Je viens tout juste de terminer l'intégrale de Transmetropolitain pour la seconde fois en deux semaines. Sans me forcer, mais par nécessité tout de même, car en refermant le dernier tome pour la première fois, j'ai compris que j'étais forcément passé à côté de certaines choses, à côté de certains messages, certaines analogies. Parce que Transmetropolitain, c'est terriblement dense, une oeuvre dont la richesse n'a d'égal que le monstrueux bordel qui lui sert de contexte.
Le comic prend en effet place dans un futur où tous les aspects consuméristes et vicieux de notre réalité semblent avoir atteint leur paroxysme. On y suit Spider Jerusalem, ex-journaliste gonzo célèbre devenu ermite en haut d'une montagne, finalement forcé de reprendre du service. Si il apparaît comme totalement taré de prime abord, parvenant sans mal à surclasser la folie ambiante de la ville, sans arrêt drogué et souvent extrême et violent, Spider va petit à petit s'humaniser sous nos yeux à mesure que les pages défilent : non content d'être un journaliste particulièrement doué, il est à la recherche de la Vérité (comme il le dit souvent lui-même), se battant pour les faibles et contre toute forme d'oppression. Il oscille ainsi constamment entre génie humaniste et dégénéré compulsif, à l'image de ces sordides assistantes (selon ses propres termes) et des personnages qui gravitent autour de lui. Il faudra du temps pour que Warren Ellis et Darick Robertson, respectivement scénariste et dessinateur de Transmetropolitain, nous livrent la subtilité qui réside au coeur de ces personnages, au coeur finalement de cette ville affreuse et délirante. Si le lecteur consent à céder ce temps de lecture nécessaire, il pourra finalement comprendre cet univers peu enviable, vulgaire, dégoûtant même, comme l’inavouable reflet de son propre monde. Et ça laisse un peu amer, je dois dire, sur le cul même. Parce que cette oeuvre se livre en vérité à une critique froide des rapports de force qui subsistent entre puissants et faibles, un constat sans équivoque des processus d'aliénation moderne, de la manipulation médiatique et du mensonge politique. C'est en tout cela (et plus encore) que Transmetropolitain est le reflet du miroir, sans concessions. Et je ne parle même pas ici du racisme, des vices ordinaires, de la violence policière, de la religion, autant de sujets que le comic va évoquer, à sa sauce (c'est à dire de la manière la plus crue et barrée possible).
On pourra peut-être lui reprocher son extrême vulgarité, l'absurdité ambiante et redondante des situations, un gros bordel finalement qui peut rendre cryptique son propos. Mais il faut au moins ça pour livrer la Vérité, quoi qu'il en coûte. Je ne pensais en tout cas pas m'attacher à ce point à Spider, à Yelena, à Channon, à Royce, à cet univers finalement, parce qu'ils sont tous repoussants au début. Et pourtant ...