Ce tome contient une histoire indépendante de toute autre. Il n'est pas besoin de connaître le personnage du Demon pour l'apprécier. Il contient les 4 épisodes de la minisérie de 1987 (écrits et dessinés par Matt Wagner, encrés par Art Nichols), ainsi que l'épisode 22 de la série mensuelle, initialement paru en 1992 (écrit, dessiné et encré par Matt Wagner, avec une mise en couleurs de Bernie Mireault).


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- "From the darkness" (minisérie en 4 épisodes) - De nos jours, quelque part dans des limbes indéterminés, Merlin est maintenu en captivité, allongé, transpercé de pointes acérés. L'histoire est commentée par une voix désincarnée dont l'identité ne sera révélée qu'en cours de récit. À Tintagel (ou du moins les ruines du château correspondant, en Angleterre), Glenda Mark a rattrapé Jason Blood. Elle lui met sous le nez un livre ancien dans lequel un démon est représenté. Il s'agit de Belial et il ressemble fortement à Etrigan, le démon que Merlin a lié à Jason Blood. Glenda voit là un premier indice qui permettrait de découvrir la véritable nature d'Etrigan, et peut être de déterminer comment annuler le sort qui lie Etrigan à Jason Blood. Mais pour y arriver, Brenda et Jason vont avoir besoin de l'aide d'Etrigan, un démon manipulateur. Brenda dispose d'une arme efficace : la pierre philosophale.


Les voies des rééditions sont impénétrables. Quel responsable éditorial a décidé de sortir cette histoire de l'oubli ? Pourquoi celle-là plutôt qu'une autre ? Quoi qu'il en soit, pour tout amateur de Matt Wagner, c'est un grand plaisir que d'avoir accès à cette œuvre mineure et de découvrir son premier travail pour DC Comics, qui plus est sur un personnage de Jack Kirby (voir The Demon). Matt Wagner s'est fait connaître avec les aventures de ses propres personnages, en particulier les séries Mage et Grendel, révélant une véritable ambition littéraire, s'exprimant dans le récit de genre.


Lorsque le lecteur plonge dans "From the darkness", il est frappé par 2 aspects de la narration. Le premier concerne les dessins. Matt Wagner fait bien preuve de cette capacité à concevoir et à réaliser des images iconiques, donnant une forme de théâtralité au Demon, le rendant inquiétant à la manière d'un personnage d'opéra. Les différents protagonistes humains présentent des postures adultes, avec des regards en coin calculateurs, dubitatifs, jaugeant leurs interlocuteurs, etc. Malheureusement, Matt Wagner semble peu intéressé par les décors et les arrières plans, se reposant entièrement sur le langage corporel pour porter la narration visuelle. Art Nichols réalise un travail d'encrage satisfaisant (par rapport à d'autres histoires où Wagner s'est encré lui-même), mais il ne fait montre d'aucune velléité pour compléter ou étoffer les dessins de Wagner. D'un côté, Wagner met en scène des personnages vivants, et conçoit des cadrages faisant ressortir l'étrangeté de chaque situation (avec une mention spéciale pour la situation épineuse de Merlin). De l'autre, ces mêmes personnages évoluent dans des décors en carton pâte.


Fidèle à ses principes, Matt Wagner a imaginé une structure narrative innovante, qui se révèle assez déroutante à la lecture. À la surface, le récit est très linéaire, le lecteur voyant au premier degré les actions simples de Jason Blood, de Brenda Mark et du Demon. Wagner n'oublie pas les autres personnages secondaires imaginés par Jack Kirby, Henry Matthews et Randu Singh. Ce dernier dispose de très peu de cases pour exister et il reste une forme de caution exotique (il est indien), sans aucune personnalité. Matthews bénéficie de plus de pages pour exister et Garth Ennis se fera un plaisir de reprendre ce personnage dans l'état dans lequel Wagner l'a laissé, dans la série mensuelle suivante.


Mais, en prenant un peu de recul, le lecteur constate que Matt Wagner ne raconte qu'une partie de l'histoire par le biais des actions de Mark, Blood et du Demon, et des images correspondantes. Une partie significative (plus d'un tiers) de l'intrigue est en fait contenue dans les commentaires de la mystérieuse voix, sans images puisque cette voix accompagne les actions de Mark, Blood et du Demon. Il s'agit d'une forme de narration téméraire dans laquelle le lecteur doit finalement suivre 2 points de vue différents, dont l'un qui reste sous forme de cellules de texte surimposées sur les images. Cette voix omnisciente crée par moment une forme de frustration lorsque le lecteur a trop conscience du fait qu'une partie de l'histoire reste en arrière plan, uniquement sous forme de mots, déconnectée des dessins.


Matt Wagner réalise une histoire qui fat honneur aux bases posées par Jack Kirby, en élargissant un peu l'horizon, et en apportant une valeur ajoutée indéniable. Il opté pour un parti pris narratif très marqué, favorisant le jeu de scène des personnages au détriment des arrières plans, et racontant l'intrigue à 2 niveaux, le deuxième ne s'appuyant que de manière indirecte sur les dessins. D'un côté le lecteur se prête avec plaisir à cette forme de lecture différente ; de l'autre il y a une forme de frustration latente à ne pouvoir contempler que les événements concrets, et pas les éléments plus psychologiques.


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- Witch war ("The Demon" 22) - Sybil Haden (une sorcière) invoque Etrigan et le lie à sa volonté. Elle exige de lui qu'il la venge d'Annie Mojo, une sorcière concurrente qui a égorgé son familier (un coq).


Matt Wagner s'offre un petit plaisir sophistiqué, un conte à l'humour noir, raconté en rimes par Etrigan. Par comparaison avec la minisérie, ses dessins sont beaucoup plus maîtrisés et aboutis, et ses compositions de page plus savante et efficace. La narration brille par l'esprit impertinent et irrespectueux d'Etrigan, et l'intelligence limitée de Sybil Haden. Ce récit est un petit bijou d'inventivité et de concision, pour une intrigue divertissante qui reste simple.

Presence
5
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le 14 sept. 2019

Critique lue 78 fois

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