M.V.M
À compter de l'instant où un manga sportif a eu une telle influence au Japon que la fréquentation des clubs de Basket a explosé durant la décennie quatre-vingt-dix, rédiger une critique le concernant...
le 15 mai 2020
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À compter de l'instant où un manga sportif a eu une telle influence au Japon que la fréquentation des clubs de Basket a explosé durant la décennie quatre-vingt-dix, rédiger une critique le concernant s'avère dispensable.
Exposer ce simple état de fait suffit en réalité à ce que tous mesurent exactement l'envergure et plus particulièrement, l'ampleur du phénomène Slam Dunk qui fut officiellement présenté un temps au public comme le meilleur manga au monde. Les critères d'alors qui amenèrent les lecteurs à déterminer quel était leur manga favori demeuraient toutefois subjectifs. Les ré-interroger aujourd'hui reviendrait à prêter le flanc à la déconvenue avec un classement présentant à son sommet quelque immondice juchée sur un tas d'ordure.
Le manga sportif - avec le manga comique - n'a jamais été rien d'autre que le parent pauvre du Shônen. Au rang de la postérité, beaucoup d'appelés pour très peu d'élus.
Takehiko Inoue, en composant Slam Dunk, a commis le crime parmi les crimes de ce qui pouvait se considérer de pire dans les maisons éditoriales de manga : il avait relevé la barre. Il ne l'avait pas tant relevée que carrément projetée par-delà des cimes que l'Homme ne saurait fouler, au risque de manquer d'oxygène une fois perché à si haute altitude. Faire un manga sportif derrière Inoue impliquait fatalement - d'une manière ou d'une autre - de se référer à Slam Dunk. Personne n'aurait épargné la comparaison aux auteurs qui auraient succédé à la légende.
Fut-ce pour la conception du caractère de ses personnages, l'intensité jetée dans l'action de jeu ou le génie de la narration : la référence ultime était toute trouvée et immanquable. Takehiko Inoue s'est contenté le plus modestement du monde d'établir le seuil ultime de la qualité en nous le dessinant.
La suprématie absolue dans le registre de la fiction sportive, ni plus, ni moins. Je ne prends d'ailleurs pas un gros risque en faisant le pari que, pour les millénaires à venir et ce, jusqu'à la fin des temps, Slam Dunk restera primo inter pares, immaculé et indéboulonnable.
Fini les héros sportifs aux joues roses et aux grands yeux ; l'avènement de Sakuragi Hanamichi annonce une ère nouvelle et remuante. Un Bôsôzoku comme personnage principal. L'idée n'est pas nouvelle. La période de publication d'alors fourmillait d'œuvres où les loubards à coupe banane se taillaient la part belle. Racaille Blues avait même posé les jalons du lascar s'arrogeant la voie royale, le tout, teinté d'humour et de virilités juvéniles mal placées. Nous étions alors deux ans avant Slam Dunk.
Takehiko Inoue n'a rien découvert mais tout réinventé. Racaille Blues avait le démérite de ne pas nous plonger dans le monde de la boxe, juste continuité pourtant pour des délinquants occupant le gros de leurs journées à se mettre sur la gueule. La passion était eut été toute trouvée avant même d'être orientée vers le contexte sportif. Pas ici.
Rien ne prédisposait Hanamichi au basket en dehors de sa taille. Oisif, stupide, indiscipliné et ne se préoccupant que de courir les filles sans jamais les rattraper : on se dit qu'il est loin Michael Jordan. C'est par un heureux concours de circonstance qu'il s'abandonne mollement au basket plus qu'il ne rejoint le club par conviction. Ce sport, il ne l'aime pas. Takehiko Inoue accomplit alors la prouesse - une autre - consistant à nous intéresser au monde du basket en nous dévoilant ce dernier sous le regard d'un personnage qui n'y voit que des contraintes à lui appartenir. L'ambiance est stricte et les entraînements - pareils à tous les entraînements sportifs - rébarbatifs. Hanamichi claquera la porte de rage une fois avant d'y revenir. Un rien, un je-ne-sais quoi lui a fait faire volte-face. Cette fois, ce n'est plus pour épater une nana qu'il se présente sur le terrain ; ce dernier exerce une attraction naturelle sur lui.
Pas d'angélisme qui tienne. En passionné, Inoue sait mieux que personne que l'exercice du basket est rude, plus encore pour les non-initiés. Les bases, les bons réflexes, ça s'acquiert avec beaucoup de sueur et son lot de coups de pied au cul. Pas question de dévoiler naïvement un sport où le premier venu serait le maître de la discipline en deux jours. Le génie Sakuragi restera un éternel néophyte. Échaudé et expérimenté ce qu'il faut pour devenir la terreur des rebonds, mais certainement pas au point d'éclipser et survoler ses co-équipiers ou adversaires. On nous rappellera d'ailleurs sur le tard lors d'une confrontation avec Rukawa qu'il restait très en-dessous des joueurs de son équipe sur le plan technique.
Si à l'issue de ces paragraphes le lecteur de cette critique s'interroge encore : non, il ne sera jamais question d'actions de jeu fantasmagoriques et c'est encore pour cette raison que le rendu est si exquis.
Réalisme oblige, les progrès de Sakuragi seront graduels. Juste ce qu'il faut en tout cas pour qu'on mesure son évolution de match en match. Sur le terrain, sa plus anecdotique action de jeu tiendra de la prouesse et remuera les tripes d'un lecteur qui ne peut décidément pas rester insensible devant la pétulance et l'énergie d'un personnage principal de ce calibre. Un bête Lay-up rentré avec succès dans un panier vous fera plus d'effet qu'un Dunk décisif en fin de match de NBA. Les matchs, on les vit en s'attendant même à ce qu'un personnage nous fasse la passe ; il n'y a pas plus de répit pour eux que pour nous et on s'accroche à chaque page en redoutant de tourner la prochaine.
Chaque plan et orientation du dessin sont savamment calculés et mis en œuvre de sorte à pouvoir exploiter l'intensité optimale de la moindre action de jeu. On essore jusqu'à la plus infime dose de mordant de chaque match, autant par le rendu spectaculaire du dessin que sa mise en scène. Le dynamisme est écrasant pour un lecteur qui s'essouffle autant que les protagonistes en plein jeu, ceux-là y mettent tellement de corps et d'âme qu'on jurerait qu'ils jouent leur vie. Si une œuvre pouvait prétendre avoir restitué l'essence même de la passion dans son corpus : c'est celle-ci.
Vivre un match, c'est aussi le subir. Partager les victoires implique symétriquement que le contre-coup des défaites ne manquera pas de se rappeler à nous. C'est émouvant et sans pathos. La frustration nous prend aux tripes à chaque revers. Dire que ça se vit est un euphémisme ; on crève de savoir que le tableau de score n'est pas favorable à Shohoku et on se ronge les sangs jusqu'à la fin de la deuxième période.
Les dessins sont bons. Très bons même pour peu qu'il s'agisse des phases de jeu. Non pas qu'ils soient anecdotiques en dehors, mais en tout cas très en dessous, au point de nous en faire ressentir le contraste et le déphasage qui l'accompagne. Pour un temps tout du moins. Les visages des personnages, leur musculature : tout cela gagnera en qualité et en détail les années de parution allant. Le réalisme n'en gagne que plus de présence. Slam Dunk au départ, d'un point de vue strictement graphique, c'était beau. Passé le vingtième volume, on peut commencer à parler de magnifique et une fois le trente-et-unième tome refermé, attester que ce fut sublime ; un avant-propos de ce qui jalonnera les prémices de Vagabond.
À quand remonte exactement la dernière fois où des personnages lycéens me soient apparus si crédibles dans leur psyché ? Peut-être bien à mon avant-dernière lecture de Slam Dunk. Des personnages nuancés ce qu'il faut sans être aussi approfondis qu'un traité de philo, de vrais lycéens aux aspirations similaires à tout autre, c'est de ça dont il retourne. Le réalisme ne se traduit pas ici que par le tracé mais se décèle jusqu'au fond de l'encre façonnant le corps et l'âme de chacun des protagonistes.
Un soin plus particulier fut en plus apporté à Mitsui et son introduction dans l'intrigue. Une divine surprise alors que l'on n'attendait pas de drame particulier. Un drame propre et sans fioriture qui ne se perd pas dans l'excès ou l'exagération. Pur et simple, mais bien réel.
On retrouve néanmoins les sempiternels personnages inutiles bons à commenter et encourager. Certains auront chauffé le banc des remplaçants trente-et-un tomes durant pour le simple plaisir de crier «Allez Shohoku».
L'humour n'est pas en reste, partagé entre l'impertinence d'un Sakuragi chien-fou indiscipliné et l'indolence d'un Rukawa apathique qui prête la réplique ce qu'il faut pour donner lieu à des situations tordantes. C'est frais, ça ragaillardit, toujours bien maîtrisé et ça vise juste. On rit beaucoup et on rit souvent. Il est vrai que cela s'amenuise sur la fin alors que les matchs prennent une part plus considérable dans l'intrigue.
Car en dernière instance, c'est aussi et surtout pour le ballon qu'on est là. Le squelette de l'œuvre est robuste et la chair qui le recouvre n'est pas moins solide. Chaque rencontre est unique ; jamais un match ne sera deux fois le même, tous connaissent leur lot de rebondissements (haha) et de revirements spectaculaires au regard de la narration qui nous les servira gracieusement.
Des adversaires qui fouleront le parquet couinant du terrain, chacun saura sortir son épingle du jeu. Parmi les cadors de chaque équipe, tous seront redoutables dans leur registre. Le basket est encore le sport le plus désigné pour développer son lot d'antagonistes du fait du faible nombre de joueurs sur le terrain. Le support se prête bien à la chose et toute équipe affrontant Shohoku nous gratifiera de deux à trois figures notables ainsi que de personnages secondaires non moins présents.
Qu'une pareille légende de manga n'ait pas eu droit à une version animée suivant fidèlement le tracé de sa trame m'apparaît comme quelque chose d'incompréhensible alors que son adaptation se sera refusée à retranscrire les deux derniers matchs de Shohoku. Peut-être était-ce pas respect en fin de compte.
Face à Sannoh, Shohoku se révélera sous un dessin à la résolution sans cesse plus soignée au point que cela n'aurait su être adapté en support animé. La technique ne pouvait tout simplement plus suivre.
Un match. Mes doigts saignent de décrire ce point d'orgue du manga sous la bête périphrase de «match». La rencontre tient davantage lieu d'une épopée, d'une bataille qui ébranlera jusqu'à l'Histoire du monde et qui secouera le lecteur ce qu'il faut pour le renverser de sa chaise. Jouer aux montagnes russes avec nos nerfs comme l'a fait Takehiko Inoue devrait en principe être passible de poursuites judiciaires. La grâce présidentielle aurait néanmoins été de circonstance. Je remercie le ciel de ne pas avoir eu à suivre la parution hebdomadaire du manga ; attendre sept jours d'ici à ce qu'on me révèle la suite du match aurait été une torture. À moins de ne pas avoir les autres volumes reliés à portée de main, il est dur d'arrêter de lire la confrontation contre Sannoh avant sa conclusion.
Et quelle conclusion. Un auteur se refuse enfin de faire de son équipe la championne. Éreinté suite à leur rencontre face aux détenteurs du titre, Shohoku en ressortira lessivé au point que la narration nous sanctionnera d'un court texte pour nous apprendre que les cinq Grands seront éliminés à leur prochain match. La satisfaction d'avoir fait s'écrouler un géant invaincu vaut au final infiniment plus que le trophée qui leur revenait pourtant de droit.
On eut pu s'attendre à ce que Takehiko Inoue ne renoue jamais avec le succès. Que Slam Dunk fut le coup de pot d'une fois, la consécration inattendue. Mais le génie, l'auteur, il en suite par tous les pores. Non-content d'avoir produit l'un des mangas les plus révérés au monde, il rempila avec la légende de Miyamoto Musashi. Takehiko Inoue n'est pas l'homme d'une légende ni même de deux ; il est la légende et nous la distille de page en page d'une œuvre à l'autre.
Avec Yoshihiro Togashi, il fut le dernier des grands du Shônen. La logique aurait voulu qu'il suscita des vocations ; il a, semble-t-il, désespéré toute la profession au point de l'amener à renoncer à marcher sur ses traces.
Il y a effectivement de quoi baisser les bras à savoir que l'on ne pourra jamais égaler un pareil prodige.
PS : Figurez-vous que l'on n'a pas eu la version animée de Slam Dunk en nos contrées pour ne pas faire de l'ombre aux Kangoos, série animée dispensable et médiocre produite en France à l'époque. Encore une fois, je tiens à chaleureusement remercier AB Productions d'un majeur tendu et fraternel pour leur bon goût et leur clairvoyance.
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le 15 mai 2020
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