Ce tome fait suite à Folie meurtrière (épisodes 24 à 29) qu'il faut avoir lu avant. Dans la mesure où il s'agit d'une histoire complète en 8 tomes, il faut avoir commencé par le premier. Celui-ci comprend les épisodes 30 à 35, initialement parus en 2015, écrits par Tim Seeley, dessinés et encrés par Mike Norton (avec l'aide d'Emilio Laiso pour l'épisode 30), avec une mise en couleurs réalisée par Mark Englert. Les couvertures ont été réalisées par Jenny Frison.


À la télévision, un présentateur rapporte l'attentat terroriste perpétré contre l'hôtel de ville de Wausau (dans le Wisconsin) dans lequel le maire et d'autres victimes ont péri. Il indique que le shérif Wayne Cypress pense qu'Edmund Holt est impliqué dans attentat à la bombe. Il ajoute que l'état a assigné la Général Louise Cale pour assurer la continuité de la sécurité dans la ville. Il évoque également la disparition de l'activiste Blaine Abel. Celui-ci a réussi à se faire prendre en stop par une femme qui le dépose au milieu des bois. Là il est pris en charge par 2 individus cagoulés qui lui souhaitent la bienvenue dans leur organisation clandestine. Pendant ce temps-là, à proximité de la Ferme (le complexe dans lequel sont détenus les revenus à la vie), les soldats réussissent à capturer un des spectres qui rodent alentours. Jeanne Gorski et Jordan Marie Borchardt l'ont ressenti depuis leur cellule respective.


Martha Cypress se rend à la veillée funéraire organisée par madame Vang. Puis elle retrouve son père Wayne Cypress à proximité des décombres de l'hôtel de ville. Dans sa chambre de motel, Ibrahaim Ramin est en train d'appeler son frère pour prendre de ses nouvelles. Il y est rejoint par l'agent John Geiss qui lui donne de nouvelles directives : retrouver Blaine Abel. La Général Louise Cale tient sa première réunion au commissariat de Wausau : elle indique aux officiers de police présents qu'un contrôle de police routier inopiné a permis de découvrir l'existence de tunnels sous la forêt à proximité de Wausau. Leur aménagement aurait été organisé par Edmund Holt, et ils seraient utilisés par un groupe clandestin appelé Les chasseurs de la Bête. Elle organise la descente de police pour fouiller cette zone. À la Ferme, les militaires ont décidé de tenter une expérience avec le spectre capturé.


En entamant l'épisode 30 (le premier de ce tome), le lecteur ressent que les choses ne sont plus comme avant. Il voit que les traits d'encrage ne sont plus aussi propres sur eux que dans les épisodes précédents, et qu'une ou deux pages reposent sur une construction de cases en biais. En vérifiant la page d'ouverture, il comprend que Mike Norton a été plus qu'épaulé par Emilio Laiso pour les dessins. Ce dernier a dû également participer à la mise en page et réaliser la majeure partie des encrages. La narration s'en trouve subtilement altérée, mais pas forcément dégradée. Le lecteur reconnaît sans difficulté les personnages récurrents, et les différents décors ne gagnent pas en niveau de détails dans leur représentation. Un peu conservateur, le lecteur retrouve quand même avec plaisir l'artiste attitré de la série pour les épisodes suivants. Il ressent également une différence dans la tonalité du récit, parce que ce dernier avait passé une étape significative dans le tome précédent, entamant sa phase de résolution, à la fois en révélant plusieurs secrets (à commencer par celui d'Edmund Holt), à la fois par la survenance d'événements irréversibles.


Le lecteur s'immerge donc l'intrigue, curieux de savoir dans quelle direction elle va se développer. Il y a donc cette histoire de groupe de rebelles planqués dans les bois qui offrent une position inattendue à Blaine Abel, la confirmation du statut d'Ibrahaim Ramin, la nature des spectres, le rôle de l'agent John Geiss, et même une révélation sur la mission du John Doe, grand brûlé non identifié. Pourtant, le lecteur se rend rapidement compte qu'il est finalement plus intéressé par les personnages, leur histoire personnelle et leurs interactions. Tout au long des tomes précédents, il a appris à connaître de nombreux individus, à les apprécier, à ressentir une réelle empathie pour ces individus complexes dont l'équilibre émotionnel est fragilisé par les revenus à la vie. Tim Seeley a développé une trentaine de personnages récurrents, certains plus principaux que d'autres. Avec sa nouvelle position, Blaine Abel peut laisser sa mégalomanie s'exprimer librement. Mais pour le coup, les dessins d'Emilio Laiso exagèrent un peu trop l'expression de son visage et sa posture, perdant la nuance et la crédibilité apportée par Mike Norton. Wayne Cypress bénéficie de 2 scènes centrées sur son histoire personnelle et son ressenti, et le lecteur accuse le coup de la révélation sur sa culpabilité. Mike Norton réalise des dessins plus naturalistes qui n'accentuent pas la dramaturgie, qui conservent la normalité des individus, pour un résultat plus poignant.


Dans ce tome, le lecteur voit arriver un nouveau personnage essentiel dans le déroulement des événements : la Général Louise Cale. En une poignée de scènes, le scénariste lui donne une épaisseur humaine et juste qui la rend tout de suite sympathique au lecteur. Il ne s'agit pas d'une militaire bornée et attendant de se faire obéir au doigt et à l'œil. Elle dispose d'une vie de famille, avec un enfant et une compagne, des doutes et des difficultés. Le lecteur la voit aussi bien dans son uniforme militaire strict avec une posture droite et rigide, que chez elle en civil en train de participer à la préparation du repas, plus détendue. Elle s'incarne ainsi à ses yeux, comme un être humain avec plusieurs facettes. D'une manière générale, tous les personnages disposent d'une ou deux répliques qui viennent éclairer leur état d'esprit, et d'une ou deux caractéristiques physiques ou comportementales qui leur insufflent une personnalité propre.


Au fur et à mesure des épisodes, le lecteur se rend compte que le récit réserve plus de place à Dana Cypress et sa relation avec sa sœur Em. Il en apprend plus sur la manière dont Dana Cyrpress a assumé sa responsabilité de grande sœur vis-à-vis d'Em (Martha Ann). À nouveau les dessins aux contours un peu délicats rendent les personnages plus fragiles, plus plausibles. Lorsque Dana s'attaque à Em, elle y va de tout son cœur, mais aussi un peu maladroitement, rendant la scène crédible et donc chargée d'émotions. Le lecteur voit que Dana a pété un plomb du fait d'une pression psychologique importante, et dont il va découvrir la nature au cours de sa lecture, avec une forme de culpabilité mal digérée. Mike Norton la représente certes comme une belle jeune femme, mais avant tout comme un être humain, avec ses limites en termes de capacité à contenir et à gérer ses émotions. Dans l'épisode 34, Dana Cypress redescend dans son sous-sol, et le lecteur reconnaît tout de suite la pièce visitée dans le tome 3 Si loin de chez nous..., celle ou Dana essaye de trouver les liens logiques, les liens de cause à effet entre les événements. En voyant les lieux, il se remémore également à quel point ce moment avait été intense en ressortant le besoin de comprendre de Dana. Il peut également voir la rage qui habite encore Em, dans a manière dont elle s'en rend à Blaine Abel. S'étant acclimaté aux particularités des dessins de Mike Norton (détourage avec des trais fins, absence de texture, décors parfois un peu trop simplifiés), il en perçoit mieux l'expressivité et la justesse dans le rendu des comportements.


Les auteurs savent faire exister leurs personnages avec une réelle élégance, et impliquer ainsi le lecteur dans leurs tribulations et leurs angoisses. Ils ne délaissent pas pour autant la dimension horrifique du récit. L'une des revenues continue à perdre quelques dents de ci de là, Jeanne Gorki pleure des larmes de sang, elle semble vomir un spectre, etc. Mike Norton représente ces moments de manière toujours aussi factuelle et précise, transcrivant bien leur nature anormale et contre nature. Le manque de texture empêche de pouvoir croire à la peau du grand brûlé. Mais le dessinateur y insère des replis montrant que la chair a été martyrisée, et Mark Englert y applique une teinte rosée faisant penser à la peau de nourrisson qui soulève le cœur. Ensemble, ils arrivent à donner assez de consistance aux dessins pour que le lecteur puisse croire à ce qui lui est montré. Même s'il ne peut pas identifier l'essence des arbres, il éprouve la sensation de se trouver dans cette forêt clairsemée, où se déplacent des individus entraînés à la survie et porteurs d'armes, prêts à imposer leur volonté aux individus égarés. Il voit bien que l'histoire se déroule dans une ville de campagne de petite importance, en jetant un coup d'œil aux installations. Il constate de visu que les auteurs ne font pas semblant quand ils montrent que toute situation peut dégénérer vers l'horreur. Il se sait qu'il se souviendra longtemps de cet individu arrachant le cœur d'un revenu (reviver) pour le neutraliser le temps que cet organe repousse, et aussi d'un revenu s'organisant une gaule du pendu sans risque d'y passer.


Au cours de ce tome, le lecteur retrouve tout ce qu'il attendait : des personnages humains, faillibles et attachants, une intrigue qui progresse, des moments d'horreur viscéraux, une narration visuelle capable de faire passer l'ambiguïté des personnages et de leurs actes, ainsi que l'ambiance des différents environnements.

Presence
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le 1 août 2019

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