Si les grands traits de l’invasion mongole du Japon sont respectés par Cothias, parfois d’assez près, il n’en reste pas moins qu’une fidélité trop grande à la réalité historique aurait affadi le récit et fait baisser la tension dramatique. En effet, dans la réalité, les Mongols ont éprouvé des difficultés à débarquer au Japon, et ont subi plusieurs revers, en dépit de la spectaculaire infériorité numérique des Japonais. Les combats de Hôjô Tokimune contre les Mongols n’apparaissent pas, non plus que les contre-attaques navales japonaises.

Or, il s’agit de tenir le lecteur en haleine, en accentuant le sentiment de situation désespérée pour les Japonais (planche 42). Sentiment nécessaire pour justifier les choix éthiques de Tchen Qin, qui veut sauver le Japon en combattant avant de retrouver Mara et son fils. Comme pour rendre plus prestigieuses les aventures narrées, Cothias met en vedette le personnage de Marco Polo, qui combat du côté des Mongols (planches 5 et 12), et va même jusqu’à entamer un duel avec Tchen Qin, duel qui tourne court (planches 38-39), et permet donc d’ouvrir des perspectives vers une évolution future des relations entre les deux personnages. Même Marco Polo se met à réciter les devoirs du samouraï (planches 39-40). Il sait tout, ce mec.

Les méchants tournent un peu en rond : que restait-il à Cothias pour rendre le Général Tête-Noire, grand éplucheur de têtes, encore plus odieux ? L’envoyer trahir le Japon, bien sûr, en se mettant au service des Mongols ! On est un peu déçu par cette trahison ; non pas que l’on croie Tête-Noire très patriote, mais elle souligne une impuissance affichée et un manque d’élégance auxquels l’arrogance du personnage ne nous avait pas accoutumés ; la trahison a, bien sûr, pour objet de mettre la main sur Tchen Qin pour le faire souffrir le plus possible. Sauf que, peu de jours auparavant, Tête-Noire avait Tchen Qin entre ses mains et ne l’a même pas torturé ; pas très cohérent, tout ça. En plus, l’acte même de trahison, loin d’être d’une machiavélique complication (ce qui serait en harmonie avec la psychologie bien tordue du personnage), est d’une platitude déconcertante : Tête-Noire ouvre la porte d’un fort japonais, de nuit, aux Mongols qui s’y engouffrent (planche 10). Manque d’imagination ? Les motivations de Tête-Noire restent compliquées : s’il veut découper Tchen Qin en petits morceaux, c’est parce qu’il l’aime (planche 4). Rissolé avec de petits oignons ?

Pimiko bavarde de manière assez attendue avec Tchen Qin et Kaï, sans coup d’éclat spécial, cette fois. A peine peut-on relever que Tchen Qin fantasme sur Pimiko quand il fait l’amour avec Mara (planche 4), ce qui renforce l’ambiguïté de Tchen Qin et la perversion de sa relation avec ces deux femmes.

Côté Tchen Qin, le héros à double personnalité pépère / combattant valeureux, il ne se défait toujours pas de la contradiction entre les deux pôles de son identité, et prétend les résoudre en donnant la priorité à l’une ou à l’autre au gré des circonstances (Planche 3). Il paraît que le fils de Kubilaï Khan s’appelle aussi Tchen Qin (planche 2) ; nous voici bien avancés : cette superposition de noms cache-t-elle une intrigue romanesque, du style « prince perdu et retrouvé » ? Il ne semble pas. Pour le moment au moins, cette homonymie ne sert qu’à donner à Tchen Qin une sorte de droit d’entrée dans le monde mongol. On signale, d’ailleurs, que, dans la réalité, aucun fils du Kubilaï Khan ne s’appelle Tchen Qin, ni de près ni de loin... On est un peu surpris d’entendre Tchen Qin parler de « baptême » (planche 3), dans une société qui semble bien étrangère au christianisme. Par ailleurs, l’identité « Vent des Dieux » attribuée à Tchen Qin dans le Tome 5, est maintenant reportée sur le typhon qui clôt cet épisode. On comprend que de telles incohérences troublent un peu l’esprit de notre samouraï.

Nichiren gagne en dignité dans ce récit ; assez malmené par les surnoms caprins dont l’affublent régulièrement les divers protagonistes, il se montre humain en percevant les calculs de Pimiko (planche 8), et gagne quelques galons de voyant en maintenant contre vents et marées (c’est le cas de le dire...) que les Mongols vont perdre la guerre (planches 24-25). C’est un peu un Clémenceau clérical.

On est un peu surpris de ce que l’Empereur du Japon, en pleine invasion mongole, se perde en de si creux bavardages dans des rappels sur les vertus de la civilisation japonaise (planches 19 à 21). Les rites guerriers et l’exposé quasi magistral sur les tactiques mongoles gonflent le récit sans grand profit pour notre attention (planches 30 à 38).

Par contraste, l’évènement-titre de l’album, le « Ti-Fun », typhon miraculeux qui détruit la flotte mongole, et qui est parfaitement historique, est ramassé en quatre planches (43-46). Il est également historique que les Japonais y ont vu une aide des dieux, surnommant ce typhon « kamikaze » (planche 43), soit « Le Vent des Dieux ». Bien amené, non ?

Les rougeurs orangées des paysages marins de nuit (planche 17) donnent à la mer un caractère menaçant, contrastant avec la vivacité printanière des couleurs dans les jardins de l’Empereur (planches 19 à 25), séquence délectable par ses perspectives sur de très beaux jardins paysagers (le torii rouge de la planche 19 est bizarrement placé : il ne semble pas qu’on soit à l’entrée d’un sanctuaire ; visiblement, le torii rouge de Miyajima a inspiré Thierry Gioux, mais il est bien, lui, la porte d’accès aquatique à un sanctuaire). Intéressante représentation des tentes mongoles (planche 16). Belle image sur deux sanctuaires émergeant des arbres (planche 41), évoquant parfaitement Kyôto, avec un rendu minutieux des charpentes sculptées structurant la base des toits, planche 43. On ne sait pas trop pourquoi, en revanche, Thierry Gioux affuble la majorité de ses personnages de nez busqués en forme de lame de hache. Les Japonais et les Mongols n’en présentent pas tant que cela.

Un peu répétitif quant aux relations entre les personnages principaux, cet album vaut par les tensions et les échappatoires des héros face à des situations qui les dépassent ; et aussi, il faut bien le dire, par l’obstination des méchants à laisser la vie aux héros quand ils les ont sous la main...
khorsabad
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le 21 sept. 2013

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