Ce tome fait suite à Sunstone T01 qu'il vaut mieux avoir lu avant pour saisir les allusions au début de la relation entre Lisa et Ally. Il contient la suite de l'histoire de cette relation ; il a été publié en 2015, sans prépublication mensuelle pour le récit. Il est écrit, dessiné, encré et mis en couleurs à l'infographie par Stjepan Šejić qui a également réalisé le lettrage. Il met en scène 2 jeunes femmes amoureuses l'une de l'autre et pratiquant le sadomasochisme (BDSM = Bondage, Discipline, Domination, Soumission, SadoMasochisme).
Dans la scène d'introduction, Lisa Williams évoque la confiance nécessaire entre partenaires, pour pouvoir entretenir une relation BDSM. La scène passe ensuite au club BDSM Crimson, dans lequel Alan et Chris (associés dans une entreprise artisanale de fabrication d'ameublement et dispositifs BDSM) prennent un verre pour voir comment Jane et Christine utilisent leur dernière réalisation sur scène. Parmi les clients, se trouve également Tom (le mari de Cassandra la sœur de Chris), attablé avec Anne une artiste tatoueuse.
Après une longue semaine d'attente, Lisa Williams retrouve enfin Allison Carter à son domicile. Mais Lisa est un peu déçue car les anglais ont débarqué. Au cours de la soirée, Ally raconte à Lisa comment elle a rencontré Alan. Le lendemain soir, les 2 jeunes femmes sortent au Crimson (le club BDSM) où elles retrouvent Chris, Tom et Cassandra. Lisa est fascinée par le spectacle.
C'est avec grand plaisir que le lecteur retrouve ces 2 charmantes amoureuses encore au tout début de leur relation (dans les apartés Lisa précise qu'elle écrit ce récit alors que leur relation dure déjà depuis 5 ans). Les dessins présentent la même apparence que dans le premier tome. Šejić détoure les formes avec des traits donnant l'impression d'avoir été rapidement tracés, un peu tremblés, d'une épaisseur qui n'est pas uniforme, pas toujours jointifs, comme si l'artiste n'avait pas pris la peine de repasser ses traits pour le dessin définitif.
Malgré tout cette apparence ne provoque pas un ressenti désagréable car il ne s'agit pas non plus de traits de construction ou d'esquisse. Les dessins présentent une apparence finie, juste un peu brut de décoffrage par endroit. Alors que ce tome fluctue entre comédie dramatique et comédie de situation, les compétences professionnelles de l'artiste n'en ressortent que plus. En particulier, Šejić fait preuve d'un vrai talent de metteur en scène pour les dialogues. Le lecteur n'éprouve jamais l'impression de se taper des pages entières de têtes en train de parler, grâce à un véritable jeu d'acteurs, à des cadrages qui permettent de ne jamais oublier où se situe la scène, et un langage corporel parlant, avec des visages expressifs.
Sur ce dernier point, Stjepan Šejić explique en fin de volume qu'il a modifié ses dessins par rapport à leur première version parue sur devianart, en atténuant les expressions faciales pour leur faire perdre leur exagération comique, et les ramener dans un registre plus naturel. En ce qui concerne les décors, l'artiste varie le degré de précision du dessin, en fonction de la nature de la scène. À condition d'y prêter attention, le lecteur peut constater que les arrière-plans peuvent aller de la précision quasi photographique (la bibliothèque où Ally montre son torse à Alan), jusqu'à des fonds de couleur uniforme, en passant par des aménagements grossièrement esquissés par 3 ou 4 gros traits de pinceaux très épais. S'il n'y prête pas attention, il ne s'en apercevra pas car Šejić ajuste cette précision en parfaite adéquation avec la séquence.
À quelques rares reprises, le dessin peut repasser dans un registre quasi photographique (y compris pour les personnages), créant ainsi un effet saisissant de réalisme, impliquant le lecteur dans le concret de ce qui est représenté. Pour ce tome, Stjepan Šejić a choisi de recourir de manière limitée à la nudité (essentiellement des poitrines féminines et en petit nombre). Cela ne signifie pas pour autant que la dimension sexuelle du récit s'en trouve diminuée. Dès la page 3, le lecteur a droit à un dessin pleine page représentant une bouche avec un bâillon-boule (avec un excès de la salive en train de couler), caressée par un pied gainé dans un bas. Il n'y a pas besoin de nudité pour évoquer cette pratique BDSM. La page suivante montre les 2 professionnelles, l'une étant sanglée et suspendue dans un portique conçu et réalisé par Alan et Chris.
Ainsi dès la deuxième scène, Stjepan Šejić rappelle à son lecteur que la dimension sadomaso constitue une part essentielle de la relation entre Ally et Lisa, mais aussi avec les autres personnages qui gravitent eux aussi dans ce milieu, ou en périphérie. L'auteur s'amuse avec des tenues moulantes et latex, avec des modèles de bâillon-boule élaborés, avec des pratiques de shibaru (ou kinbaku, art d'entraver avec des cordes), réalisant des bordures de cases en corde. Une image représente Ally attachée, avec des pinces à téton, ne laissant pas de doute quant à la douleur ressentie. Il s'agit toujours de pratiques consenties, mais pas anodines pour autant. Šejić évoque d'ailleurs la formation nécessaire pour les pratiquer en toute sécurité, sans mettre en danger la santé du soumis.
À la lecture du premier tome, le lecteur se demandait quelle orientation l'auteur donnerait à son récit. L'âme de l'histoire réside toujours dans la relation amoureuse entre Ally et Lisa. Cette dernière écoute sa partenaire lui raconter sa rencontre avec Alan, comment ils ont pu échanger sur un tabou tel que la sexualité, et plus difficile encore sur des pratiques jugées déviantes. Šejić met en scène avec délicatesse et sensibilité les hésitations à entrer en contact avec un autre, les efforts à fournir pour vaincre sa réticence (superbe surprise qu'Ally réserve à Alan pour le convaincre).
Comme dans le premier tome, le lecteur peut également constater que les difficultés de parler d'une pratique comme le bondage sont identiques à celles concernant n'importe quelle activité sortant peu ou prou de la norme sociale (la lecture de comics passé l'âge canonique de 15 ans par exemple). Šejić ne se contente pas d'une démarche démagogique pour flatter son lectorat, il met en lumière avec justesse les mécanismes psychologiques et affectifs qui entrent en jeu : l'obligation subie de ne pas pouvoir parler de sa passion avec le premier venu, la détermination à capter l'attention d'une personne qui s'adonne à la même passion.
Dans le cadre du développement de la relation entre Ally et Lisa, Šejić montre aussi le moment où Lisa prend conscience qu'Ally a sa propre histoire personnelle, son propre vécu, que ce n'est pas une personne neuve qui n'attend qu'une autre personne pour pouvoir exister. Comme dans le premier tome, il sait montrer et faire partager les moments d'intimité émotionnelle, les moments de réconfort affectif, et les moments de gêne (quand Lisa se rend compte que c'est la période de ses menstruations). Il fait preuve d'une sensibilité inattendue à plusieurs moments, y compris dans les instants les plus banals (par exemple quand Lisa s'aperçoit qu'elle a oublié ses serviettes hygiéniques et qu'elle doit en demander à Ally).
L'auteur surprend son lecteur à mi-parcours de ce tome avec une longue discussion dans laquelle Allison s'épanche longuement sur une séance BDSM (avec une certaine Marion) dans laquelle des complications sont apparues. La première surprise est que cette séquence est amenée avec de grosses ficelles : traumatisme revenant du fait d'une stimulation trop importante mise en œuvre avec de gros sabots, longue discussion artificielle dans les toilettes. La deuxième surprise est que Šejić aborde les pratiques SM par un angle que le lecteur n'attendait pas et qu'il réussit à retenir l'attention du lecteur par la justesse et la finesse du propos, malgré le dispositif artificiel.
L'auteur met en évidence l'une des responsabilités qui va de pair avec une position dominante, et une forme de perte de contrôle inattendue dans sa nature. Il évite les clichés et montre avec adresse une facette psychologique de la soumission, et une autre de la domination, dépassant ainsi la simple dimension de divertissement de cette pratique, et de sa qualité de dispositif narratif.
Avec ce deuxième tome, Stjepan Šejić confirme la bonne surprise du premier. Ally et Lisa conservent tout leur capital sympathie, leur relation continue de se développer conformément aux schémas amoureux classiques, avec une vraie sensibilité affective. Il continue d'éviter de tomber dans les clichés du voyeurisme, sans pour autant rendre inoffensives les pratiques BDSM. Dans la deuxième partie, la narration perd du naturel dans un dispositif de confession artificiel, mais gagne en profondeur et en gravité par l'intelligence du propos sur un aspect des pratiques BDSM. L'aspect visuel est toujours aussi gracieux et finement soupesé, même si tous les personnages sont élancés et gracile.