Pff ! Quelle tirade ! À croire que le scénariste de cette BD est payé à la ligne !

Ce tome fait suite à Léonard - Tome 52 - Vacances de Génie (2021) qu’il n’est pas indispensable d’avoir lu avant, mais ce serait dommage de s’en priver car il est excellent. Les gags ont été écrits par Zidrou (Benoit Drousie), dessinés et encrés par Turk (Philippe Liégeois) et mis en couleurs par Kaël. Il contient seize gags d'une à huit pages. La première édition date de 2022.


Un amour de génie, huit pages. Nuit. L’enseigne lumineuse s’allume dans la chambre avec les mots : Debout Disciple ! Nuit. L’enseigne se rallume, et Basile se réveille à demi, en ouvrant les yeux. Nuit. L’enseigne s’allume pour la troisième fois : Basile est réveillé, Raoul également. Le premier parle tout haut indiquant au maître qu’il pense avoir capté le message subliminal que Léonard essaye de lui adresser. Ce dernier arrête de jouer avec le boîtier marche/arrêt et révèle pleinement sa présence. Le disciple s’habille et suppose qu’il va devoir, un album de plus, servir la science et prétendre que c’est sa joie. Léonard le reprend : pas la science, mais l’amour. Basile se méprend et croît à une déclaration pour lui. Il répond qu’il avait entendu circuler certaines rumeurs dans leur ville de Vinci mais qu’il n’y avait pas porté crédit. Après tout que lui importent les affinités sentimentales de Léonard ? Ils sont au début du seizième siècle, que diable ! Il faut savoir faire fi de tous ces préjugés. Hélas, comme Léonard le sait, le cœur de Basil est déjà pris : elle s’appelle Euphalie et un jour quand il aura enfin économisé assez d’argent sur le salaire que le génie ne lui paye jamais, il pourra demander sa main à son père. Léonard a sorti son tromblon de sa barbe et il ouvre le feu sur le disciple dans un grand BLAM ! Il rectifie le raisonnement erroné de son disciple : il n’est pas amoureux de lui, cet abruti des Abruzzes. Il est amoureux de la belle, de la sensuelle de la, ô combien spirituelle, de la merveilleuse, de la gracieuse, de la lumineuse, de l’unique, de l’inimitable, de la virevoltante, de la gargaglubsante Giovanna !


Ça balance pas mal à Vinci, une page. Mozza regarde par la fenêtre, avec Raoul Chatigré à ses côtés : la pluie tombe depuis quinze jours sans discontinuer. Léonard entre dans la pièce en lui proposant de venir voir ce qu’il a inventé tout spécialement pour elle, sa petite varlope d’amour. – Jeune fille au père, trois pages. Dans une salle de classe de l’école, une jeune fille se tient sur l’estrade, avec la maîtresse debout sur sa droite, et son père en train de découper des côtelettes avec un tranchoir. Elle le présente en indiquant que son papa est boucher et que sa chipolata est la meilleure du monde. C’est au tour d’un garçon de monter sur l’estrade avec son père et de le présenter : son papa est maire de Vinci. Un autre élève dans la classe demande s’il peut faire sauter les contraventions. Une petite fille monte et présente son père pompier, puis un garçon dont le père est carabinieri. C’est enfin au tour de Mozza de monter sur l’estrade et de présenter son père, profession Génie.


Déjà le septième album écrit par Zidrou qui a pris la succession de Bob de Groot avec l‘album quarante-sept en 2016, permettant à Turk de continuer à enchanter les rétines des lecteurs avec ses dessins pleins d’entrain, son incroyable attention aux détails attestant d’une application sans faille, d’un véritable amour pour ses personnages. Pour le présent album, le scénariste a opté pour le développement d’un thème, l’amour, au travers d’une bonne moitié des gags de l’album, ce qui lui donne une unité particulière, et qui suscite chez le lecteur l’interrogation inconsciente de savoir si le gag qu’il lit comporte une dimension amoureuse. Bien évidemment, cet album, comme tous les autres de la série, reste tout public. Pour autant, le lecteur adulte sourit en constatant que Zidrou parvient à se montrer provocateur, à s’aventurer au-delà du politiquement correct, tout en conservant les caractéristiques d’une lecture pour tous. Dans la première histoire, Léonard apprend que son amour de jeunesse, Giovanna, vient de devenir veuve : c’est une occasion inespérée de la courtiser. Le lecteur fait connaissance avec une femme aux cheveux blancs, à la silhouette élancée mise en valeur par sa robe de deuil noire. Il se retrouve pris au dépourvu quand elle déclare qu’à présent qu’elle est veuve, riche et plutôt avenante encore, elle n’a aucune intention de se remettre sous la coupe d’un homme et qu’elle a un faible pour les hommes plus jeunes. La tête que fait Léonard en entendant ça, n’a pas de prix.


Zidrou se montre tout autant facétieux lorsque Léonard invente le principe de rendez-vous en aveugle (blind date) pour Mathurine Montorchon de la Serpillière. Cette dernière, toujours aussi accorte et bien portante, saute sur l’occasion d’une manière très personnelle, et le lecteur ne peut que sourire en voyant l’énergie qu’elle met à participer à cette forme de speed-dating. Dans le gag intitulé Vol de nuit en cinq pages, la vie sentimentale de Mathurine se retrouve à nouveau à l’honneur, d’une autre manière. Alors qu’elle rentre dans l’atelier de Léonard pour faire le ménage du matin, elle se rend compte qu’Anastasio Schippatore se trouve dans la place et elle ne lui prête aucune attention, ce qui prend le cambrioleur au dépourvu. Il s’adresse à elle pour lui demander si elle n’appelle pas au secours, si elle ne craint pas que son frère Atanasio et lui ne lui fassent subir les pires outrages. Elle le toise d’un drôle d’air, sa posture montrant bien son assurance, et reprend derechef son ménage avec énergie, tout en lui demandant s’il a fini de se caresser les testostérones dans le sens du poil. Le dessinateur sait insuffler du caractère dans son visage et son langage corporel, Mathurine devenant ainsi bien plus qu’un simple personnage secondaire à usage comique. Sur la page suivante, Anastasio lui parle de batifolage. Mathurine sort son dictionnaire qu’elle consulte pendant quatre cases, le lecteur fondant complètement devant ses petites mimiques.


Bien évidemment, les auteurs utilisent tous les ingrédients qui font l’identité de cette série. Les dessins sont toujours aussi agréables à lire : la rondeur des personnages, leur visage avec un gros nez et des expressions un peu exagérées pour les rendre plus expressifs, leur caractère foncièrement gentil. Dès la deuxième page, ils rappellent que la violence à des fins comiques a bien conservé sa place : une énorme onomatopée BLAM, le buste du disciple calciné et troué comme une passoire par la grenaille du tromblon de son maître, deux autres BLAM dans la page suivante, aggravant encore l’état du disciple. Il y a même un gag en une page intitulé Tout feu, tout BLAM, consacré à l’essayage de tromblon pour déterminer celui dont l’effet est le plus destructif ou le plus trouant. L’exagération est telle que le lecteur ne peut y voir qu’une volonté humoristique, déconnectée de toute réalité de blessure. Turk & Zidrou poussent le bouchon encore plus loin avec le gag en une page intitulé Où t’es outil ? : Léonard entre dans la chambre de Basile pour récupérer ses outils encore fichés dans son corps, l’enclume bien sûr, une paire de tenaille, un marteau et même un tournevis logé dans une de ses oreilles.


Après toutes ces aventures, le lecteur reste béat d’admiration devant l’inventivité des auteurs. Ils vont chercher des inventions dans le monde moderne : une carte bancaire, du mercurochrome, un souffleur pour feuilles, la chirurgie esthétique, l’enseigne lumineuse. Ils n’hésitent pas à en améliorer quelques-unes dans le registre de l’Anticipation, comme un barbier robot ou le mouvement perpétuel pour un rockingchair. Comme à son habitude, Turk intègre ces merveilles technologiques facétieuses, avec une évidence extraordinaire, comme si elles avaient réellement pu être fabriquées par Léonard avec les outils dont il dispose. Parmi les ingrédients attendus, Bernadette, Raoul Chatigré et Yorick occupent une place de choix, et ils sont bien au rendez-vous : la première essayant d’échapper aux inventions qui tournent mal, le deuxième réveillé brutalement alors qu’il dort sur le lit de Basile et figurant en bas de la dernière page de chaque gag, le dernier en tant que spectateur immobile souvent malmené et flanqué à terre, à l’envers. Comme à son habitude, Turk ne ménage pas sa peine pour représenter les environnements : les meubles et accessoires dans la chambre de disciple, les trucs et les machins (sans oublier les outils et les inventions abandonnées) dans l’atelier de Léonard, et les différents lieux comme le jardin du père de Giovanna, les rues de Vinci, la salle de classe et la cour de récréation de l’école de Mozza, l’échoppe du marchand de tromblons, la cuisine de Mathurine, le puits sur la place de Vinci.


Les deux créateurs ne donnent jamais l’impression de ronronner ou de se reposer sur leurs lauriers, ils continuent d’imaginer de nouvelles situations, de nouvelles dynamiques d’intrigue Cela commence avec l’introduction de Giovanna, et au cours de cette histoire, c’est Léonard qui se retrouve dans une fâcheuse posture, puisqu’il est enfourné dans le four à pain du père de Giovanna, quelle humiliation, douloureuse qui plus est. Basile bénéficie d’une intervention de chirurgie esthétique au cours de laquelle son visage est refait de manière exhaustive et drastique. Bernadette, en intervieweuse, et Raoul, en caméraman, effectuent un reportage sur le reflet de Léonard qui habite le miroir en pied. Léonard trouve quelqu’un d’autre que Basile dans le lit de celui-ci. Les surprises abondent, attestant du plaisir des auteurs, pulvérisant tout risque de répétition.


Ce cinquante-troisième album de la série Léonard s’avère être une grande cuvée : Turk continue d’enchanter par la vivacité de ses personnages, et par le soin porté aux décors et aux accessoires, Zidrou se montre inventif dans les gags, les situations, la façon de filer légèrement le thème de l’amour dans une partie des gags de ce tome. Le lecteur arbore un sourire de la première à la dernière page, charmé de l’élégance avec laquelle les auteurs savent se montrer incorrects, malicieux, facétieux, rasséréné par l’affection qu’ils portent à leurs personnages.

Presence
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le 18 mars 2023

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