Ce tome fait suite à DMZ tome 2 (épisodes 6 à 12) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il contient les épisodes 13 à 17, initialement parus en 2006/2007, écrits par Brian Wood, dessinés et encrés par Riccardo Burchielli, et mis en couleurs par Jeromy Cox. Les couvertures sont réalisées par Brian Wood. Ces épisodes ont été réédités dans DMZ intégrale Tome 2 (épisodes 13 à 28).


Bien évidemment, la reconstruction a commencé à New York, ville bombardée lors de la seconde guerre civile entre les armées régulières des États-Unis et les Armées des États Libres. Le marché de la reconstruction dans cette zone démilitarisée a été confié à l'entreprise Trustwell qui est venue avec sa propre équipe de gardes pour garantir la sécurité de ses employés travaillant sur le chantier. Mais les altercations augmentent entre les Casques Bleus des Nations Unies et ce personnel de sécurité, jusqu'à un échange de coups de feu. Pour que le cessez-le-feu perdure, il faut que les deux parties parviennent à s'entendre pour cohabiter. Matty Roth a laissé toutes ses accréditations de journaliste chez lui et il s'est fait embaucher parmi les ouvriers de Trustwell, avec de faux papiers. Ce jour-là en arrivant au chantier, il cherche un dénommé Naeir. Il finit par l'apercevoir, mais celui-ci est en train d'armer une bombe artisanale et il se fait sauter en détruisant un bus avec lui. Les gardes privés de Trustwell arrivent et commence à frapper les ouvriers présents pour essayer d'obtenir des informations. C'est au tour des Casques Bleus d'arriver et de mettre un terme à ces mauvais traitements.


Les ouvriers prennent le chemin des vestiaires et vont s'habiller d'une tenue protectrice, puis se mettent au travail sur le chantier. Matty Roth a décidé d'infiltrer Trustwell au premier échelon, parce tout le monde sait qu'il s'agit d'une entreprise corrompue et corruptrice et que le contrat décroché pour la reconstruction cache forcément des malversations. Avant de s'infiltrer, Matty Roth a fini par accepter l'aide de Wilson, un asiatique âgé qu'il soupçonne de plus en plus d'être à la tête d'une triade. L'idée d'enquêter sur Trustwell lui a été suggérée par Kelly Connolly, correspondante freelance pour Independant World News (IWN). Elle a fourni les faux papiers à Roth, ainsi qu'un téléphone permettant de la contacter. Une douzaine d'ouvriers travaillent sur le chantier au pied du pont de Brooklyn. Matty Roth travaille comme les autres, tout en les observant. Il en repère un qui récupère un objet et le met dans sa sacoche. Il se rend compte qu'un autre ouvrier l'a vu en train de regarder le premier. Le midi, les ouvriers se restaurent dans un réfectoire commun, répartis sur deux tables. Matty Roth voit que l'ouvrier à la sacoche a mis le sachet étanche qu'il a récupéré dans son assiette. Il s'agit d'un détonateur. Il appuie dessus et un entrepôt est soufflé par une violente explosion. Matty Roth ne dit rien à personne. Ce nouvel attentat incite les Nations Unies à renforcer la présence des Casques Bleus : la population proteste violemment contre les restrictions imposées par les Casques Bleus, des étrangers qui viennent faire la police sur le sol américain.


Troisième mission à hauteur d'homme pour Matty Roth : après son arrivée dans la zone démilitarisée, et le sauvetage d'un journaliste, le voilà en train d'enquêter en immersion totale. Dès le début, Brian Wood met les pieds dans le plat : une zone en guerre, des Casques Bleus pour le maintien de la paix et des entreprises pour reconstruire. Dès les premières pages, le lecteur retrouve le goût des infos télé sur des guerres contre le terrorisme, par exemple en Irak. Mais le scénariste raconte une fiction, et il retourne la convention du pays pacifié par les gendarmes du monde. Cette fois-ci, ça se passe sur le sol des États-Unis et c'est le peuple américain, une partie en tout cas, qui bénéficie de cette pacification. Ce dispositif narratif fonctionne à merveille : voilà ce que ces peuples éloignés ressentent quand une armée s'installe chez eux, quand ils doivent se montrer reconnaissants de l'aide apportée par les autres nations, en particulier par les États-Unis. Le business de la reconstruction est un business avant tout, et certaines entreprises peuvent voir des opportunités à travailler dans un pays où les lois ont été mises à mal.


C'est reparti pour une virée dans ce New York, à moitié en décombres, à moitié encore debout. Comme dans les tomes précédents, Riccardo Burchielli sait représenter des points de référence identifiable : le pont de Brooklyn, le site de l'immeuble des Nations Unies, le métro newyorkais, Riverside Drive à Manhattan. Pour peu qu'il ait regardé quelques séries télé ou ait séjourné à New York, le lecteur reconnaît les lieux : il est bien à New York, dans ces larges artères, avec des gratte-ciels immenses dont la taille est sans rapport avec celle d'un être humain, ce milieu urbain très particulier. Dans le même temps, l'artiste représente des immeubles détruits, des appartements délabrés, des baraquements de fortune, des rues éventrées avec la population qui les utilise comme elle peut, attestant des ravages de la guerre, des bombes qui ont frappé, de la destruction. Le lecteur peut aussi bien patauger jusqu'au genou dans une eau sale pour un travail physique de déblaiement, que se retrouver dans un dortoir sans aucune intimité, courir à en perdre haleine dans la rue en essayant de s'abriter pour éviter une balle d'un tireur d'élite, ou encore pénétrer dans le campement en bordure de l'Hudson River.


Le lecteur éprouve la sensation que le dessinateur éprouve une véritable affinité pour ses personnages, à la fois du fait de leur expressivité et de leur visage remarquable. S'il prend un dessin hors de son contexte, le lecteur voit des visages marqués, avec des traits dessinant des rides, même sur le visage d'Amina une jeune femme d'une vingtaine d'années. Les personnages de Burchielli portent la marque du quotidien, des épreuves, d'émotions parfois intenses, d'un manque de moyens et de temps pour s'apprêter. Matty Roth ne se rase plus et sa barbe est mal taillée, ses cheveux sont en bataille. Ses collègues sur le chantier sont habillés de vêtements utilitaires ayant vu des jours meilleurs. Les teeshirts n'ont pas été lavés depuis plusieurs jours avec quelques petites taches éparses et de accrocs. Au bout d'un moment, un constat inquiétant se fait jour : il n'y a que les uniformes des militaires et des gardes de sécurité privée qui soient impeccables. L'artiste met en œuvre un jeu d'acteurs naturaliste : les personnages se comportent comme des adultes, sans gestes excessifs. En regardant Matty Roth, le lecteur peut voir un individu fatigué par un dur labeur, et inquiet de ne pas commettre d'impair au milieu de travailleurs à qui il ne peut pas faire confiance, dont il ne peut pas présumer d'éventuels liens entre eux. Burchielli donne un corps de rêve à Amina avec une forte poitrine, pourtant son regard montre une forte personnalité et son langage corporel exprime bien d'autres choses que le jeu de la séduction. Au fur et à mesure des déboires de Matty Roth, le lecteur voit qu'il accuse le coup, qu'il se renferme de plus en plus sur lui-même. Le scénariste a la main très lourde avec son personnage.


Brian Wood pose les prémices de son intrigue en quelques pages : l'entreprise Trustwell a la réputation d'user de tous les moyens pour décrocher les contrats les plus juteux du gouvernement, et Matty Roth les infiltre pour enquêter et réaliser un reportage à destination d'une chaîne de télévision indépendante implantée à l'extérieur de la zone démilitarisée. Le lecteur ne dispose de pas plus d'information que le personnage principal, et il le suit autant curieux de savoir ce qu'il va découvrir que comment il va s'y prendre. Bien évidemment, les événements prennent le journaliste de cours, et il se retrouve à son corps défendant complice d'une cellule terroriste. Débutée 5 ans après les attentats du 11 septembre, cette série fait écho aux actions militaires des États-Unis pour combattre le terrorisme. Brian Wood n'y va pas avec le dos de la cuillère : il attaque de front la question des méthodes d'interrogatoire utilisées à Guantanamo, à savoir la torture. À chaud, les tortures ont été légitimées par les responsables de l'armée, parce qu'elles ont permis d'obtenir des renseignements. Quelques mois ou années après, le bilan s'est avéré entièrement négatif quant à l'efficacité de la torture comme méthode d'interrogatoire, et les rapports initiaux le signalaient déjà mais avaient été interprétés dans le sens qui arrangeait ceux qui voulaient présenter des résultats immédiats. Dans ces épisodes, la séquence de torture semble arriver de manière artificielle, pour un objectif pas entièrement convaincant. Mais elle constitue un développement dans la droite lignée des thématiques de la série. Matty Roth est amené à côtoyer une terroriste et le lecteur peut observer le comportement de cette dernière. Le traitement est organique et fluide, et le regard que porte Brian Wood (à nouveau très bien servi par la narration visuelle de Riccardo Burchielli) fait ressortir toute la complexité d'une personne prête à se faire exploser, à l'opposé d'un traitement manichéen et simpliste.


Cette troisième mission de journaliste de Matty Roth l'amène à enquêter sur une face très sombre de l'occupation en territoire pacifié, sur les intérêts capitalistes de la reconstruction, sur les stratégies ignobles qu'une entreprise peut mettre en œuvre pour s'assurer de maximiser ses profits en jouant sur l'affaiblissement des lois et la position dominante de l'état qui assure la police. La narration visuelle de Riccardo Burchielli est à nouveau fluide et parfaitement dosée, entre la fidélité aux quartiers de New York, et la personnalité des protagonistes, ainsi que l'horreur de la violence soudaine.

Presence
10
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le 27 mai 2020

Critique lue 65 fois

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