Publié en 1931 en noir et blanc puis en 1946 en couleur, Tintin au Congo est le deuxième album des aventures du reporter à la houppette, mais surtout le premier en couleur. Cette fois, Tintin est envoyé en Afrique, plus précisément au Congo belge, dans un contexte colonialiste marqué.

Longtemps controversé pour ses stéréotypes et son regard paternaliste sur l'Afrique, cet album reste pourtant un incontournable de la saga. Non pas pour la profondeur de son intrigue, inexistante, ni pour la justesse de sa représentation, totalement biaisée, mais bien parce qu’il pousse l’absurde à son paroxysme. Un Tintin plus destructeur que jamais, une narration chaotique et une galerie de personnages caricaturaux font de Tintin au Congo une œuvre aussi fascinante que déconcertante.

Un album à replacer dans son contexte


L’album a été écrit dans une période où les préjugés coloniaux étaient omniprésents en Europe. L’Exposition coloniale internationale de 1931 à Paris, par exemple, mettait encore en scène des Africains dans des "zoos humains". Dans cette optique, Tintin au Congo n’est pas une exception mais bien un produit de son époque.

Cependant, comparé aux albums qui suivront, celui-ci est particulièrement brut dans sa vision du monde. L’histoire elle-même semble improvisée, enchaînant les scènes sans véritable fil conducteur. Hergé n’avait pas encore peaufiné son art narratif, et cela se ressent : chaque planche semble avoir été dessinée sans forcément penser à la suivante. C’est ce désordre qui, aujourd’hui, contribue au côté jouissif de l’album, lui donnant parfois des allures de parodie involontaire.


Tintin, tueur en série de la savane


Si l'on connaît Tintin comme un héros bienveillant, prêt à défendre les opprimés, Tintin au Congo propose une version bien différente du personnage. Ici, l’Afrique est pour lui un immense terrain de chasse, où il abat les animaux à la moindre occasion.

Biches décimées à coups de carabine, buffle abattu pour se venger, rhinocéros réduit en miettes à la dynamite… La faune locale n’a aucune chance face à lui. Même lorsqu’il ne les massacre pas, Tintin tourne les animaux en ridicule, les transformant en simples obstacles ou en objets de gags. Seul Milou, son fidèle compagnon, semble être épargné.


Un festival de préjugés


Si l’album choque aujourd’hui, c’est avant tout par sa représentation des personnages noirs. Présentés comme naïfs, infantiles, voire totalement idiots, ils sont constamment ridiculisés. Leur langage est caricatural, leur comportement absurde et leurs capacités intellectuelles inexistantes. Ils sont souvent réduits à des rôles de porteurs ou d’admirateurs béats de Tintin, incapable d'exister par eux-mêmes.

L’organisation coloniale de l’époque est également mise en avant : tous les postes d’autorité sont tenus par des Blancs, tandis que les Noirs sont relégués aux seconds rôles. L’omniprésence des missionnaires catholiques souligne aussi cette vision paternaliste : les Africains sont représentés comme des êtres à "civiliser", notamment par l’école et la religion. Poussant l’absurde jusqu’au bout, Hergé finit par faire de Tintin une divinité, adorée par une foule soumise dans la dernière scène de l’album.


Comment juger Tintin au Congo aujourd’hui ? Il est évidemment problématique si on le prend au sérieux. Mais en le lisant avec recul, il devient une œuvre surréaliste, où l’exagération et l’absurde prennent le dessus sur tout le reste.

Avec son scénario inexistant, son chaos narratif et son Tintin destructeur, cet album se lit presque comme une satire involontaire du colonialisme. Il ne brille ni par son intrigue, ni par sa finesse, mais par son extravagance totale. Une œuvre à lire avec un certain détachement, pour mieux en savourer l’absurdité et en rire, parfois jaune.


8/10

ProfesseurArlequin
8

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Créée

le 2 mars 2025

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