Space Brothers
7.8
Space Brothers

Manga de Chūya Koyama (2007)

Trop loin pour que je l'aperçoive

Space Brothers ? Pas même de nom que je le connaissais. D'où ma surprise de le voir poindre dans le top 100 Seinen, se permettant même l'éclat - si ce n'est l'outrance - d'usurper la place de Blackjack au classement. Sans doute ce manga devait-il être quelque chose pour valoir une notoriété de premier plan.
Et puis je me suis souvenu que le classement SensCritique était composé à partir des votes des lecteurs. Ce qui expliquait quelques incongruités. Oui, nous appellerons ça des incongruités afin que la critique soit tout public.


Space Brothers, ça aurait pu être une bonne surprise. Une de ces gemmes enfouies profondément sous la boue - là encore, nous opterons pour la boue afin de ne pas dire autre chose - et qui vous font apprécier la découverte pour ce qu'elle a de surprenante. On apprendra alors que si certaines œuvres sont injustement mésestimées au point même de ne pas trouver leurs accès jusqu'à nos étales, d'autres, en revanche, méritent de ne pas connaître la consécration. Non qu'elles soient mauvaises, simplement que leurs qualités objectives ne sauraient susciter ni l'engouement ou le mépris. Celles-ci trouvent leur juste place dans les limbes du monde éditorial ; un plan existentiel surchargé d'où ce qui y émane n'apporte guère de réconfort mais a au moins le mérite de faire passer le temps.


Prudent, alors que je n'avais pas encore entamé ma lecture, je partais en éclaireur à fureter au milieu des critiques préexistantes. Histoire de ne pas profaner gratuitement une œuvre dont j'aurais loupé ce qui faisait son sel, je m'efforçais de m'en faire une idée avant même d'en prendre connaissance. J'y glanais alors que, de tous ses attraits scintillants, Space Brothers avait le don de faire rire.
Or, ça n'est pas si marrant qu'on me l'a dit. Pas même un peu - et je suis pourtant bon client. C'est heureusement loin d'être poussif, mais l'humour vise à côté sans trop avoir cherché à déterminer une ligne de mire. La légèreté de ton se conçoit à la lecture comme un pis-aller compte tenu de l'absence de comique réussi.


Les personnages m'auront évoqué des droïdes - relativement bien élaborés - interagissant les uns avec les autres. Tout s'en tiennent à un rôle prédéterminés pour s'accepter comme les rouages froids et quelconques d'un récit qui n'en ressort alors pas grandi.
Dans une trame qui se veut réaliste, ils sont par instants peu crédibles ; trop parfaits dans leurs contours. D'autant qu'on les a déjà vu par cents fois pour ce qui regarde leurs archétypes. Ils agissent comme des variables dans l'équation que constitue l'intrigue et non pas comme des éléments indistincts les uns des autres. Même la relation du tandem de protagonistes est insipide. Il n'y a pas de dynamique qui ressurgit, l'alchimie ne fait pas de bulles. J'arrive à voir le quadrillage qui précédait leur écriture tant tout manque de spontanéité et d'énergie. Oui, ces personnages, ils sont finalement si froids qu'on s'engourdit à force de les côtoyer.


Ça a beau avoir été distribué comme un Seinen, Space Brothers aurait toutefois pu se dispenser comme une œuvre didactique sur l'industrie spatiale à un public plus jeune. C'est bien vulgarisé et il n'y a franchement aucun contenu qui soit inabordable pour un public dont la moyenne d'âge environne les douze ans. Ce n'est pas une invective que j'adresse alors, mais un compliment ; le manga est assez pédagogique pour être accessible pour chacun. C'est à mettre au crédit de l'œuvre en ce sens où ce qui se rapporte au milieu de l'aéronautique spatial n'est pas nécessairement le domaine le plus compréhensible qui puisse se concevoir.
Ce qu'on trouve par-delà la stratosphère ne m'évoque pas grand chose. En conséquence, l'attrait de l'œuvre était remarquablement gâchée sur un lecteur aussi ingrat que celui qui rédige alors cette critique. Un amateur des choses de l'espace, en revanche, devrait y trouver son compte. À condition qu'il n'ait pas déjà pris connaissance de ce qu'on rapporte ici.


Car c'est là où Space Brothers pèche par excès de carence car la documentation y est loin d'être transcendantale. Or, on attend justement d'un manga sur un domaine aussi technique que l'approche soit didactique - ce qu'elle est - et joliment fournie pour ce qui est des informations qu'on vulgarise et qu'on développe progressivement.
Le pari n'est pas tenu ici. Moi-même qui ne suis pas un mordu des astres et encore moins du néant intersidéral, j'avais déjà pris connaissance de ce qu'on me rapportait. Et j'insiste sur ce point : je suis très peu érudit sur la question. Un 2001 Night était autrement plus impactant sur ce point (au point de n'avoir presque que cela à faire valoir en vérité).


S'il y a de l'enjeu au moins ? Vous me voyez gêné ; gêné de vous répondre «non» sans même avoir à hésiter.
Tout va de soi, l'intrigue glisse comme dans du beurre. La moindre difficulté rencontrée - quand elle prend la peine de se matérialiser - n'est rien que la modeste contrariété d'un instant. Le mot «adversité» ne trouve aucun écho dans l'espace investi par Space Brothers.


On ne peut pas dire pour autant du manga qu'il est mauvais, la structure est solide, mais ce qu'on y a greffé lui glisse des os pour le priver de substance. Il faut vraiment s'y jeter à cœur perdu pour trouver l'aventure entraînante. Si on ne s'y risque qu'à moitié en se contentant de mettre simplement ses doigts dans l'engrenage du récit, rien ne vous emporte. Quand certains passeront un bon moment, beaucoup seront laissés pour compte par un manga qui n'a pas l'air de seulement chercher à s'adresser à eux.
Peut-être que Space Brothers n'est finalement qu'une œuvre destinée à un public de niche. Une niche de luxe, relativement vaste, mais un espace conscrit dont je n'ai manifestement jamais fait partie.


La conclusion sera violente et je le regrette car il me faut l'écrire pour exorciser jusqu'au dernier miasme de mon ressenti : rarement un manga m'aura évoqué si peu de choses. Il est de ces mangas qui me font soupirer, qui me font lever les yeux au ciel ou même m'exclamer «Pourquoi seigneur, pourquoi ?...», il en est d'autres qui me font lever un sourcil, qui me provoquent au moins un sourire ou même qui me coupent le souffle.
Mais là, rien de tout ça et pas même autre chose. Space Brothers a très peu de personnalité à mettre en avant et sa place dans les limbes est celle qui lui revient de droit. Il s'en trouvera toujours pour se prendre d'affection pour l'œuvre, mais on ne me fera pas croire que la passion ait déjà enflammé les tripes d'un seul de ses lecteurs.

Josselin-B
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le 20 mars 2022

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Josselin Bigaut

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