Je ne sais plus qui, ni quand, ni pourquoi, mais une personne avait dit une fois, lors d'une interview pour parler d'un film que, si vous teniez une histoire exaltante prenant place dans un contexte historique avéré, vous aviez potentiellement un chef d'oeuvre.
Si je n'ai plus les détails, le fond de cette phrase m'a suffisamment marqué pour qu'à la lecture de These Savage Shores, il me revienne en mémoire.
S'il s'agit d'un comics, bande-dessinée américaine que notre subconscient, à grand renfort de marketing, a tendance à limiter aux histoires de super-héros (Marvel et D.C. en tête), on est très loin de ce qu'on a l'habitude de voir.
L'histoire que le scénariste Ram V nous offre rencontre l'Histoire, plus précisément de l'Inde durant une période stratégique pour les britanniques, bien décidés à asseoir leurs intérêts commerciaux sur la route de la soie. Prenant place à Calicut dans les années 1760, région sous l'égide des Zamorins en conflit avec l'état voisin de Mysore, on se retrouve, sur les traces d'un vampire britannique exilé, au milieu d'une région où l'instabilité s'avère être une aubaine pour l'envahisseur occidental. Un nouveau monde où tout est possible, un monde délimité par ces rivages sauvages du titre sur lesquels débarqua Vasco de Gama en 1498, un monde propice à un nouveau départ pour notre suceur de sang.
De cet exil se fera, à travers la confrontation de deux empires, celle de deux figures légendaires. D'un côté donc, le vampire qu'on ne présente plus, et de l'autre, un Rakshasa, démon hindoue, sanguinaire et immortel comme son cousin européen. Ram V met adroitement en exergue la main mise progressive et les ravages de la colonisation, la résistance d'un peuple, sa conversion forcée mais jamais digérée par l'intermédiaire de ces créatures mythologiques. Une façon de redistribuer les cartes et de montrer la collision de deux mondes.
Personnellement, je suis conquis par ce récit et pour le porter encore plus loin, j'ai pu me reposer sur les magnifiques planches de Sumit Kumar et le travail de colorisation de Vittorio Astone. Si l'enchaînement des vignettes reste très classique et qu'on pourrait regretter un léger manque de décors dépaysants, cela n'empêche en rien de plonger pleinement dans cette époque emprunte d'affrontements à travers les âmes qu'y s'y débattent.
Bishan, ce Rakshasa magnétique et charismatique, bras-droit et ami du jeune prince Vikram, retranché derrière ce masque intriguant qui orne la couverture, amoureux d'une mortel qu'il a vu grandir, reste le personnage emblématique de cette œuvre belle et surprenante malgré sa simplicité. S'il tente de prendre part aux enjeux de cette humanité qu'il côtoie depuis peut-être trop longtemps, c'est finalement ses intérêts personnels, petite revanche sur l'histoire qui font de ce comics, un incontournable.