Capitalisant sur le succès de "Chiisakobé", Le Lézard Noir sort un titre antérieur de Minetaro Mochizuki, celui qui marqua la rupture dans la carrière du mangaka: "Tokyo Kaido". On y retrouve, aussi bien dans le trait que dans le propos, la beauté poétique et sensible de l’œuvre qui le distingua chez nous auprès de la critique. Mais la démarche apparaît encore nettement tâtonnante, hésitante, pour un résultat qui nous paraît moins abouti.


Quatre enfants présentés, l’un après l’autre, dans leur quotidien. Quatre gamins fracassés par l’impossibilité qui est la leur de s’adapter à leur environnement ou même de l’appréhender. Il y a Hashi, 19 ans, qui ne peut se retenir de dire à voix haute tout ce qu’il pense et ressent ; Hana, 21 ans, prise aussi soudainement que fréquemment d’orgasmes, même en public ; Mari, 6 ans, qui ne voit pas les êtres humains autour d’elle ; et enfin Hideo, 10 ans, victime d’hallucinations, persuadé d’être un super-héros, en contact avec des extraterrestres. Quatre patients suivis dans une clinique spécialisée dans les troubles du cerveau.


D’emblée, le point de départ de ce récit de Minetaro Mochizuki offre à son auteur un vaste champ d’exploration graphique et narratif. C’est le rapport au monde de ses héros qu’il met en scène, interrogeant à travers eux la question de la norme et les filtres sociaux qui conditionnent notre existence quotidienne. Cadrage et découpage permettant d’épouser les différents points de vue des protagonistes.


Tokyo Kaido, série en trois volumes, fut publié au Japon entre 2008 et 2010. C’est avec ce titre que Minetaro Mochizuki débuta en quelque sorte sa nouvelle carrière, laissant derrière lui les modalités classiques de la production manga japonaise. Mais si Tokyo Kaido amorce bien une forme de renouveau, elle apparaît aussi comme une œuvre de transition et d’expérimentation à travers laquelle son auteur se cherche.


Sans doute à la manière de son personnage principal, Hashi, lui-même dessinateur et auteur d’un manga qui donne son titre à notre série : Tokyo Kaido. À travers la mise en abyme qui structure une partie du récit, c’est la démarche même de Minetaro Mochizuki qui semble se lire : exploration, extrapolation, hésitation et tâtonnement, dans un contexte de révolte contre une structure perçue comme corsetant et bridant la créativité.


Mais il est difficile de ne pas tracer un parallèle entre cette oeuvre et celle qui l’a chronologiquement suivi, mais que nous connaissons déjà : Chiisakobe, dont nous vous avions dit tout le bien que nous en pensions, et récompensé depuis par l’ACBD et le FIBD. De la même manière que les héros de Tokyo Kaido sont des enfants et adolescents, quand ceux de Chiisakobe sont de (jeunes) adultes, il semble qu’il y ait une différence de maturité, ou de maturation, entre les deux titres.


Quelque chose de l’ordre de l’expansion pas tout à fait maîtrisée dans Tokyo Kaido, ou d’un développement un peu méandreux, laissé à la dérive. Comme si la disparition soudaine de Tamaki, le médecin chargé de nos héros, livrant ces derniers à eux-mêmes, s’était répercutée sur l’intrigue elle-même.


Mais peut-être fallait-il ce moment de doute et de recherche pour que grandissent les personnages et l’art de Minetaro Mochizuki. Et quand bien même ce Tokyo Kaido nous apparaît plus fragile et moins abouti que Chiisakobe, il n’en reste pas moins un titre d’une rare beauté, d’une précieuse sensibilité et d’une extraordinaire justesse. Un manga à ne pas manquer en ce début d’année.


Chronique originale et illustrée sur ActuaBD.com

seleniel
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Lectures manga 2017 - Nouveautés

Créée

le 14 févr. 2017

Critique lue 924 fois

6 j'aime

seleniel

Écrit par

Critique lue 924 fois

6

D'autres avis sur Tokyo Kaido, tome 1

Tokyo Kaido, tome 1
seleniel
7

Une maturité en devenir

Capitalisant sur le succès de "Chiisakobé", Le Lézard Noir sort un titre antérieur de Minetaro Mochizuki, celui qui marqua la rupture dans la carrière du mangaka: "Tokyo Kaido". On y retrouve, aussi...

le 14 févr. 2017

6 j'aime

Tokyo Kaido, tome 1
Anvil
9

Les enfants perdus de Minetaro Mochizuki

Attiré par son trailer, la lecture du premier tome de Tokyo Kaido me fait penser que l'on tient une des (voire de la) séries de l'année. Épurer et ne conserver que l'essentiel Premier point qui m'a...

le 15 févr. 2017

3 j'aime

Tokyo Kaido, tome 1
Elodie_Drouard
7

La série du tournant pour Mochizuki

Surfant sur le succès critique rencontré par Chiisakobé, la dernière saga en quatre tomes de Minetarô Mochizuki (et grande gagnante du prix de la série lors du dernier festival d'Angoulême), les...

le 25 juil. 2017

3 j'aime

Du même critique

Planetary, tome 1
seleniel
7

Archéologie de la planète Pulp

Série à la publication aussi compliquée outre-atlantique que chez nous, Planetary revient cette fois au sein du catalogue Urban Comics. L'éditeur étoffe ainsi son offre en matière de classiques à la...

le 29 août 2016

10 j'aime

Sweet Tooth (Urban), tome 1
seleniel
7

Apocalypse pour Bambi

Une pandémie a frappé la Terre, éradiquant la plus grande partie de la population mondiale. En sursis depuis dix ans, les survivants errent sur une planète dévastée. Sauf que les enfants nés après la...

le 23 déc. 2015

7 j'aime