Ce tome contient les épisodes 13 à 18 de la série mensuelle, parus en 2010. Il fait suite à Inside man (épisodes 6 à 12). Il faut impérativement avoir commencé la série par le premier tome.
Les journaux télévisés ne parlent que de ça : la sortie imminente du quatorzième tome des aventures de Tommy Taylor. Ils évoquent également l'absence de Wilson Taylor, la culpabilité de Thomas Taylor dans les meurtres de la Villa Dodiati, l'imposture de Thomas et Sue Morgenstern (la maîtresse de Wilson). Pullman se voit confier une mission de la plus haute importance par Callendar pour le bien de la cabale. Thomas Taylor, Lizzie Hexam et Richie Savoy ont trouvé un refuge dans un appartement qu'ils ont loué à Londres. Richie indique qu'il a quelques courses personnelles à effectuer qui vont l'amener à croiser la route d'Ambrosio. Thomas va aller faire un tour dehors et croiser une manifestation de Leviathan, puis le monstre de Frankenstein. Lizzie va se retrouver seule dans l'appartement, totalement isolée de son donneur d'ordre. Tous les 3 sont persuadés que Wilson Taylor fera une apparition à l'occasion de la mise en vente du quatorzième tome.
Dès les 2 premières pages, Mike Carey prouve sa capacité à narrer un récit au long cours. Ces 16 cases (8 par page) servent autant à effectuer un résumé de la situation pour permettre au lecteur de reprendre pied dans l'intrigue, de se remémorer qui est qui, qu'à annoncer les événements à venir, tout en conférant un recul quant aux péripéties. Carey poursuit son travail de mise en abyme par le biais de ces flashs télévisuels, disposant d'un premier bandeau en bas d'écran comportant un commentaire lapidaire sur l'image, doublé d'un deuxième bandeau listant toutes les catastrophes de part la planète, comme toute chaîne d'information continue qui se respecte. Le thème principal de ce tome sur la création de fictions (ou d'histoires) induit une toute autre interprétation de ces commentaires archétypaux et réducteurs qui font office d'informations dans les journaux télévisés. Les illustrations (de petite taille de Peter Gross) remplissent parfaitement leur office d'image rapidement assimilée avec juste ce qu'il faut de détails pour être spécifiques, l'exact pendant visuel des textes informatifs.
Après cette entrée en matière disposant d'une forme sophistiquée et parfaite, le lecteur retrouve la narration habituelle suivant essentiellement Thomas, Lizzie et Richie. Pour ce tome, Mike Carey privilégie la forme de l'aventure, avec les héros qui surmontent une épreuve après l'autre, et l'intrusion à plusieurs reprises d'éléments fantastiques. Le lecteur a le plaisir d'en apprendre plus sur Wilson Taylor, beaucoup plus sur Lizzie Hexam. Il peut enfin mettre plusieurs visages sur les individus qui animent la cabale. Il y a 2 éléments de suspense majeurs : la publication du nouveau tome, et l'éventualité de l'apparition de Wilson Taylor. Les dessins de Peter Gross ont gagné en niveau de détails. Ils restent aérés, mais avec plus de substance ce qui permet une meilleur immersion dans chaque lieu, une plus grande implication du lecteur dans l'histoire. Il est aidé par Ryan Kelly pour l'épisode 17, et il adopte un style un peu différent lorsque Lizzie retourne sur les lieux de son enfance.
Si l'action et les révélations se taillent la part du lion dans ce tome, Mike Carey continue quand même sa profession de foi dans la littérature et les oeuvres de fiction. Il aborde aussi bien l'enjeu économique du lancement d'un bestseller (jusqu'aux mesures de sécurité pour éviter les fuites du texte), que le roman inachevé de Charles Dickens (L'ami commun), en s'offrant un détour par le principe de un livre dont vous êtes le héros. L'épisode 17 (30 pages) se lit en format paysage, chaque page étant divisée en 2, ce qui offre à Mike Carey l'équivalent d'un livre de 60 pages. Il a construit cet épisode en respectant la forme de ces ouvrages dans lesquels le lecteur choisit l'action du personnage entre 2 ou 3 possibilités ce qui détermine le numéro de la page où il se rend ensuite. Par ce dispositif, Carey met en évidence le caractère fabriqué de tout de récit, la part de hasard qui entre dans chaque lecture, et l'implication du lecteur dans l'interprétation de ce qu'il lit. Gross réussit le pari de conserver des images détaillées et lisibles pendant toutes ces demi-pages. Le pari est osé car Carey rompt l'un des principes fondamentaux de la bande dessinée qui est la lecture linéaire d'une page après l'autre. Il faut faire un effort conscient et coûteux pour accepter soit de se plier à l'ordre bousculé de cette lecture (avec la possibilité de choisir un chemin qui n'est pas le bon, ou en tout cas qui ne conduit pas à lire toutes les pages), soit de lire les pages dans l'ordre de 1 à 60 sans observer la logique des choix, et donc la chronologie des actions. Dans les 2 cas il s'agit d'une expérience traumatisante par rapport au format immuable de la bande dessinée. En plus de cette remise en cause frontale de la forme, Carey ose également s'aventurer sur le terrain glissant de la notion de messie. Dans le contexte thématique de la série Unwritten, il faut vraisemblablement plus y voir un commentaire sur l'histoire qu'est le nouveau Testament, que sur un quelconque point de vue religieux.
Mike Carey ne se repose donc aucunement sur les dispositifs narratifs qu'il a utilisés dans les tomes précédents. Il est tout aussi agréable de constater que Peter Gross progresse également dans ses dessins. Les facsimilés des pages des livres de Tommy Taylor ont gagné en degré de finition, elles s'approchent vraiment des livres illustrés pour enfants. Chaque lieu a gagné en personnalité et en substance. Les personnages ont une apparence légèrement plus peaufinée, ce qui les rend plus tangibles, plus incarnés. Alors que les premières couvertures ne m'avaient beaucoup inspiré, celles contenues dans ce tome participent à l'expansion des points de rencontre entre Thomas et Tommy. Yuko Shimizu marie une apparence qui évoque les rendus des premiers mangas avec une aptitude à mélanger 2 niveaux de réalité pour créer une rencontre onirique entre des éléments étrangers. C'est ainsi que le lecteur peut avoir la tête dans les livres comme Thomas, au contraire se retrouver exclu du fait qu'il n'a pas lu le quatorzième tome qui omniprésent à l'échelle planétaire, avoir un haut-le-coeur devant des pages dégoulinantes d'eau de rose, se retrouver manipulé comme un pantin par le biais de fil de mots, être perdu sur un plateau de jeu, ou encore chuter au milieu d'images-objets, dans un style rétro pour des compositions conceptuelles.
D'un coté ce troisième tome se rapproche d'une structure narrative plus classique basée sur les tribulations de héros pour se dépêtrer d'une conspiration d'affreux jojos, avec moult révélations. De l'autre Carey et Gross continue de jouer avec les formes pour développer le concept d'histoire, de fiction, aussi bien dans le fond que dans la forme. Thomas et Tommy continuent de tâtonner pour sauver le monde dans Leviathan (épisodes 19 à 24).