Super spy
7
Super spy

BD de Matt Kindt (2008)

Tout un pan de la littérature, du septième art et de la télévision a contribué à instiller dans la culture populaire une représentation de l'espion complètement dénaturée et archétypée. Conquérant les esprits de chaque génération par la production de modèles spécifiquement flemmingniens, ils ont conceptualisé l'image d'un aventurier encostardé et bardé de gadgets ébouriffants, pilotant de luxueuses voitures de sport, courtisé par les femmes les plus magnifiques, et, la plupart du temps, sollicité pour au moins préserver la Nation sinon sauver la planète entière.

Heureusement pour nous, et malgré ce que le titre pourrait laisser imaginer, l'oeuvre de Matt Kindt est radicalement différente. Et si elle s'avère réaliste, son approche est, avant tout, infiniment plus humaniste. Chassés le glamour et le spectaculaire ! Projeté en pleine seconde guerre mondiale, on suit les petites destinées d'une poignée de héros de l'ombre. Au travers de leur quotidien décortiqué, on découvre puis l'on s'attache à ces gens anonymes, souvent solitaires, avec leurs craintes, leurs doutes et leurs faiblesses. Aiguillés par l'amour ou la haine, par un idéal, par le sens du devoir ou par simple instinct de survie, ils consacrent leurs aptitudes particulières pour le vol, le mensonge, la trahison et l'assassinat dans l'exécution de missions banales ou tragiques qui infléchiront la marche inexorable de l'Histoire... Ou pas.

La construction de l'album est étonnante et ingénieuse. Le récit est fragmenté en 37 dossiers, comme autant d'extraits de « carnets de route » fatigués retraçant les multiples péripéties des protagonistes. Imbriqués de façon volontairement non chronologique, ils adoptent un trait différent et une colorisation distinctive selon le personnage. Ce style narratif particulier prend sa réelle dimension au bout d'une centaine de pages. Quand les chemins se croisent, se heurtent, et que les fils qui lient toutes ces vies se dévoilent peu à peu, quand l'empathie devient discrètement plus profonde et que l'on prend tout à coup conscience des détails, émerge alors derrière les innombrables pièces, un immense et fabuleux puzzle ludique qu'il nous appartiendra de reconstituer. Une expérience si passionnante qu'à la fin de la lecture on n'a plus qu'une envie : reprendre l'ensemble dans l'ordre logique des chapitres.

Puissant, rythmé, sombre, haletant et terriblement humain. À ne pas manquer !
Sejy
8
Écrit par

Créée

le 19 août 2011

Critique lue 214 fois

1 j'aime

Sejy

Écrit par

Critique lue 214 fois

1

D'autres avis sur Super spy

Super spy
S_Gauthier
10

Galerie.

Enfin couché ''Super Spy'' de Matt Kindt, sur lequel j'avais calé après l'avoir acheté en juillet 2019 apparemment. C'est assez exceptionnel. C'est une sorte de roman choral où on suit, dans le...

le 10 févr. 2021

Du même critique

Un printemps à Tchernobyl
Sejy
9

Effroyable beauté...

Regard oblique. Vision biaisée d’un no man’s land au temps suspendu. Sensation indésirable de plénitude. L’auteur peste, témoin impuissant à retranscrire l’horreur du désastre. Pourtant dans ses...

Par

le 18 oct. 2012

15 j'aime

Mémoire morte
Sejy
9

Critique de Mémoire morte par Sejy

Mémoire morte est, à mes yeux, l'œuvre la plus accessible de l'auteur. Les métaphores sont limpides et le scénario, malgré de savoureux et traditionnels accents d'absurdité, est d'une logique...

Par

le 19 août 2011

12 j'aime

Hallorave - Le Roi des mouches, tome 1
Sejy
10

Critique de Hallorave - Le Roi des mouches, tome 1 par Sejy

Je flotte, ahuri. Prisonnier de la bulle nihiliste et lumineuse que Mezzo et Pirus ont créée pour moi. Je vagabonde entre les états d'âme. Béat, repus du plaisir, que dis-je, de la jouissance...

Par

le 19 août 2011

11 j'aime

4