Kurosawa est un loser, un vrai de vrai. Une tronche à faire peur, un statut de salaryman lambda réducteur, un célibat taillé dans le roc et un manque de tact et de sociabilité qui font froid dans le dos... A première vue, cet homme n'a absolument rien pour lui. Comment un type aussi pathétique pourrait-il se retrouver propulser en tant que personnage principal ?
C'est là où Fukumoto tape très fort. Car Kurosawa est sans doute le plus grand héros de manga que j'ai eu l'occasion de voir. Derrière son apparence de quarantenaire antipathique et irrécupérable se cache en vérité un homme désireux d'une seule et unique chose : quitter ce quotidien morose et obtenir la reconnaissance qui lui est dû. A la clé, le bonheur ; et ce, à n'importe quel prix, même celui de sa vie.
En effet, malgré le nombre de tares assez incroyable que Kurosawa a su accumulé, il jouit d'une qualité rare : celle de faire abstraction du regard des autres (du moins, dans le feu de l'action) et de ne pas hésiter une seule seconde à mettre sa propre existence en danger. Bien sûr, cette qualité se retrouve à double tranchant, et on ne compte plus le nombre de fois où le bougre se retrouve dans des situations pas possibles allant du simple embarras parce qu'il se retrouve les fesses à l'air devant ses collègues au passage à tabac par une bande de voyous.
Mais plus important encore, ce qui fait de Kuro une personne exceptionnelle et véritablement hors-du-commun, c'est sa capacité de réflexion et d'analyse. Sur sa propre situation, déjà. C'est un pauvre type, et ça il le sait très bien. Les échecs auxquels il fait face, l'apitoiement et la honte qui le ronge, il n'en est que trop conscient. Mais c'est justement cette "hyperconscience" qui lui permet de juger et d'apprécier - dans son sens premier - la vie comme nul autre et d'en tirer des leçons qui marqueront à jamais les personnes qui apprendront à le connaître d'une part, mais aussi et surtout le lecteur.
A travers les 90 chapitres que constitue l'oeuvre, Kurosawa nous délivrera ses ressentis sur des notions telles que l'amour, la dignité, la virilité, la bonheur d'être père... Entre les séquences d'accalmie, où il mènera son train de vie tant bien que mal ponctuées de moments tantôt drôles, tantôt émouvants, on trouvera des scènes de combat d'une intensité à couper le souffle où Kurosawa nous dévoilera un esprit stratégique et un mental de gagnant proprement fantastiques, traduction de sa lutte contre la vie de chaque instant.
Je ne me pardonnerais jamais de spoiler un ouvrage aussi fabuleux que Legend of the Strongest Man Kurosawa, mais il est impossible pour moi de rédiger cette critique sans parler du dernier tome qui délivre une bataille finale simplement dantesque où chaque coup porté fait l'effet d'une bombe nucléaire, un genre de very best-of des dix premiers tomes tutoyant le divin ; et, au bout, une fin bouleversante qui m'aura carrément retourné et dont la simple pensée me fait monter les larmes aux yeux tellement c'est beau.
Je pourrais qualifier ce manga d'oeuvre majeure, de chef-d'oeuvre, mais finalement ce ne serait pas lui rendre justice. Je parle ici de la meilleure bande-dessinée que j'ai jamais lue, celle qui aura su me faire méditer sur ma condition d'homme et, plus que tout, sur l'importance de vivre sa vie à fond pour ne jamais avoir de regrets.
J'ai 15 ans, et la vie s'offre à moi.