Résurrection dans un jardin italien

On ne peut s’empêcher de penser à « Come Prima » à la lecture de ce nouvel opus d’Alfred, le premier point commun étant évidemment l’Italie. Mais là où le premier était un « road-novel », le second reste limité géographiquement à un seul lieu, le voyage ayant plus à voir avec l’onirisme... De même, l’auteur s’est une nouvelle fois occupé de la narration, ce qui lui avait très bien réussi en 2014 puisqu’il avait décroché le Fauve d’or à Angoulême pour sa ballade italienne…


La particularité de cette histoire est de débuter comme une comédie à l’italienne pour évoluer vers quelque chose de beaucoup plus intimiste, dans une sorte de contraste entre le jour et la nuit. Pour Germano, principal protagoniste, l’histoire commence dans une gare bruyante sous une chaleur étouffante pour se poursuivre dans ce palace un peu vétuste perdu dans la campagne et entouré d’un immense parc, où se déroule une fête de mariage, puis glisser peu à peu vers la sérénité nocturne, le moment où les masques tombent et les âmes se révèlent… Et quand ces âmes esseulées, celles de Germano et Elena, se rencontrent après s’être cherché tout un après-midi avec maladresse, et une certaine drôlerie – en grande partie à cause du côté lunaire et timide de Germano, qui par ailleurs s’est trompé d’une semaine sur la date ! -, le récit va bifurquer vers une dimension tout autre, celle d’un onirisme facilité par la tombée de la nuit et la présence même de ce parc magnifique et intemporel qui semble avancer « à mesure qu’on s’y promène ». Les deux amants d’un soir vont vivre une aventure extraordinaire et poétique, un voyage immobile entre rêve et réalité qui les arrachera pendant quelques heures — voire plus si affinités — à la pesanteur du quotidien et des angoisses existentielles…


Et si l’histoire est belle, le dessin d’Alfred vient la magnifier dans ce qui ressemble à une déclaration d’amour à la vie et, dans une autre mesure, à l’Italie, seconde patrie de l’auteur par ses origines paternelles. Pour ce qui est des personnages, on retrouve sa patte habituelle, fluide et stylisée, tandis que les paysages, tout particulièrement ceux représentant le parc et l’hôtel, se laissent admirer comme de véritables tableaux, sur une page entière ou deux. La douce atmosphère méditerranéenne assaille le regard autant que l’esprit dans un festival de couleurs et de sensations. Quel émerveillement que de contempler ces cyprès dominant les ruines du parc sous la voûte étoilée !


« Senso » est donc une belle réussite, et son titre italien en synthétise parfaitement le contenu. Le mot « Senso » veut dire tout à la fois « sens » et « sensation », deux termes qui reflètent bien cette comédie existentielle, sans parler de sa sonorité très SENSuelle… Il est de ces moments magiques dont il serait dommage de se priver. Tel un oasis de douceur, une pause bienvenue dans la course contre la montre de nos vies modernes, le roman d’Alfred nous suggère qu’une autre voie possible…

LaurentProudhon
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le 6 janv. 2020

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