Album inchevé ou brouillon finalisé ?
J'aime les brouillons d'auteurs. J'aime le travail préparatoire, la documentation, les hésitations. J'aime Tintin. Mais j'ai eu quelques difficultés malgré mon envie dévorante de dévorer l'Alph-Art.
L'édition " Scénario ", celle qu'on trouve habituellement, semble mâcher le travail, présenter comme finalisé ce qui finalement ne l'est pas. Les scans des brouillons accompagnent le texte retranscrit avec quelques didascalies, mais semblent surtout être collés par là, certaines illustrations en gras dans l'édition coupant parfois des cases intéressantes. Mais se pencher sur ses cases ébaucher et passer une demi heure par page en se demandant " pourquoi pas ? ", " comment a-t-il trouvé ce nom-là ? ", " par où il est passé pour cette action de la voiture ou ce effet de noir ? " reste un pur bonheur pour un puriste qui a déjà cassé sa plume trois fois en quatre mois (je parle de moi).
En comptant les pages retrouvées à la fin, l'intérêt se regagne, hors de l'histoire, à voir que Hergé a élaboré les hypothèses et les recherches les plus improbables (Dans le port d'Amsterdam tralalalalala), sur un grand format en plus. Si, au niveau de la forme, je trouve une autre édition, je suis preneur.
Dans l'histoire, Hergé a voulu s'attaquer à un milieu moins politisé et plus critique, celui de l'art contemporain poussé à son paroxysme. À travers les manières de la Castafiore, la paranoïa des " critiques bien connus " au nom imprononçable, ou l'ésotérisme d'un mage presque glauque, l'Alph-Art dans son minimalisme le plus brut n'a pas fini d'être une nouvelle enquête pour le reporter. Reporter qui ne peut pas connaître une meilleure fin ; quatre cases sur une dernière feuille blanche, trois points de suspension pour finir l'œuvre d'un créateur génial, un héros avec, pour une fois, bien peu d'espoir : Hergé a voulu, et il a réussi d'un coup de maître, immortaliser son fils Tintin dans une unique œuvre d'art.