Lutèce en flammes

L’action se déroulant sur plusieurs fronts, Ambre et Cloduar se démènent pour être partout à la fois ou presque, et Simon Rocca est contraint d’imaginer les voies par lesquelles les informations sur des évènements militaires si dispersés, parviennent à Ambre / Boadicaë. En gros, César prend Avaricum et met le siège devant Gergovie, tandis que son lieutenant, Titus Labiénus, prend Lutèce. (Livre VII de « La Guerre des Gaules », chapitres 30-38 et 58-62).

Labiénus, qui a les honneurs du titre de l’album, est indiscutablement un génie militaire, auxiliaire fidèle et efficace de César Imperator, à peu près le seul personnage des quinze tomes de la série contre lequel César ne se fâche jamais, mais au contraire l’accueille avec une grande cordialité et une parfaite confiance. Pour une fois qu’on ne voit pas César en train d’engueuler quelqu’un ou le menacer, profitons-en, c’est exceptionnel ! (Planche 7). Labiénus pousse l’intelligence tactique jusqu’à la perversité, et ça lui réussit ! (planches 17, 21-22).

César est toujours invraisemblablement soucieux de retrouver Ambre, alors que la situation militaire qu’il doit affronter est pour le moins préoccupante et dissuaderait tout autre individu de songer à la bagatelle.

Vercingétorix nous bassine tout au long de l’album avec ses faux-fuyants et son obsession de la tactique de la terre brûlée, qui lui permet d’éviter des batailles frontales. Ambre le persécute, le traite de lâche, et c’est vrai que le bonhomme a une posture de pusillanime indécis.

Simon Rocca introduit quelques glissements modérément vraisemblables pour permettre à ses personnages de fiction de jouer pleinement leur rôle : Planche 12, Milon est présenté comme « ami de Labiénus », ce qui va servir à faire participer Milon au siège de Lutèce. Quand il y a trop d’évènement à raconter, Rocca se paie le luxe de « pages-résumés » (planche 14), et il ne trouve pas audacieux de terminer cette planche par deux portraits accolés d’Ambre et de Milon, en les qualifiant de « jeunes amants séparés » (ce qui fait très romans XVIIIe-XIXe siècles), alors que, si on a bien suivi, Ambre et Milon ne sont pas amants au sens sexuel du terme, mais qu’en plus leurs entrevues les plus récentes se sont terminées par un clash et une déprime de Milon, quand il quitte la Bretagne. Bien sûr, Rocca nous sert de temps à autre une larme d’Ambre quand elle pense à Milon, pour préparer la suite, mais enfin il faut bien de la constance à notre médecin étrusque pour ne pas tout plaquer en présence de cette furie versatile qui l’engueule et l’humilie. D’ailleurs, l’entrevue inattendue entre les deux (planches 27-29) se termine par une nouvelle poussée d’hystérie d’Ambre. Il y a vraiment des mecs qui aiment souffrir. Même Cloduar, qui ne peut postuler à un prix Nobel, est plus raisonnable (planche 36).

Parmi les (rares) passages semi-humoristiques, on appréciera la tactique employée par les femmes d’Avaricum pour empêcher leurs hommes d’aller au massacre (anecdote authentique). La solidarité féminine dans l’art d’être des chieuses. Il est vrai que leur comportement lors de l’invasion de la ville rappelle les épisodes légendaires les plus héroïques de l’Antiquité relatifs au comportement des femmes quand tout est perdu (planche 11).

Jean-Yves Mitton reconstitue avec bonheur les machines de siège que dresse César devant Avaricum et ses enceintes successives (planches 1 à 5) ; les très beaux costumes gaulois faisant présager les fastes barbares des VIe-XIe siècles (planche 13) ; le site de Lutèce (réduit à l’Île de la Cité et à l’île Saint-Louis – qui, bien entendu, ne s’appelaient pas comme ça à l’époque) (planches 15, 30) ; celui de Gergovie (planche 44).

Simon Rocca louvoie entre les faits historiques, méthodiquement rapportés, et ses personnages fictifs, tirés à hue et à dia pour leur donner le rôle le plus avantageux possible.