Avec Shangri-La, Mathieu Bablet propose un roman graphique SF ambitieux, 220 pages où on en prend plein les yeux et où notre société de consommation (actuelle) est disséquée, malmenée. Graphiquement, si les personnages sont assez « laids » et demandent un certain temps d’adaptation, le travail de chaque case est assez hallucinant, une foison de détails, de lignes, qui ne sont pourtant pas indigestes du fait que les planches ont souvent une uniformité de couleur (ocre, bleu, etc.) qui aplatit le tout (peut-être un peu trop d’ailleurs). Le propos SF est plutôt crédible, il est en tout cas bien étudié et travaillé pour que l’immersion soit tout à fait réaliste.
Shangri-La possède quand même 2 défauts majeurs qui empêchent clairement de crier au génie. Le premier est le manque de subtilité de la critique de la société de consommation… Les murs de la station spatiale sont couverts d’inscription « TRAVAILLER – DORMIR – TRAVAILLER » ou « ACHETER AIMER JETER ACHETER », le nouvel « Iphone 12s » (pardon, le Tianzhu-phone 7s) est obsolète avant sa parution, etc. Or, dans le synopsis-même de Shangri-La, on peut y lire qu’il s’agit d’une « société parfaite » et cela se confirme dans le vécu transmis des habitants, toute cette réalité un peu grotesque est bien vécue par tout un chacun (ou presque). Pour autant, si cela s’était limité à des inscriptions en background, quelques petites subtilités en bord de case, ça aurait pu faire le job, mais il a fallu que les personnages soient en plus bavards à propos de ça, une avalanche de dialogues, de descriptions de choses qui sont souvent déjà montrées par le graphisme.
Le deuxième défaut tient dans son « héros » principal, un personnage que j’ai pour ma part mis 50 pages à réellement identifier et nommer (Scott) et qui est, pendant une grosse partie du livre, un « mouton » convaincu par le système. Sa loyauté n’a pas beaucoup de sens, son revirement non plus, mais globalement son caractère n’est pas intéressant du tout. On est au-delà du anti-héros ici (un concept qui marche généralement bien), on est plutôt dans le personnage inintéressant dont le profil n’est pas du tout suffisamment étoffé pour qu’on s’y attache. Les autres personnages sont à l’avenant, plutôt ennuyeux.
Pour autant, je trouve qu’il s’agit d’un récit SF tout à fait intéressant dont les défauts pourraient être gommés (spoiler alert sur le prochain article : Mathieu Bablet y est totalement arrivé dans Carbone et Silicium), avec pour preuve les incroyables prologues et épilogues de l’histoire, plus ou moins muets, à couper le souffle dans leur expression graphique et scénaristique. Et même dans la partie centrale consacrée à Scott, il y a plusieurs moments de bravoure, en particulier vers la fin avec entre autres un passage sur les animoïdes bouleversant. Une des bonnes idées de Mathieu Bablet aura d’ailleurs été de cristalliser la problématique de la différence grâce à des animaux génétiquement modifiés pour être les égaux de l’homme. Un poil trop explicite et premier degré, mais c’est une des bonnes trouvailles du bouquin. Le personnage de John, peu bavard ou juste ce qu’il faut, est attachant.
Critique publiée sur Le Bouquin de Firmin : https://lebouquindefirmin.com/2021/08/mathieu-bablet-shangri-la/