Ce tome regroupe les épisodes 11 à 15, initialement parus en 2020, écrits par Kieron Gillen, dessinés, encrés et mis en couleurs par Stéphanie Hans, avec un lettrage réalisé par Clayton Cowles, et un design de publication conçu par Rian Hughes. Hans a réalisé les couvertures principales, et les couvertures variantes ont été réalisées par Ben Oliver, Justine Frany, Mike del Mundo, Sana Takeda, Bill Sienkiewicz.


À Verdopolis dans le royaume d'Angria, Chuck, passablement éméché, Matt et Angela errent dans les rues, à la recherche d'un moyen pour sortir discrètement de la ville. Ils tombent sur Dour & Delighted, deux nains eux-mêmes assez joyeux, et ils montent à l'arrière de leur carriole, assez confiants dans le fait que ce mode de départ est tellement évident qu'il a toutes les chances de passer inaperçu. Dans le palais, tous les membres de la cour s'inclinent au passage de la reine Ash. Elle descend vers les cellules et croise Charlotte Brontë qui la félicite pour son mariage avec Zamorna. Elle continue en expliquant qu'elle n'est pas le Maitre d'Angria, que celui-ci reste caché, et que les véritables maîtres ne prennent pas part au jeu. Elles arrivent devant la cloche sous laquelle Solomon est retenu prisonnier. Ash indique à Charlotte qu'elle aimerait qu'elle les laisse seuls. Une fois qu'elle a le dos tourné, elle précise à Solomon qu'il ne s'agit pas d'un interrogatoire. Elle retire son demi-masque, consciente qu'elle ne peut pas utiliser le pouvoir de sa voix sur Solomon, car sinon ça libèrerait Zamorna de son emprise. D'un autre côté, elle n'a aucune envie d'utiliser son pouvoir sur le prisonnier. À haute voix, elle lui demande ce qu'elle va pouvoir faire maintenant.


Les trois compagnons sont parvenus à sortir de l'enceinte de Verdopolis, et la nuit tombée, ils contemplent les entités parasites dans le ciel qui sont en train de s'éloigner d'eux. Comme à son habitude, Chuck fanfaronne. Matt le reprend et lui dit qu'il ne devrait pas plaisanter ainsi avec sa mort. Chuck lâche le morceau : peu de temps avant leurs retrouvailles, il avait détecté du sang dans ses urines matinales à plusieurs reprises. Il avait consulté un médecin qui lui avait fait passer des tests : le diagnostic était clair. Il lui restait un mois à vivre. Matt lui indique que s'il ne prend pas cette sentence au sérieux, en tout cas lui le fait. Chuck l'en remercie sincèrement. Angela les ramène à la réalité en leur demandant quel est leur objectif. Comprenant qu'ils n'y ont pas réfléchi, elle propose qu'ils se mettent à la recherche des Déchus, tout en ramassant l'or féérique qu'ils peuvent trouver en vue d'un retour dans le monde réel. Matt reprend le concept de Déchu, en déclarant ne rien y comprendre : il ne voit pas comment les Déchus peuvent être de vraies personnes mortes dans le jeu, et y être arrivés avant eux-mêmes qui ont créé Die en y jouant la première fois. Effectivement, ce paradoxe ne semble pas admettre d'explication. Angela demande à son Intelligence Artificielle de localiser des Déchus. Il y en a dans un égout non loin.


La structure de ce tome est identique à celle des deux précédents : le lecteur sait à quoi s'attendre, tout en n'ayant aucune idée de ce qu'il va advenir. La partie reprend : la narration alterne entre les deux groupes. Chuck, Matt et Angela essayent de trouver le moyen de sortir de Die pour regagner la réalité. Ash a pris conscience des conséquences de la destruction de Glass Town, et elle essaye de réparer les dégâts avec l'aide d'Isabelle, tout en maintenant Solomon prisonnier sous sa cloche de verre, Zamorna servile sous son emprise mentale, et Charlotte Brontë circonscrite dans un rôle d'aide. Dans ce monde de Fantasy, la situation évolue, que les joueurs attendent patiemment ou qu'ils tentent de prendre l'initiative. Ce qui est toujours aussi déconcertant, c'est qu'il s'agit bel et bien d'une campagne de jeu : les personnages progressent, et le maître du jeu les confronte à des situations conflictuelles. Ou alors : le lecteur progresse dans la bande dessinée, et le scénariste le confronte à la survenance d'événements imprévisibles. Le lecteur conserve tout du long cette lecture à deux niveaux, tout en ayant conscience qu'il n'a pas de dé à jeter, qu'il n'a pas de choix à faire. Enfin, pas tout à fait : si l'envie lui en prend, il peut jouer à essayer de deviner quel genre de rebondissement va survenir, quel genre de décision tel personnage va prendre. Il peut aussi jouer à la même chose sur le plan visuel. Dans cet état d'esprit, il apprécie l'inventivité de Stéphanie Hans.


L'artiste représente finalement les personnages classiques du genre : nains, vampires, reine, paladin, épéiste, magicienne. Pourtant à la lecture, les pages exhalent un parfum très particulier, très personnel, sans relent fade et écœurant de réchauffé ou de clichés éculés. Elle reste l'artiste complète se chargeant de toute la partie visuelle, par opposition à un processus de production à la chaîne. En premier lieu, le lecteur est séduit par les ambiances de couleurs. Cela commence dès la première page avec un ciel noir d'encre traversé par des zones vertes allant du bleu-vert au vert viride. Le lecteur sent également le chaud et froid alternant autour d'Ash, passant d'un rouge carmin à bleu glacier. Il ressent la chaleur desséchante des fournaises encore en activité dans Glasstown. Il se rend compte que le blanc servant de fond dans certaines cases correspond à la présence de la mort, à l'absence de toute vie. Effectivement, dans certaines pages, il peut arriver qu'il n'y ait aucun arrière-plan dans les cases, mais dans ces cas-là les camaïeux en fond de case se font expressionnistes, apportant un état d'esprit ou un ressenti, charriant une information de nature émotionnelle plutôt que descriptive. Il y a de ce fait une grande cohérence et une logique narrative dans le glissement du descriptif vers l'expressionnisme, sans rapport aucun avec une volonté industrielle d'aller à l'économie.


Comme dans les deux premiers tomes, la série comprend d'autres niveaux de lecture. Le lecteur est maintenant habitué et il s'attend à ce qu'apparaisse un écrivain dans un des épisodes. Cette fois-ci, il s'agit de Herbert George Wells (1866-1946), en particulier de sa création du jeu Little Wars (1913) reconnu depuis comme étant le premier wargame, avec des figurines à déplacer. Comme pour les deux précédents auteurs ayant été intégrés dans le monde de Die, il ne s'agit pas juste de reconnaître l'influence de Wells dans la création de monde de l'imaginaire, mais aussi dans le développement des jeux de rôle, ou ici des jeux de plateaux. Comme à son habitude, le scénariste se montre sans pitié avec l'artiste, en écrivant une scène de dialogue. Certes, il aide à apporter un peu de variété visuelle en alternant entre la discussion entre Wells et Ash, et le déroulement d'un combat impliquant d’autres personnages. Dans le même temps, cela permet au lecteur d'apprécier l'inventivité de Stéphanie Hans pour apporter de la variété et de maintenir un intérêt visuel dans cette séquence entrecoupée par des combats. Elle le fait par l'entremise du jeu des acteurs, et par les mouvements de caméra, cette combinaison permettant au lecteur de suivre l'évolution de qui occupe la position dominante dans la conversation, et comment cette position bascule en fonction des arguments de l'un et de l'autre. Outre le fait qu'il soit habitué, le lecteur apprécie cette façon différente de considérer le jeu de rôle au travers d'une facette historique. Cette dimension thématique se poursuit avec la lecture des 5 interviews en fin de tome, évoquant le développement de la culture des jeux de rôles dans les années 2010, avec des acteurs majeurs dans la création de ce type de jeux.


En entamant ce tome, le lecteur éprouve également l'envie de retrouver ces quadragénaires prisonniers d'un monde imaginaire qui les a totalement absorbés au point de les engloutir à l'adolescence, et de découvrir leurs réactions en retrouvant ces éléments imaginaires, en prenant conscience de ce qu'ils révélaient de leur personnalité à l'époque, des influences dont ils se nourrissaient, et de la façon dont ils avaient réagi pour affronter ces épreuves, et comment cela diffère avec la façon dont ils les abordent étant devenus adultes. À nouveau la direction d'acteur de Hans met en évidence qu'il s'agit maintenant d'adultes, à la fois dans leurs postures et dans les expressions de leur visage, mais aussi dans les choix de comportement, et parfois d'aménagement vestimentaire. Le récit fait littéralement apparaître le temps passé pour chacun, l'évolution dans la façon de se comporter après avoir fait l'expérience de la vie, dans différentes épreuves, s'étant heurté à ses propres limites, ayant figé ses valeurs morales, son mode de fonctionnement. Les auteurs bouclent ainsi avec le fait que le jeu de rôle sert de révélateur de la manière dont l'individu envisage son rapport au monde, dont il réagit par rapport à des situations fictives dans lesquelles il s'est investi émotionnellement.


Ce troisième tome confirme l'excellence de cette série. Les deux créateurs travaillent en équipe pour raconter une histoire prenante avec plusieurs niveaux de lecture. Le lecteur peut très bien être happé par l'intrigue : savoir comment les personnages vont surmonter les épreuves, en prenant un vrai plaisir aux visuels spectaculaires, et suivre des individus plausibles et tangibles. Il peut aussi se focaliser sur la dimension émotionnelle du récit, et voir comment des adultes réagissent dans des situations imaginaires plutôt destinées à des adolescents, faisant ainsi apparaître en quoi ils ont acquis de la maturité, et sous quels aspects ils réagissent encore comme par le passé. Il peut aussi envisager le récit sous la forme d'une réflexion sur les jeux de rôles, leur développement au vingtième siècle, et les mécanismes psychologiques que les joueurs mettent en œuvre.

Presence
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le 18 avr. 2021

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