Les innocents sous les bombes
Pour rendre compte de l'horreur de la guerre, Miriam Katin a eu recours à un crayonnage gras, non lissé et irrégulier, qui souligne le caractère brutal et angoissant des situations évoquées. Ce type de technique se place dans la tradition de certains récits dessinés sur la Seconde Guerre Mondiale des années 1950-1960. La couleur n'apparaît que dans quelques moments décisifs: l'avant (l'arrivée du drapeau nazi), et l'après (une vie paisible vingt ans plus tard, apparaissant comme un paradis inconcevable au moment des faits).
Parfois, l'exacerbation des émotions déforme le dessin vers la caricature anguleuse qui déshumanise les personnages et les réduit à leurs modes de fonctionnement primaires (colère, haine, survie, peur).
S'agissant d'une mère et de sa fille juives, l'empreinte de la culture juive aurait pu se faire plus prégnante; mais elle se réduit à peu de choses: une page de la Torah dès la deuxième planche, l'allusion à une école juive, et surtout l'interrogation récurrente de la petite fille sur le rôle de Dieu dans tout cela.
Cette modestie des spécificités culturelles contribue à donner une dimension universelle au récit, et à mettre en relief la primitivité angoissante qui surgit dans toute guerre: la mort qui fauche et à laquelle les innocents tentent d'échapper en hurlant ou en réprimant tout bruit de peur d'alerter le tortionnaire.
La fin laisse entrevoir l'ampleur du traumatisme: la petite fille éventre sadiquement son chien en peluche, et se demande si sa mère n'a pas brûlé Dieu.