Ce tome contient les épisodes 39 à 45, initialement parus en 2000/2001, écrits, dessinés et encrés par Stan Sakai. Ces épisodes sont en noir & blanc. Le présent tome s'ouvre avec une introduction de Greg Rucka. Il vaut mieux avoir les précédents tomes avant de lire celui-ci, en particulier les numéros 11 et 12.
Prologue - Pendant le règne de l'empereur Keiko, le prince Yamato-Dake se rend dans le village de la princesse Miyazu qu'il souhaite épouser. Alors que les réjouissances vont bon train, il est sollicité par un habitant d'un autre village pour aller combattre un kami particulièrement destructeur. Il confie son épée Murakumo-No-Tsurugi (aussi appelée Kusanagi, c’est-à-dire Grasscutter en anglais).
Conformément à la décision prise à l'issue du tome précédent, Miyamoto Musashi, Murakami Gennosuke et le prêtre Sanshobo entreprennent le voyage pour se rendre au sanctuaire Atsuta afin d'y placer Grasscutter en lieu et place de la réplique qui s'y trouve. Plusieurs autres factions souhaitent se rendre propriétaire de l'épée : le clan ninja Neka (avec à sa tête Kachira Chizu), le clan ninja Komori (chauve-souris), Kitanomo (le familier d'une sorcière décédée), et un mystérieux ninja qui en a après Chizu.
A priori le lecteur éprouve un moment de doute quand il prend connaissance du titre : Grasscutter II, en se demandant s'il fallait vraiment une suite au premier du nom. Il ne s'agit ni d'un remake, ni d'une prolongation artificielle, mais bien de la fin du récit précédent, c’est-à-dire du voyage pour mettre cette épée symbolique en sûreté. Comme annoncé auparavant, il appartient au trio (Yojimbo, Gennosuke et Sanshobo) de rallier le sanctuaire. Mais ils se retrouvent le point de mire de différentes factions, ayant chacune leur intérêt à s'emparer de l'épée, pour des raisons politiques. En bon conteur, Stan Sakai introduit un exposé de la situation et des événements précédents en début du deuxième épisode, alors qu'un ninja explique à sa cheffe Chizu ce qu'il en sait. C'est suffisant pour que ceux qui ont lu le tome 12 se souviennent de tout, par contre ça n'en remplace pas la lecture.
Comme pour le tome Grasscutter, il s'agit donc d'une histoire complète, bénéficiant d'un épisode d'introduction (celui consacré au combat de Yamato-Dake contre le kami), suivi d'un solide récit s'étalant sur 6 épisodes de 24 pages. La structure du récit est simple et efficace : le trio de héros chemine vers le sanctuaire, et il est intercepté par les ninjas Neko. Stan Sakai a prévu de nombreuses péripéties, et relance l'intrigue par de nombreux rebondissements. Ainsi les poursuivants se font eux-mêmes rattraper par un clan rival (celui des Komori, c’est-à-dire chauve-souris en japonais), souhaitant faire un autre usage de Kusanagi, et il rôde dans les parages encore d'autres personnages déjà rencontrés avant.
Le lecteur peut s'étonner d'assister à plusieurs hasards fort opportuns pour la narration, que ce soit le retour comme par hasard du général Ikeda, ou encore du ninja Saru qui a une dent contre Chizu et qui apparaît comme par hasard à un moment très opportun. Un habitué des romans de sabre japonais identifie là les licences narratives propres à une construction feuilletonnante. Il peut soit estimer que les ficelles sont trop grosses et que le scénariste insulte son intelligence, soit accepter cette particularité culturelle et apprécier les autres composantes du récit. L'épisode d'introduction rappelle que Stan Sakai dispose d'un bon niveau de culture sur cette époque du Japon. En prime, l'histoire prend la forme d'un conte certes linéaire, mais aussi divertissant.
Une fois passé cette introduction qui fait le lien avec celles du tome 12 "Grasscutter" (premier du nom), le lecteur se retrouve dans une course poursuite pleine de périls et d'embûches. Comme à son habitude Stan Sakai sait donner l'impression de se trouver dans un Japon féodal, encore peu peuplé, où les déplacements s'effectuent surtout à pied, sur des chemins plus ou moins empruntés. Le lecteur apprécie de cheminer aux côtés d'Usagi avec 2 amis, en traversant des forêts et des clairières. L'effet de dépaysement fonctionne à plein, avec un retour à une époque où les voyages étaient plus hasardeux, moins confortables, et où les repas et les périodes de repos étaient tributaires du gibier et des fermes sur le chemin.
Une fois accepté les hasards bien pratiques, le lecteur se retrouve immergé dans une situation où chaque faction peut s'emparer de l'épée, du fait de sa supériorité numérique, de sa chance, ou d'un revers de fortune pour son adversaire. Il apprécie les combats, les armes et l'inventivité des ninjas, et les courses éperdues. Comme à son habitude, Sakai ne représente pas les blessures, ni le sang qui coule, et ceux qui passent l'arme à gauche arborent un rictus risible en rendant leur dernier souffle, afin que ces aventures restent tout public (une autre particularité narrative à accepter).
Bien sûr les ninjas sont capables de réaliser des prouesses défiant le sens commun, mais aussi la plausibilité. Ils sont surentraînés, ce qui leur permet de courir sans se reposer des heures durant. Ils bondissent d'arbre en arbre avec une agilité confondante leur permettant de passer de branche en branche silencieusement et à des hauteurs vertigineuses. Ils sont capables d'entendre le bruit le plus ténu, et ils sont très peu efficaces en combat, face aux héros. Stan Sakai fait à nouveau apparaître des ninjas du clan Komori (ayant pour totem la chauve-souris) qui possèdent des ailes de chauve-souris. Le lecteur a le choix de prendre cette particularité au premier degré (des individus mutants disposant d'ailes), ou comme une métaphore de leur agilité acquise par un entraînement exceptionnel. Quoi qu'il en soit, l'auteur respecte la cohérence narrative interne de sa série, puisqu'ils sont déjà apparus, et qu'ils s'inscrivent dans le même registre narratif que les kamis.
Avec son approche graphique simplifiée et ses animaux anthropomorphes (aux caractéristiques tellement épurées qu'on ne reconnaît pas toujours l'animal), Stan Sakai assure un spectacle maîtrisé. Les différentes bâtisses (la maison d'Ikeda, le temple de Sanshobo, ou encore le repaire de Chizu) présentent une architecture réaliste et crédible, de constructions en bois. Les tenues vestimentaires sont simples et plausibles, sans affèterie. Les postures et les mouvements sont naturels, uniquement accentués pendant les affrontements physiques. Les expressions des visages sont un peu appuyées pour mieux faire apparaître l'état d'esprit des personnages, sans en devenir caricaturales et sans manquer de nuance ou d'à-propos.
Stan Sakai prend soin de chorégraphier les affrontements physiques, sans qu'ils n'en deviennent des ballets. Cela veut dire qu'il ne s'agit pas d'une suite de cases pour épater la galerie avec des poses dramatiques, ou des angles de vue dramatisant le coup qui va être porté, mais que l'artiste veille à la cohérence des mouvements et des placements des personnages. D'une case à l'autre, il y a une suite logique dans la posture et dans l'endroit où se trouve chaque personnage. Qui plus est, les déplacements de chacun se font en fonction de l'endroit où se déroule la scène. Le lecteur n'éprouve jamais l'impression qu'ils se trouvent sur une scène vide de décor, avec juste une toile de fond. Ils doivent prendre en compte les obstacles, et le relief du terrain.
D'un manière plus discrète, Stan Sakai intègre des éléments historiques relatifs à la vie de tous les jours, que ce soit le dénuement des pièces (presqu'aucun ameublement), les objets de la vie quotidienne (l'oreiller en bois, l'âtre dans la maison d'Ikeda, les ustensiles pour cuire les aliments). Le lecteur peut également apprécier l'urbanisme de la ville de Nagoya, ou les pièces d'ornementation du jardin du sanctuaire.
Ce deuxième tome consacré à l'embarrassante épée Kusanagi apporte une résolution satisfaisante à la question de savoir que faire de cette relique tant convoitée et risquant de provoquer une instabilité politique. Le récit se présente sous la forme d'une grande aventure, avec course-poursuite, affrontements physiques, ninjas et actes de bravoure, sans oublier un questionnement sur la meilleure stratégie à adopter. Sous réserve de supporter les conventions du genre (coïncidences bien pratiques, édulcoration de la violence physique, existence de ninjas avec des ailes), le lecteur peut apprécier à sa juste valeur cette intrigue bien troussée, alerte, avec quelques pincées d'humour et de tragédie, sur fond d'intrigue politique, dans une reconstitution historique plaisante sans être pesante.