Ce tome fait suite à The fade out Act one qu'il est impératif d'avoir lu avant car il s'agit d'une histoire complète en 3 actes. Il contient les épisode 5 à 8, initialement parus en 2015, écrits par Ed Brubaker, dessinés et encrés par Sean Phillips, avec une mise en couleurs réalisée par Elizabeth Breitweiser. L'histoire se termine dans The fade out Act three.


Gil Mason est en train de se livrer à l'une de ses 2 activités préférées : picoler dans un rade. Il y a repéré Al Kamp (l'un des propriétaires du studio Victory Street Pictures). Il voit débarquer Phil Brodsky (le chef de la sécurité du studio) qui vient garder un œil sur le patron pour être sûr d'éviter tout dérapage, ou en tout cas s'assurer qu'il ne restera pas de preuve compromettante. Le film sur lequel travaille Charlie Parish en est à la phase de tournage des plans en extérieur, dans une zone éloignée d'Hollywood.


Le réalisateur Franz Schmitt estime que les dialogues sont pourris et il exige des réécritures pour le lendemain, ce qui oblige Charlie Parish à retrouver Gil Mason. Ses déplacements sur le lieu de tournage et aux alentours l'amènent à papoter avec Maya Silver (la remplaçante de Valeria Sommers, morte assassinée), à croiser Al Kamp dans une occupation coquine, et à essayer de revenir dans les petits papiers de Dottie Quinn, la secrétaire du studio.


Le premier tome (parfait) plongeait directement le lecteur en 1948, à Hollywood, aux côtés d'un scénariste ayant vu le cadavre d'une starlette assassinée, avant que les journaux ne publient la nouvelle de son suicide. Les pages de Sean Phillips offrent au lecteur une reconstitution historique de grande qualité. Il y a bien sûr les différents costumes. Les hommes sont en chemise blanche, avec une cravate généralement lâche autour du cou. Le lecteur peut voir qu'en fonction du niveau de revenus de l'individu, la coupe est plus moins bonne, et le costume est plus ou moins fripé. Pour les grandes occasions, il leur arrive de revêtir un smoking. Les bretelles sont souvent de rigueur. Le port du couvre-chef est optionnel.


Pour ces dames, les toilettes sont moins normalisées, et essentiellement des robes. L'entraîneuse dans le bar porte une robe en mousseline, avec un décolleté inconvenant (on ne peut plus parler de suggestif à ce niveau-là), et fendue jusqu'au bassin. Dans le cadre professionnel, Dottie Quinn porte un chemiser blanc tout simple, et une jupe droite descendant en dessous du niveau du genou. Lorsqu'elle rend visite à un acteur principal ayant versé dans le fossé avec sa voiture de sport, elle porte une robe plus fantaisie. En tant qu'actrice principale, Maya Silver utilise une garde-robe plus élargie, de l'imperméable strict et fermé, à la belle robe de soirée, jusqu'à rien du tout lors d'une séance de sport en chambre.


Dans la mesure où il s'agit d'un polar de type hardboiled, il y a bien quelques éclats de violence, sous la forme d'un ou plusieurs coups de poing, mais le récit consiste essentiellement en des occupations des protagonistes (tournage de film, biture au comptoir, soirée mondaine, ou encore détour par un quartier défavorisé) et de scènes de dialogue. Dans ces dernières, l'art de la mise en scène de l'artiste rayonne. Le lecteur n'éprouve pas l'impression de tourner page après page de cases ne comprenant que des têtes en train de parler. Ed Brubaker a conçu son histoire en prenant soin de varier les endroits et les personnages, ce qui apporte déjà une forme de variété. Sean Phillips prend soin de ne pas abuser des cadrages de type plan poitrine ou gros plan. Il prend du recul pour montrer l'environnement dans lequel se déroule la discussion. Il dessine les individus en train d'accomplir des gestes anodins ou essentiels dans l'intrigue, montrant plutôt que de contraindre le scénariste à expliquer dans les dialogues, ou dans des cellules de texte. La lecture s'en trouve plus fluide, grâce à ce niveau impressionnant de coordination entre le scénariste et le dessinateur.


Sean Phillips doit également assumer une distribution assez importante, d'une vingtaine de personnages. En cohérence avec le genre dans lequel s'inscrit le récit, les visages des personnages féminins sont lisses, sans trace de ride, avec souvent un sourire. Il ne les transforme pas toutes en femme fatale, mais il exagère leur apparence parfaite et angélique. De la même manière, les visages des hommes sont plus marqués, leur carrure est plus massive, et le lecteur devine que plusieurs ont été (et sont encore pour certains) des hommes d'action. À part ce systématisme dans la façon de représenter les hommes et les femmes, l'artiste excelle dans la nuance des expressions des visages et dans le langage corporel expressif. Chaque personnage dispose d'un visage qui lui est propre, d'une stature différente. Les visages permettent de se faire une idée assez précise de l'état d'esprit de chaque personnage en toute circonstance. Le lecteur ressent l'émotion correspondante, l'empathie s'en trouve d'autant plus forte. Il en déduit également facilement le ton employé par le protagoniste pour prononcer son dialogue.


Le lecteur reconnait avec facilité chaque personnage, y compris ceux ayant réellement existé. C'est au tour de Dashiell Hammett de faire une apparition dans le récit, le fondateur du roman noir, comme Moisson rouge,Le faucon maltais ou La clé de verre. Sean Phillips le représente avec une belle ressemblance. Bien sûr le choix de ce personnage passé à la postérité participe à étoffer la reconstitution historique, mais pas seulement. Ed Brubaker l'a choisi pour rendre hommage à un auteur qu'il affectionne, mais aussi pour ses convictions. Ainsi l'inclusion de Dashiell Hammett lève tout doute éventuel sur le genre dans lequel s'inscrit The fade out. Il permet au scénariste de faire un clin d'œil à un comic-strip écrit par Hammett (Secret Agent X-9, dessiné par Alex Raymond). Il rappelle également la chasse aux sorcières présente à l'époque contre les communistes, Hammett ayant lui-même été mis à l'index.


Le lecteur peut ainsi déceler d'autres signes des temps, en arrière-plan. Il y a la position des afro-américains dans la société, par le biais d'un musicien, ou d'un acteur de second plan. Il y a le sort réservé aux vétérans de la seconde guerre mondiale, dont l'heure de gloire est passée. Il y a tous ces individus souffrant de mal être qui adoptent des conduites à risques faute d'autre exutoire. À ce titre, Gil Mason et Charlie Parish continuent de boire comme de vrais alcooliques, ce que l'un d'eux reconnaît en son for intérieur. Le lecteur se trouve également au premier plan pour voir comment les propriétaires des studios de cinéma assurent le bon fonctionnement de leur entreprise, en veillant à la bonne conduite de leurs poulains, en les récompensant avec des cadeaux (une voiture de sport), en fournissant des femmes, en mettant en scène leurs amours fabriqués de toute pièce.


Ed Brubaker est dans une forme exceptionnelle pour ce récit. Il maîtrise toutes les conventions du roman noir. L'époque choisie ne se limite pas à une simple façade pour attirer le chaland. L'auteur resitue le contexte historique, les us et coutumes socio-culturels, les grands courants sociétaux. Ces personnages ne sont pas parachutés là comme de simples outils narratifs, ils ont une histoire personnelle en partie façonnée par la grande Histoire. Le meurtre servant de point de départ conduit à fouiller différents recoins de cette société, sous différents angles de vue, et à mettre en évidence les tensions qui peuvent aboutir à un tel acte. Les protagonistes disposent tous de leurs propres motivations, poursuivent chacun un objectif personnel. Ils sont la proie de leurs contradictions intérieures ; ils sont aussi le jouet de force sociales qui les dépassent. Le lecteur plonge bien dans un univers violent, découvre un regard tragique et pessimiste sur la société, avec un fort ancrage référentiel et un engagement politique ou social.


Sachant que l'histoire comprend 3 tomes, le lecteur commence à se douter un peu des motifs qui ont conduit à l'assassinat de Valeria Sommers. Néanmoins, le scénariste continue de le mener par le bout du nez, en conservant intacte la dimension ludique d'essayer de deviner avant la fin. Il utilise un dispositif narratif impeccable : Charlie Parish a trop bu et ne se souvient pas de ce qui s'est passé la nuit du meurtre. Comme dans les romans noirs, le personnage principal n'est pas un fin limier avec des talents exceptionnels comme Sherlock Holmes ou Hercule Poirot, mais un individu à la comprenette moyenne, tributaire des rencontres qu'il fait, des bribes de phrases qui finissent par dépeindre un événement par petites touches.


Ce deuxième tome confirme l'excellence de cette série dans laquelle Sean Phillips et Ed Brubaker semblent ne faire qu'un pour créer un roman noir qui en respecte toutes les conventions, tout en étant bien une œuvre contemporaine, et pas un pastiche de grande qualité.

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le 6 avr. 2020

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