C'est du Taniguchi. Avant même la lecture, je peux dire que le ton sera éthéré, apaisé et que le récit s'accomplira dans la quiétude et la sobriété. Parfois au point de n'être que ça.
Il n'y a pas tant un style propre à Taniguchi qu'une méthode Taniguchi. La remarque ne plaira pas au plus grande nombre parce qu'en plus de défaire le mythe, elle a le culot de la pertinence. Il s'agit toujours de la même approche : un fond doucereux et sommairement désenchanté sur lequel se pose le regard paisible et lointain d'un protagoniste principal qui se situe au-delà de tout ; au point d'être même étranger à l'œuvre qui recense ses chroniques.


Plus qu'une constante chez l'auteur, ce postulat tient de la manie. Ce n'est pas que ce qui est écrit n'a ni sens ni intérêt - Jirô Taniguchi reste un formidable conteur - c'est cette démarche faussement mélancolique mais franchement neurasthénique qui gâte le goût de ce qu'on nous sert. Son personnage principal, il n'a même pas à se donner la peine de nous le présenter, on le connaît déjà. Il est ce personnage quiet, en retrait mais bien là, contemplatif jusqu'à l'excès qui, avec un morne sourire, à la fois triste et las, témoigne néanmoins d'une certaine béatitude qui ne dit pas son nom.
Et la narration nous assaille, elle nous accable même, pour nous noyer sous un récit introspectif où figurent et voguent des pensées éparses.


Imaginez Forest Gump, imaginez-le en train de finalement lever son gros cul du banc sur lequel il était vissé pendant deux heures pour marcher d'un pas lourd, les mains dans les poches, arborant un sourire mièvre surplombé d'un regard sans reflet. Imaginez-le-vous en train de vous chroniquer toute sa vie d'une voix calme et posée sur un ton monotone alors que, comme seule image à l'écran, vous auriez le spectacle de ce personnage placide occupé à marcher sans but, perdu dans ses pensées, s'arrêtant sporadiquement pour observer les alentours. Chez Taniguchi, on retrouve clairement ce petit côté mise en scène de film d'auteur où la langueur est étirée sur des pages entière pour créer une atmosphère de paisibilité à la fois morne et béate.


Mais si l'on fait l'impasse sur la scénographie - celle-ci ayant autant séduit ses lecteurs qu'elle les aura trompés - la méthode Taniguchi, c'est aussi un sens du vrai dont on ne peut simplement pas dire qu'il n'a pas de substance.
Nonobstant l'ambiance que l'auteur cherche à instaurer, sans trop en faire, il restitue des scènes de la vie quotidienne comme rarement cela se sera fait dans d'autres œuvres. On sent, derrière le récit, le poids de l'expérience d'une vie d'un auteur qui parle de ce qu'il connaît et qui en connaît justement une chiée sur la Vie.


Et finalement, c'est encore cela le principal attrait, mais aussi, le principal défaut de Jirô Taniguchi : il parle de ce qu'il sait en traduisant son ressenti propre. Ce ressenti est alors empêtré dans sa mélancolie et celle-ci, même si elle est pesante et usante dès lors où on s'y éprouve d'une œuvre à l'autre, a au moins le mérite d'être superbement retranscrite.
N'étant pas omniscient, je présume que ce sentiment qui nous enveloppe quand on lit du Taniguchi, c'est celui-là même qu'il aura ressenti et qu'il aura cherché à nous témoigner. C'est une chose de transcrire un scénario, c'en est une autre de nous faire parvenir un ressenti ; l'auteur y sera cependant parvenu avec brio. Et cela, quitte à lasser certains lecteurs trop assidus dont je suis.


On retrouve, dans un Zoo en Hiver, des personnages authentiques dont on ne force pas les traits de caractère afin de les forcer sur papier. Taniguchi aura étalé des monceaux d'âmes humaines à longueur de planches. Ce ne sont plus des personnages dont on fait la connaissance, mais des Hommes véritables. Je devine en tout cas qu'ils ont existé au fait que ceux-ci soient si vrais et typiques. J'arrive presque à sentir l'odeur de leur tabac.


La nana de l'histoire se prénomme Ayako. Souhaitons que ce ne soit pas la même dont j'ai déjà lu les aventures... souhaitons-le pour elle et souhaitons-le pour Taniguchi, pardon, HANAguchi, le personnage principal.
Quand je vous dis que l'auteur se perd à ne laisser que ce qu'il connaît dans ses œuvres ; au points de s'y incarner personnellement à chaque fois. Sous une manifestation ou bien une autre, c'est toujours lui qu'on retrouve au centre de ses ouvrages.


L'un des autres mérites de l'auteur, c'est encore de nous offrir une histoire et un cadre remarquablement anodin et pourtant, terriblement intéressant. Hanaguchi est choisi par son patron pour surveiller la fille de ce dernier dont le comportement est trop désinvolte à son goût. C'est largement vraisemblable et pourtant extrêmement inhabituel tout en restant banal. Il n'y a pas besoin de trop en faire avec du drame et du suspense à pas cher pour écrire une bonne histoire crédible.


Mais on en revient toujours irrésistiblement à Taniguchi, au point de cantonner l'histoire dans un atelier de mangaka. C'est pas ça qui m'empêchera de me laisser embarquer remarquez. Cette chronique se lit avec plaisir et sans en attendre quoi que ce soit. On ne cherche pas une issue à l'histoire, on s'engage dans l'histoire, voilà tout.


S'il est un autre reproche à adresser aux œuvres de Taniguchi et, par extension, à Un Zoo en Hiver, c'est aussi la bonté caractérisée des personnages. Peut-être que cette remarque que j'adresse est conditionnée par mon cynisme, celui d'une époque dans laquelle je suis empêtré. Peut-être que dans les années 60, au Japon, les gens étaient plus sympas. Mais ici, tout le monde à bon fond.
Même la rancœur injuste de Moriwaki et Hanaguchi à l'égard de Fujita est finalement trop légère, au point d'avoir assez peu d'impact. Je n'ai pas ressenti leur frustration - pourtant légitime - d'avoir été devancés par un cadet. J'avais davantage le sentiment de lire quelqu'un qui mimait la rancœur qu'un auteur cherchant véritablement à la restituer. Les personnages restent humains, mais l'intensité de cette humanité dans l'œuvre, par endroits, s'affadit. La passion n'y est que falote et ne s'exprime qu'à bas bruit.


L'histoire avec Mari était touchante, et j'écris assez rarement ces mots pour vous assurer qu'ils ne sont pas professés à la légère. Toutefois, la conclusion du manga - il ne fait qu'un volume - m'a donné l'impression que la quatrième de couverture se sera refermée sur mes doigts comme le cylindre d'un piano au beau milieu d'un récital. Il manquait une à deux pages - à moins que ce ne fut un à deux tomes - pour terminer Un Zoo en Hiver. L'histoire y était doucereuse, mais je n'ai pas honte de dire que je m'y suis laissé prendre pour une fois. Mais après m'avoir donné le goût du sucre, voilà qu'on me retire la friandise presque aussitôt. L'expérience était alors aussi délicieuse que frustrante.

Josselin-B
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le 15 avr. 2022

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Josselin Bigaut

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