Socrate le demi-chien, par Sfar et Blain.
Ce livre date de 2006, à une époque ou j’avais pas trente ans, et je lisais de la bd en commençant tout juste à en faire, et, clairement, Sfar et Blain étaient d’énormes pointures, des références, et, surtout, Sfar d’ailleurs, qui alliait le dessin à des scénarios géniaux, une liberté de ton nouvelle, bref, chaque truc qu’il sortait je le dévorais dans l’heure.
Blain venait de gagner deux ou trois ans avant son grand prix d’Angoulême… et voilà, j’avais aheté le tome 1, Heraclès, et pas le deux… Peut être que Sfar était déjà dans la surproduction qui m’empêchait de tout acheter, ou, plus vraissemblablement, j’avais pas les moyens, ou je l’ai pas vu passer.
Et bon, là, il était là, en occase, et je l’ai acheté au nom du passé, malgré ce que Sfar est devenu pour moi (et pour le reste de la bd hélas).
Première impression : c’est vrai que le papier de la collection Poisson Pilote est vraiment dégueulasse. Un pauvre couché tout flappy brillant moche. Dégueu.
Pas beau Dargaud, là-dessus.
J’avais oublié, mais bon, c’est vraiment nul.
En debors de ça, je commence à lire et… mon dieu, mais quel plaisir.
Quelle verve, quelle intelligence.
Comme Sfar était bon quand il ne parlait pas de lui ! Quand il raconte des histoires, juste, pour le plaisir de raconter. Avec des personnages haut en couleurs, veules, égoïstes, humains.
C’est merveilleux. Son chien est d’une lâcheté exemplaire, son maître, héraclès d’une imbécillité totale, Ulysse est un compétent paresseux et fuyard… Tout est bien. Hormis la place des femmes, relayé au simple rang de courtisane à baiser ou à tuer (on va dire que c’est encore dans l’époque, on était moins sensible)… Mais bon, c’est vraiment pour critiquer, avec mon regarde de lecteur contemporain.
En vrai, ce livre est un chef d’œuvre. Dans la contrainte des 48 pages, Sfar tombe une histoire d’amour, de vengeance, d’amitié, de déception, de tempête et de repos, une histoire de famille et de mythologie, cultivée sans être pompeux, de la vulgarisation référencée et en même temps, une complète création.
Du génie à l’état pur qui m’a fait regretter cette époque ou je m’abreuvais à ce jus de cerveau en me rêvant capable d’en faire autant (sans illusion dans le fond), au lieu de la caricature qui ne produit plus que du jus d’ego dont je me sais capable mais dont je préfère m’abstenir.
ça, c’est du Joann Sfar. Quand il ne nous parle pas de son connard de nombril.