Ce tome fait suite à Outcast T03: Une petite lueur (épisodes 13 à 18) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé par le premier tome pour comprendre les enjeux et identifier les personnages. Il comprend les épisodes 19 à 24, initialement parus en 2016, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Paul Azaceta, avec une mise en couleurs réalisée par Elizabeth Breitweiser, et un lettrage réalisé par Rus Wooton.


Kyle Barnes a les pieds et les poings liés : il est assis par terre dans le sous-sol d'une maison qu'il ne connaît pas. Sydney s'encadre dans la porte et lui propose de faire ça de manière plus civilisée. Il s'agenouille et énonce son regret que les choses se passent mal entre eux, tout en estimant que la faute en revient à Kyle qui fait mauvais choix après mauvais choix. Sydney continue : il ne désespère pas que Kyle devienne un allié. Ce dernier a du mal à croire que son interlocuteur lui explique qu'il n'est pas diable. Sydney répond que tout le monde porte une part de diable en soi, qu'effectivement il a été une personne qui a commis des actes atroces, qu'il était alors incomplet, qu'il ne pouvait pas s'arrêter. Il ne prétend pas être devenu un citoyen modèle, mais son nouveau compagnon lui a permis de se maîtriser. Kyle trouve que l'amélioration n'a rien de remarquable, ce à quoi il répond en lui demandant ce qu'il ferait pour ceux qu'il aime, pour Amber sa fille. Puis il sort un couteau de sa poche et se rapproche encore du prisonnier. Il coupe les liens qui enserrent ses chevilles.


Kyle Barnes réagit immédiatement en projetant ses pieds dans le ventre de Sydney, puis il se lève d'un bond. Sydney le saisit par la cheville et Kyle lui flanque un coup de pied dans la joue. Il sort dans le couloir et est immédiatement arrêté par Caleb qui le tient en joue avec un fusil pointé sur son front. Sydney demande que Caleb ne tire pas et qu'il l'aide à remettre le prisonnier dans la pièce dont il vient de sortir, et à le réattacher. Kyle se résout à entamer la discussion : il demande en quoi il est aussi important. Son geôlier ne répond pas directement, mais indique que son espèce et la sienne vienne du même endroit, ou plutôt ce qu'ils ont en eux provient du même endroit. Kyle demande si cet endroit est les enfers, la réponse est négative. Sydney continue à expliquer que leurs deux races sont liées et que la sienne se nourrit de celle de Kyle, mais que celle de ce dernier a la capacité d'interrompre ce nourrissement, alors ils les ont bannis, et les ont suivis. Sydney reprend son idée que son espèce représente peut-être les bons ou les gentils, et que l'humanité a été conçue pour être complétée ainsi. Pendant tout le temps où il parle, Kyle Barnes travaille sur les liens de ses poignets.


De retour dans cette petite ville, quelque part dans une région rurale de la Virginie, le lecteur se demande encore s'il a bien fait. Il est difficile de tirer un trait sur un auteur comme Robert Kirkman qui a mené à bien deux séries au long court comme The Walking Dead (193 épisodes, de 2003 à 2019) et Invincible (144 épisodes, de 2003 à 2017). Malgré 3 premiers tomes inégaux, il retente donc le coup pour un quatrième. Il n'éprouve aucune difficulté à se remettre dans l'intrigue et à situer les personnages. Il est toujours question de Kyle Barnes, individu mâle ayant une capacité mal définie à bannir les démons du corps d'êtres humains possédés, de Sydney, un homme âgé aux cheveux blancs, visiblement acquis à la cause de ces supposées entités démoniaques, et du révérend Anderson habité par une foi à toute épreuve. D'une certaine manière, il ne se passe pas grand-chose dans ces 6 épisodes. Kyle Barnes ne glane pas beaucoup d'informations de la part de Sydney, et il finit par s'échapper. Le révérend Anderson se lance à la recherche de Kyle avec plus ou moins de succès et en bénéficiant de l'aide passagère d'Allison l'ex-épouse de Kyle. Le shérif Brian Giles parvient également à s'échapper. Il apparaît un ou deux nouveaux personnages comme Emily Warner, qui recrute pour une école spéciale Magnet School. Il y a plusieurs confrontations physiques, avec une violence assez sèche et basique, et des individus qui encaissent bien et qui semblent supporter un bon niveau de douleur sans grande difficulté.


Comme l'indique le titre complet, il s'agit d'une série Kirkman & Azaceta, et ce dernier continue d'illustrer tous les épisodes. Il réalise des dessins dans un registre réaliste, avec une bonne fréquence dans la représentation des décors. Il détoure les formes avec un trait aux contours non lissés, sans jolis arrondis qui rendraient les dessins plus agréables à l'œil. Il met en œuvre une forme de simplification dans les visages, les silhouettes, les chevelures, les vêtements, les décors, pour une apparence lisible plus rapidement, et également un peu rude, sans chercher à plaire. Les personnages sont aisément identifiables, par leur âge (il est visible que le révérend et Sydney ont dépassé la cinquantaine), par leur tenue vestimentaire. De temps à autre, l'artiste exige un petit supplément de suspension consentie d'incrédulité quand la tenue semble un peu en décalage avec les conditions climatiques. Megan Holt est en teeshirt sans manche chez elle alors que la scène se déroule en plein hiver. Le révérend passe plusieurs minutes torse nu dehors sous la neige sans sembler souffrir du froid. Les visages sont peu amènes, ce qui transcrit bien la tension qui habitent les personnages.


La mise en couleurs renforce cette ambiance assez tendue et sombre, par des couleurs foncées, Elizabeth Breitweiser travaillant sur la base d'aplats de couleurs, une même surface pouvant contenir deux ou trois aplats de nuances différentes pour donner une indication sur les variations d'éclairage. La mise en couleurs ne gagne en luminosité qu'en présence d'un enfant (chez la famille Holt), ou lorsqu'un incendie se déclare, ou encore sous la violence d'un coup. La coloriste sait compléter les cases sans arrière-plans avec une couleurs sombre installée pour toute la durée d'une séquence, et donnant l'impression de la présence du décor, juste par le rappel de la couleur. Le dessinateur réalise des cases rectangulaires, sagement disposées en bandes, avec quelques inserts pour attirer l'attention du lecteur sur un détail anodin en apparence, mais révélateur d'une action en préparation ou d'un état d'esprit. La description de la violence reste à un niveau primal, sans aucune esthétisation de la force des coups, ou des coups portés. À l'évidence, lorsqu'ils en arrivent à se frapper à main nue, les personnages ne sont pas des combattants entraînés et frappent comme ils le sentent comme ils le peuvent. Le lecteur ressent l'impression de bien voir les différents environnements. Paul Azaceta sait donner l'impression d'une cave débarras avec quelques cartons, d'une maison en préfabriqué avec quelques planches pour le bardage extérieur, d'un ameublement très fonctionnel à l'intérieur de cette maison, du bureau d'un proviseur assez spacieux, de sous-bois clairsemés sous la neige, d'une grange basique. La narration visuelle est assez noire, rendant bien compte de la tonalité du récit.


Arrivé à la fin des 6 épisodes, le lecteur s'interroge sur la consistance de ce qu'il vient de lire. Comme à son habitude, le scénariste sait ménager quelques pages sans dialogue ni texte pour que le dessinateur porte toute la narration. Il s'agit souvent des scènes d'affrontement, sèche et brutale. L'intrigue n'a pas beaucoup avancé, sauf peut-être dans le dernier épisode, concernant la situation de Sydney. Le récit semble devoir être pris au premier degré : deux individus luttant contre des habitants à demi-possédés par une force surnaturelle indistincte. Du coup, le lecteur s'interroge sur les thèmes sous-jacents du récit. La dernière double page reprend une ligne de dialogue : que feriez-vous pour votre peuple ou vos amis ? Quelle limite seriez-vous prêt à franchir ? Effectivement, Kyle Barnes et le révérend se retrouvent à commettre des actes qu'ils auraient condamnés chez les autres, en temps normal. Pris dans l'histoire, il est possible que le lecteur n'y prête pas attention sur le moment, et n'y repense qu'après coup. Il perçoit un autre thème qui est celui du don de Kyle Barnes qui lui permet littéralement de transformer les individus en les purgeant du mal qui est en eux. Il y a là une mise en scène d'une personne avec un don réel dont la vie se trouve entièrement transformée par ce don, sans que l'individu n'ait de prise dessus. Il n'a d'autre choix que de vivre avec, de le mettre en œuvre, de se retrouver défini par lui. Enfin, il y a le cas du révérend : il croit en Dieu, et sa foi est solide. D'un côté, cette foi se retrouve en opposition avec les actions qu'il entreprend, actions parfois violentes. D'un autre côté, le doute n'a pas de place dans l'esprit du révérend : il interprète toujours les faits de sorte qu'ils corroborent sa foi, sans jamais la remettre en question. Le lecteur ne sait pas trop quoi en penser : plusieurs personnages ont la foi en Dieu, avec une interprétation très littérale de l'existence du bien et du mal, et donc du Diable. Mais Kirkman se garde bien de ne jamais évoquer les tenants du dogme, du credo du révérend, ce qui vide de sa substance tout questionnement sur le bien et le mal au sens biblique du terme, ne laissant que l'enveloppe de deux concepts creux. Tout au plus, le lecteur peut considérer que la foi du révérend est aussi aveugle que les croyances de Sydney, et peut-être à mettre sur le même plan.


Une fois le tome refermé, le lecteur continue à s'interroger sur la teneur réelle du récit. S’agit-il simplement d'une série surnaturelle à base d'exorcisme, avec des dessins transcrivant ce malaise avec justesse et sensibilité ? Faut-il faire la démarche de chercher des sens plus subtils au récit en prenant du recul ? Pas facile à dire... À voir avec le tome suivant ? Au lecteur de faire son choix.

Presence
7
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le 27 sept. 2020

Critique lue 80 fois

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