Le tome précédent parvenait à jouer sur une double intrigue : Baldassare recherchant un "livre maudit" qui permettrait peut-être d'éviter une fin du monde en 1666, et la quête de la femme qu'il aime, Marta, désireuse de gagner Chio pour mettre au net sa situation inconfortable de veuve pas trop sûre de l'être.
Comme le titre de ce tome 2 le suggère, les choses vont plutôt moins bien pour Baldassare. Marta ne retrouve son ancien époux que pour retomber immédiatement sous sa coupe, et... adieu Baldassare, malgré l'enfant qu'elle porte de lui ! (Les femmes vous prennent pour un Dieu pour mieux vous arracher votre semence, mais, dès qu'il y a un enfant à l'horizon, vous êtes jeté comme un papier sale, c'est bien connu).
Le hasard est le héros véritable de cet opus. Baldassare est constamment incertain de son itinéraire, détourné de ses objectifs. Il est l'Errant (mystique ?) en quête d'une vérité insaisissable, qu'il souhaite trouver dans un Livre. Condition humaine ? Métaphore de la religion en général, et des religions du Livre en particulier ?
De Smyrne, la quête du Livre oriente Baldassare vers l'Angleterre. On commence à trouver peu vraisemblables les zig-zags de ce bouquin, qui sont un prétexte tout trouvé par Amin Maalouf pour nous faire visiter l'Europe de ces années, et conforter l'arrière-plan historique de son intrigue en multipliant les références historiques. Mais voilà, avant d'aller en Angleterre, il faut passer par Chio, où Marta doit régler son affaire. Jolie, mais chiante à la fin.
On apprécie le passage où Baldassare s'embarque dans un bateau dont le capitaine est un peu cinglé (mais un cinglé à tonalité mystique). Passant à Gênes, la cité d'origine de sa famille, Baldassare nous vaut de très beaux paysages architecturaux de la grande cité commerçante; mais, là aussi, l'instabilité des affaires humaines le poursuit : son hôte risque d'être ruiné, ce qui ne l'empêche pas de vouloir fourguer à Baldassare sa ravissante fille de quatorze ans, belle comme un tableau Renaissance. L'imbécile, il refuse l'offre parce qu'il se croit fidèle à Marta, qui vient de l'abandonner. Décidément, rien à tirer de l'un et l'autre sexe...
Escale à Lisbonne, pour remplir un mission qu'on lui a confiée. Puis, après s'être jeté délibérément dans les périls de la guerre anglo-hollandaise, ce sera Amsterdam, puis Londres...
Tout cela fait beaucoup, un peu trop à vrai dire. Que la guigne s'acharne sur Baldassare, passe encore; mais on a l'impression que, comme dans un "James Bond", il a fallu entasser les paysages touristiques éminents de l'époque pour accrocher le lecteur.
Un élément fantastique-mystique se produit quand Baldassare tente - enfin - de faire la lecture à haute voix du Livre qu'il cherche tant, et qu'il trouve, bien entendu, là où il ne cherchait pas. On espère que la cause de ce phénomène nous sera exposée plus tard, car pour le moment on est surpris par l'irruption de ce surnaturel dans un récit qui en parle beaucoup mais qui ne le mettait jamais en scène.
Etrange personnage que ce Sabbataï, juif-illuminé-gourou qui prêche lui aussi une fin du monde imminente, qui embête un peu les autorités locales, mais personne n'ose trop le contrarier, car ce sous-Messie a pas mal d'adeptes. Reflet d'un Proche-Orient sans cesse à l'affût d'une révélation venue d'en-haut ? Si le lecteur avait envie de déprécier Sabbataï, quelque chose s'y oppose : ses idées sont progressistes, singulièrement en ce qui concerne la mixité et la condition de la femme.
Il y a tout de même une péripétie qui est un peu téléphonée : dès qu'on apprend que Baldassare doit passer par l'Angleterre, comment ne pas voir que l'incendie de Londres de 1666 va donner au scénariste une belle fin du monde, au moins locale ?
De belles cartes anciennes illustrent les têtes de chapitre, et la légèreté des couleurs, façon aquarelle, continue de s'allier à des contrastes de luminosité assez lourdement appuyés sur les visages; tandis que dans les fonds, le bleu du ciel se fait de temps à autre tavelé des granulations du support papier. Belles images de villas italiennes et de jardins, dans le contexte d'un dessin qui reste un peu raide dans l'ensemble.