Un de mes amis fan de manga m'a prêté les premiers tomes de ce manga atypique par son graphisme, son sens du détail et surtout les thèmes que le mangaka Boichi instaure dès le premier tome. Kitano Ken, ou le blondin japonais, a certes la carrure d'un dieu et des paroles percutantes, il n'empêche que j'ai certaines réserves sur la narration, le dessin en lui-même et surtout la fin.
Un scénario original
Certains thèmes sont intriguant, comme le rapprochement d'un État à un gang, dans son organisation et la gestion de ses biens. D'autres tournent autour de la Corée du Sud où se déroule l'intrigue, même si elle nous fait voyager au pays du soleil levant pour sa gastronomie ou en Italie pour des affaires entre gangs. Par ce biais, nous en apprenons plus sur certains partenaires de Ken, leur histoire, parfois en rapport avec la situation de la Corée du Sud. Autre sujet bien retranscris est celui du pardon, qui est encré dans cette relation entre les citoyens de la Corée avec ceux des autres pays. Le personnage de Ban Phuong l'exprime clairement, toujours en rapport avec son passé.
Des longueurs dans les scènes
On peut souligner cependant certaines longueurs dans la présentation des personnages, de leur histoire. Surtout lorsqu'elle nous l'est dévoilée au moment où ça se castagne. On s'attend en effet à ce que les personnages se battent de leurs poings pour avancer et non écouter leurs lamentations.
Nice your story but i don't give a fuck
Cela marche pour certains combats dans la mesure où les réflexions des combattants ne gênent le déroulé de l'affrontement. Lorsqu'il s'agit d'une tentative pour troubler son adversaire par quelconque moyen, cela peut fonctionner dans le sens d'une stratégie. Le revers de la médaille étant que le combat s'étend avec un discours d'une longueur insupportable, alors que le lecteur sait que les poings vont repartir au quart de tour. Le personnage ayant décidé de cette stratégie, à titre personnel, n'a plus aucune tenue. Est-il venu pour se battre comme un chien ou papoter autour d'un café?
Nous nous demandons enfin si les scènes de sexes dignes d'un hentai ont une utilité. Leur longueur au fil des pages est pesant, surtout si c'est pour regarder deux individus s'aimant l'un pour l'autre, ou simplement une scène de fesses. Quelques pages (2 à 3 pages) décrivant cette scène intime est suffisant. Boichi inscrit peut être ces scènes dans son histoire par rapport à l'univers impitoyable de la pègre sud-coréenne. Ce n'est pourtant pas une raison de la présenter à outrance, surtout avec les nombreux postérieurs des demoiselles.
Un graphisme détaillé, à grand renfort de trames
Évidemment, le dessin de Boichi n'est plus à prouver. Ce dernier exploite plusieurs styles de dessin en fonction des moments, entre humour et instants plus sérieux voire grinçants. Un trait plus léger sera pour les moments de comédie voire de convivialité. Lors des scènes plus graves ou sérieuses, l'auteur détaille autant les visages et l'anatomie de chaque corps, que ce soit lors des discussions ou lors des combats où la plupart des personnages se déploient comme des danseurs. Les effets de vitesse où les coups partent sont saisissants. Ce qui est à l'image du thème sur le corps présenté comme un outil qu'il faut sans cesse l'entretenir. Ken y fait un monologue là-dessus. Un graphisme si fouillé est aussi renforcé par les trames pour ajouter plus de profondeur et de relief. Cela dit, la plupart des dessins qui ont, à mon sens, trop bénéficié de feuilles de trames donnent un aspect plutôt étonnant. Tantôt les corps et surtout les visages vus de face comme de profil, sont présentés comme de véritables statues de pierres, autant le trop grand renfort de trames sur d'autres dessins provoque un effet « plastique », le visage comme pour les tissus. Ce qui devient étrange quand on mêle ces deux aspects dans une composition graphique.
Cela dit les nombreux dessins sont à l'image du scénario et de l'univers décrits par Boichi, avec ce réalisme accentué.
Fin qualifiée comme « fin alternative »
Pourquoi je souhaiterai m'attarder sur cette fin particulière ? L'auteur a pu arranger la fin du combat comme il le souhaitait. Honnêtement, cette fin me dérange pas mal :
A la fin de l'affrontement de Ken contre la pègre japonaise, il se fait trahir par sa partenaire Yumin alors qu'elle a refusé catégoriquement de revenir dans la pègre (son père est le boss de cette organisation mafieuse). Elle lui tire dessus et ce dernier tombe d'une trentaines d'étages. C'est à ce moment que cette histoire manipule autant Ken que le lecteur, notamment lorsque ce manga nous parle du pouvoir au sens général. Lorsque bien avant, Yumin et Ken partent sur une île touristique pour se déclarer leur amour, le lecteur a bien vu qu’auparavant Yumin tranche entre ses sentiments pour Ken et l'organisation de son père (elle en faisait partie avant de devenir policière en Corée). Encore une fois, tout n'est que manipulation, ce vilain serpent qui vous murmure à l'oreille une vérité que vous croyez aveuglément ou pas.
La fin plutôt longue traite aussi du pardon, et là on pourrait dire que le dénouement de ce combat final n'a aucun sens surtout si le dernier tome le vend comme «surprenant». Ça me tue de le dire mais le thème du pardon fait sens, comme le reste du récit. À vrai dire, au vue de l'ambiance générale et des personnages qu'on suit, j'aurai pensé naïvement que l'histoire se finirait bien avec une petite sextape pour rester dans le délire du récit.
Que nenni !
Boichi a sans doute prévu d'autres manières de finir le combat sans pour autant que ça se finisse en drame. Car il y a moyen que ça se finisse autrement. Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurai refait la scène du dénouement sous forme de storyboard, tout en respectant le découpage de l'auteur.
Le pire c'est que ce dénouement tragique, le lecteur peut le pressentir. Dans certaines scènes où par exemple ça parle d'empire économique au sens large (ce que Tae-Soo, le bras droit de Ken, a désiré bâtir), on voit à travers le découpage des pages que des pensées complexes émergent dans les yeux des personnages. Que les choses ne sont jamais aussi simples.
Défendre tes convictions, à quel prix ?
Pour finir, ce qui m'attriste le plus c'est le sort réservé à Ken Kitano. Il est le premier à se battre pour ses convictions jusqu'au bout, à protéger ceux qui en ont besoin. Il se bat, mais à quel prix ? Depuis longtemps, une fiction nous montre un héros engagé dans un combat rempli d'épreuves, tout en inspirant des valeurs aux individus qui le croise. Le shōnen nekketsu (le manga de combat) en est un exemple puisque Sun Ken Rock en puise une bonne part. Mais certaines images et réflexions de Ken m'ont intrigué sur sa vie post-gang. Alors qu'il s'est fait influencé par certaines personnes à devenir l'homme le plus fort du monde (terme exagéré mais passons), vaut-il mieux qu'il reste aux côtés de Yumin, à mener une vie simple et à faire table rase de son passé de gangster ?
Dans le manga shōnen, et en général le nukketsu, le jeune héros déterminé a des convictions, tout en protégeant les siens. Mais il ne pense qu'à ceci. Il n'a pas l'idée de mener une vie simple après tant d'épreuves qui ont façonné sa vision du monde. Nous pouvons allez plus loin avec la phrase mythique de l'oncle Ben : «Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.». Le héros d'un shōnen qui a des convictions et veut les défendre coûte que coûte ressemble beaucoup à la volonté d'un super-héros à faire le bien autour de lui en donnant de sa personne. Mais qui nous dit que ce héros veut aspirer à une vie plus simple ? S'il n'y a que lui pour défendre une population contre certaines menaces dont il est le seul rempart, ainsi soit il. Mais cette responsabilité que lui donne un pouvoir peut se transformer en fardeau. Pour en revenir au manga, c'est surtout Tae-Soo qui à mon sens fait en sorte que Ken reste dans la Sun Ken Rock Team, leur gang. Ken a surtout d'autres chats à fouetter mais au moment où ses convictions prennent le pas sur sa volonté de vivre une vie simple, l'étau se ressert. D'autant plus que sa relation avec Yumin l'a incité à suivre sa voie de protecteur.
Conclusion
Malgré tout, j'ai passé de bon moments dans cette histoire. Le combat entre Ken et Ban Phuong dans l'immeuble abandonné est l'un des plus marquants. La mise en scène, les dialogues et le découpage aident à rendre ce combat captivant, et surtout le personnage de Ban Phuong, contrairement au combat final et au yakuza Rain qui m'a laissé sur ma fin.