Undercurrent
7.6
Undercurrent

Manga de Tetsuya Toyoda (2004)

Tire swing - Kimya Dawson, pour lire en musique.


Tetsuya Toda entra dans les bonnes grâces des critiques avec Googles, fracas feutré, blues nostalgique qui se fit un devoir d'écorner gentiment le mythe sociétal nippon en présentant, au travers de six nouvelles, six tranches de vies passant du drôlatique au drame avec une subtilité rare, avec le talent que seul confère le sens de l'équilibre et de la composition propre à Toda.


En poursuivant cette aventure délicate et méditative, on tombe inévitablement sur Undercurrent qui, une fois n'est pas coutume pour Toda, quitte le format des histoires courtes. C'est dans l'intime, sous la surface même de Kanae que l'auteur se propose de nous plonger. La réouverture de son établissement de bain, fermé pendant des mois, est le prétexte qu'il fallait aux habitants du quartier pour satisfaire leur soif de curiosité.



Où est parti le mari de Kanae ? Pourquoi ?



Si la rumeur enfle, c'est que le mari fait parti de ces évaporés, ces japonais qui s'évanouissent du jour au lendemain et dont on ne sait plus rien. Vivre sans savoir, sans rien pouvoir, tenter de comprendre et d'appréhender l'inexplicable, voila le dilemme de la jeune femme.


D'un scénario simple on entre tout en douceur dans le quotidien de Kanae, pénétrant sa psyché et décortiquant doucement la carapace dont elle s'entoure pour arriver à l'essence de ses peurs, de ses doutes, de ses traumatismes.


Le tout est fait avec une pudeur des sentiments caractéristiques des œuvres japonaise, avec un sens du découpage et du plan juste qui pousse l'excellence jusqu'à animer sous nos yeux ces cases fixes, à fixer une voix, une ambiance, une musique à chaque instant. Ajoutons à cela - histoire de peindre rapidement la première grande qualité de l'ouvrage - la patte graphique caractéristique de Tetsuya Toda, très douce, des décors sachant se faire léger entrecoupé de rêveries aquatiques plus chargées et très belles. Les personnages sont divers, de notre héroïne à la coupe garçonne, presque androgyne jusqu'au petit vieux fouineur ancien-yakusa en passant par la vieille tante bienveillante et un privé excentrique. Le mari sera défini par son absence, sa personnalité prétexte à interroger l'identité et les rapports humains. Peut-on prétendre connaître quelqu'un ?


L'histoire est simple, somme toute : un abandon, un blindage nécessaire pour supporter le regard public qui se reflète sur l'extérieur, sur ce que l'on laisse transparaître sans chercher plus loin, sans chercher la douleur qui transparaît pourtant. De l'importance du reflet – les bains, l'eau – Toda explore ce qu'une rupture entraîne et révèle chez l'individu, ce que les tensions internes peuvent être cachées et pourtant à fleur de peau.


Et au-delà, une histoire d'amitié, de vie, de joies et de peines. Quelque chose de simple, qui sans cette qualité de mise en scène, cette délicate ambiance, aurait pu être simpliste mais qui, sous la plume de Toda, transcende.

Petitbarbu
8
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le 21 avr. 2016

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Petitbarbu

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