Atlantique, de l'Ouest vers l'Est, cette fois
Pourvu que Mitton éparpille à coups de canon de la chair fraîche, et dessine avec volupté des corps nus idéalement érotiques, il semble content d'avoir atteint ses objectifs. La planche 1 ressemble comme une soeur à son homologue du tome précédent : une superbe femme noire, complètement nue, plonge dans une cascade sur fond de soleil et de palmiers. Le rêve de tout touriste, optionnellement égrillard.
Mais, pour caser de telles images, il faut un scénario qui tienne debout. A la fin du tome précédent, la volte-face de l'intrigue, déjà, mettait mal à l'aise : dans l'utopie tropicale fondée par Yann et ses gueux, le seul trésor était l'eau, la nature inviolée, et la nudité ostentatoire. Impeccablement bien-pensant. Et puis Assomption, la chérie de Yann, vient dire qu'il y a un vrai trésor (bijoux, pierres précieuses, enfin tout l'attirail classique). Ca cassait un beau la limpidité de l'idéal rousseauien de Yann. Eh bien, ici, Assomption cherchait les ennuis en se livrant à une telle révélation ? Elle les a trouvés, et pas qu'un peu ! La barbarie cupide des aventuriers de Surcouf et de Kerbeuf l'emporte sur les velléités de probité du corsaire, et ça saigne à nouveau. Par ailleurs, le nombre de volte-face dans l'attitude des pirates et la situation de Kerbeuf dans l'intrigue est difficile à croire, surtout à un tel rythme.
Alors, bien sûr, Kerbeuf en rajoute dans l'ignominie, la lâcheté et l'infamie. Mais enfin, c'est lui le salaud, non ? Surcouf est nettement mieux traité (on ne touche pas aux icônes nationales, voir critique du tome précédent). Yann entretient avec lui des relations cordiales, voire amicales, alors que c'est quand même lui qui est venu foutre en l'air son Paradis terrestre, en lui apportant Kerbeuf à domicile. De même, Surcouf a du mal à se positionner quand on le lui demande : " Je suis corsaire et non forban. Nous sommes des violeurs, peut-être [les femmes apprécieront ce genre de "héros"]. Des voleurs, sûrement." (planche 6) A l'évidence, les subtilités du vocabulaire de Robert Surcouf mériteraient quelque exégèse...
Dans le sang, le deuil, et le malheur, Yann reste à poil pendant 24 planches (il faut bien compenser la raréfaction des jeux de la bête à deux dos dans ce tome). Ses idéaux Droits-de-l'Hommistes ne se révèlent pas très embarrassants pour l'action : il critique Napoléon à cinq mille kilomètres de distance (planche 2), ce qui lui laisse un bon délai avant de voir débarquer Fouché...
Après l'épisode "hors du temps" situé en utopie pseudo-Bahamasienne, Mitton ré-ancre son récit dans l'histoire connue, et on appréciera son habileté à insérer Yann dans la bataille de Trafalgar (planches 34 et suivantes) tout en maintenant à peu près propres ses relations avec Surcouf. Quelques manoeuvres de bateaux pendant la bataille sont bien signalées - et exploitées. Ceci dit, la mort de Nelson n'est pas très conforme à l'Histoire, et, comme Yann est resté célibataire pendant 23 planches (durée insoutenable pour Mitton), Yann fait un placage de rugby à la fille de Nelson (belles anglaises dans ses cheveux). Faut bien que l'Histoire soit un peu violentée (elle aussi), sinon ce n'est pas drôle.
Côté dessin, la nervosité réaliste se maintient, et donne lieu à quelques beaux plans sur l'île et sur "Le Rorqual" (planches 20 à 23), et sur la bataille de Trafalgar (planches 39 à la fin).
Donc, c'est le grand vent de l'aventure, qui inscrit cette série parmi les plus attachantes (sinon éducatives) des récits de mer, de pirates, de trésors et de batailles navales.