un paquet de chips au goût de chapeau melon. Ils assistent à une petite averse de météorites et ils croisent Doc Hero, un superhéros qui a perdu ses pouvoirs et qui en retrouve la sensation en faisant des tours de manèges volants.


Wouaaah !!! La couverture est déjà un bon indicateur de ce que le lecteur va trouver à l'intérieur. Elle montre un jeune homme en combinaison de plongée (mais sans palme), avec sa cagoule et son masque relevé sur front, un poisson volant à ses côtés, et une sorte de serpent rose courant à ses pieds. Effectivement, Seaguy porte cette tenue tout au long de l'histoire, sans jamais en changer quelles que soient les circonstances. De manière finalement très logique, le poisson volant ne supporte pas l'eau, et ne sait pas respirer sous l'eau. La femme à barbe est une guerrière qui a repris la promesse de Red Sonja : ne se donner qu'à l'individu qui la battra au combat. Les aventures de Seaguy sont tout aussi loufoques et l'emmènent d'une plateforme pétrolière à la face cachée de la Lune, en passant bien sûr par Atlantis. Dans des interviews, Grant Morrison a expliqué qu'il a créé et conçu ce personnage en réaction aux comics de superhéros de type noir et violent. Il a également indiqué que cette première histoire s'apparente à l'âge de l'enfance, la seconde à l'âge adulte, et la troisième (jamais parue) à l'âge de la maturité. Les péripéties de Seaguy ne sont donc pas à prendre au pied de la lettre, mais plutôt comme des métaphores. Avec cette idée en tête, les aventures prennent plus de sens, sans rien perdre de leur caractère absurde ou débridé. Le savoir-faire de conteur de l'auteur fait qu'il est finalement logique que les statues de l'Île de Pâques fument des clopes.


Pour mettre en images cette histoire inhabituelle, Gran t Morrison s'est associé avec Cameron Stewart, un dessinateur réalisant des cases dans un registre réaliste, avec un bon niveau de détails, et qui évite d'exagérer le caractère dramatique des situations. Enfin, à bien y regarder, Morrison et Stewart ne restent pas dans un registre inoffensif. Au fil des séquences, le lecteur peut voir un cheval à terre avec le crâne transpercé par une pierre, un œil omniprésent avec les veines rouges bien saillantes, un cadavre dont la chair se décompose sous un soleil de plomb… Les dessins ne sont pas si inoffensifs que ça. Dans le même temps, l'artiste épate le lecteur par sa capacité à faire coexister de manière harmonieuse des éléments très hétéroclites : Seaguy et sa combinaison de plongée, Chubby avec son grand sourire et pouvant porter un chapeau de pluie, des moaïs en train de cloper le plus naturellement du monde, et même une momie bedonnante. Les visages des personnages sont expressifs, généralement dans une mesure naturaliste, parfois avec exagération s'il s'agit de Chubby, d'un autre personnage caricatural, ou de l'expression de fortes émotions. Stewart se montre très investi pour représenter les différents environnements : le quai ensoleillé de la Nouvelle Venise avec les voiliers de plaisance amarrés, la décoration du petit salon de Seaguy, les différentes attractions du parc de Mickey Eye, le formidable vaisseau maritime rapide emprunté par Seaguy et Chubby, la mase imposante, les passerelles et les salles de la plateforme pétrolière, etc. Le lecteur peut donc se projeter dans chaque endroit, qu'l soit réaliste ou fantaisiste.


Grant Morrison a écrit une suite d'aventures hautes en couleurs et Cameron Stewart joue le jeu. She-Beard est une magnifique guerrière avec un habit rouge moulant et révélateur, des talons hauts et une épée effilée, sans parler de sa barbe bouclée. La défaite d'Anti-Dad se présente sous la forme d'un dessin en double page où un gigantesque être anthropoïde (rappelant de près l'Anti-Monitor) se fait attaquer par une vingtaine de superhéros, tous créés pour les besoins de cette page. Le dessinateur a l'art et la manière de rendre les yeux sur pattes avec une queue, particulièrement inquiétants dans leur absence d'expression et leur regard insistant et inquisiteur. La course-poursuite est dynamique et spectaculaire quand Seaguy et Chubby (à bord de ce navire haute vitesse) sont poursuivis par des yeux-drones. La découverte d'Atlantis transcrit bien le sentiment d'émerveillement de Seaguy devant ce site sans pareil. Le passage sur la Lune mélange avec humour et finesse les déplacements dans une gravité moindre que celle de la Terre, et les constructions inattendues qui se fondent bien dans la surface du satellite terrestre.


Même s'il ne comprend pas tout aux péripéties ou à la logique de leur enchaînement, le lecteur se laisse donc porter par la savoureuse narration visuelle, très claire. Effectivement, les aventures semblent s'enchaîner sans lien logique autre que l'inspiration du moment du scénariste. En prenant un peu de recul, le lecteur constate que l'histoire est savamment composée, et qu'il retrouve des éléments qui se répondent d'un épisode à l'autre, justifiant une bizarrerie ou une action, dans le cadre de la logique interne du récit. En prenant encore un peu plus de recul, il se rend compte que certains des éléments les plus loufoques ou des plus arbitraires agissent comme des allégories. Le squelette en canotier incarne bien la mort, et la partie d'échec peut s'interpréter comme l'insouciance de la jeunesse face à sa mortalité. Chubby peut être vu comme un ami imaginaire de Seaguy, sous la forme d'une peluche un peu râleuse. She-Beard incarne un idéal féminin à la fois hors de portée, à la fois incompréhensible. Seaguy se lance dans des aventures sans préparation, comme si le monde qui l'entoure n'est qu'un grand terrain de jeu, source d'émerveillements et de surprises sans cesse renouvelés comme pour un enfant. Le lecteur peut ainsi projeter pour partie ses propres interprétations, et retrouver des rires de passage qu'il a lui aussi accompli en passant de l'enfance vers l'adolescence.


Dans les interviews, Grant Morrison n'avait pas menti : ce récit sort de l'ordinaire, sort du moule des comics de superhéros industriels pour une narration très personnelle, un conte pour adulte maniant des épreuves du développement psychologique, avec des dessins à la fois très pragmatiques, à la fois porteur d'une étonnante poésie pour la candeur avec laquelle ils montrent des choses impossibles qui relèvent plus de la vie psychique que de la description de la réalité. Cependant, il est possible que ces choix narratifs laissent le lecteur dans l'incompréhension à quelques reprises.

Presence
8
Écrit par

Créée

le 13 avr. 2020

Critique lue 33 fois

Presence

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