Smax
7.6
Smax

Comics de Alan Moore et Zander Cannon (2004)

Ce tome regroupe les 5 épisodes de la minisérie de 2003/2004. Il s'agit d'une histoire qui se déroule après Top 10 : Top Ten 1 (épisodes 1 à 7) & Top Ten 2 (épisodes 8 à 12). Pour mémoire il existe également un prologue à Top 10 : The Forty-niners.


Robyn Slinger a encore une jambe dans le plâtre, mais elle accepte d'accompagner Jeff Smax (de son vrai nom Jaffs Macksun) dans sa dimension d'origine pour lui soutenir le moral lors de l'enterrement de son père adoptif. Smax est originaire d'une dimension à base de magie où ni la science, ni la technologie ne fonctionnent. Ce retour au bercail est l'occasion pour Jeff de raconter son enfance (qui sort de l'ordinaire, même pour un être mi-ogre, mi-humain), de retrouver sa sœur Rexa et de revenir dans la maison où il a grandi. Conformément aux traditions des récits de Sword & Sorcery, Smax devra également accomplir une quête particulièrement significative pour lui.


Le début de cette histoire désarme par son innocuité, sa gentillesse et son manque d'ambition. Alors qu'il fait ses bagages, Smax rabroue son épée dotée de conscience qui n'arrête pas de chanter ("Dancing Queen" d'ABBA par exemple). Il l'enveloppe pour le voyage et la somme de se taire d'un ton qui ne souffre pas la réplique. C'est l'archétype du héros bougon et sans une once d'humour. À ses cotés, Robyn respire la bonne humeur, la tolérance et l'entrain. Le style de Zander Cannon (qui s'encre lui-même dans le premier épisode, puis est encré par Andrew Currie pour les 4 suivants) est enfantin, léger, tout en restant détaillé. La cinquième page rappelle quand même au lecteur qu'il s'agit bien de la même équipe qui est à l'origine de Top 10 quand il remarque incidemment une silhouette de dos qui porte une ressemblance marquée avec Death des Endless de la série Sandman de Neil Gaiman.


Effectivement, au fil des épisodes, la liste des figurants officieux de luxe s'allonge : le robot de Metropolis de Fritz Lang, Groo, les trolls aux cheveux à coiffer (gadget inclus dans les paquets de céréales Cheerios), Harry Potter, Tarzan, Dennis la Menace, Casper le gentil fantôme, Winnie l'Ourson, etc. La liste est vraiment très longue, Cannon s'en donne à cœur et très discrètement pour ne pas attirer l'attention des propriétaires des droits intellectuels des personnages. Moore et lui insère aussi bien des clins d'oeil à des personnages de comics, qu'à des personnages populaires de récits pour enfants.


Moore et Cannon (peut être plus Cannon que Moore d'ailleurs) reprennent l'un des composantes de Top 10 : des clins d'œil furtifs ajoutant un petit plaisir pour ceux qui les reconnaissent, mais sans conséquence pour ceux qui ne les connaissent pas. Cannon utilise un style faussement naïf qui se caractérise par des visuels très jolis, mais aussi par un soin apporté au détail qu'il s'agisse des décors ou de la conception visuelle des personnages. Par exemple, le peuple des nains joue un rôle important dans le récit. Cannon ne se contente pas d'un ersatz de nain gentillet copié sur le modèle de Blanche Neige de Walt Disney. Il compose des petites silhouettes avec une tenue vestimentaire rustique (sans être moyenâgeuse) et des têtes un peu trop grosses pour le corps. Si l'apparence générale peut apparaître enfantine au premier coup d'œil, la lecture des dessins est un vrai plaisir de narration séquentielle et de références.


De son coté Alan Moore s'offre un récit simple qui joue avec les codes et les poncifs du genre Sword & Sorcery. Tous les clichés sont présents et Moore s'amuse à mettre en évidence l'artificialité de ces codes. Mais il le fait sans méchanceté, sans volonté de nuire. En fait il raconte avant tout une histoire qui respecte ces conventions propres à ce genre et il déroule son récit jusqu'au bout au premier degré. Mais en même temps, il adopte un ton pince sans rire qui lui permet de développer des situations flirtant avec l'absurde, ou le retournement des stéréotypes. Sa narration rappelle celle de Terry Pratchet dans Les annales du Disque-Monde. D'ailleurs la Mort elle-même revêt deux incarnations très humaines différentes, dispositif que Pratchet utilise également.


Cette histoire est avant tout celle de Smax qui doit se confronter à l'un de ses échecs et au choix de vie qu'il a fait, à savoir s'exiler à Neopolis et abandonner sa dimension (son pays d'origine). Cet individu stoïque, attaché à son sens du devoir devient page après page, sous les yeux du lecteur, un individu plus complexe, plus développé, très attachant. Moore évite de jouer sur la dimension psychanalytique des contes de fées (même s'il est possible de la distinguer), par contre il n'abandonne pas le thème de fond de Top 10 : le droit à la différence culturelle et la tolérance allant de pair avec la vie en société.


Sous des dehors de récit léger et facile (tant sur le plan visuel que sur le plan narratif), Alan Moore et Zander Cannon raconte un conte de fées lisible aussi bien par les enfants que par les adultes. Il s'agit certainement d'une des créations les plus lumineuses d'Alan Moore et des plus accessibles. Toutefois il ne sacrifie rien de sa rigueur scénaristique, ni de sa volonté de dire quelque chose sur la condition humaine.

Presence
9
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le 26 août 2019

Critique lue 65 fois

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